L'économie résiste à la crise et le marché du travail est en plein essor. De nombreuses entreprises ne trouvent ainsi pas le personnel dont elles ont besoin en Suisse. Elles cherchent alors à l'étranger et cette demande fait accroitre la population nationale – elle devrait bientôt atteindre 9 millions de personnes.
Cette situation de croissance démographique et de migration ne plaît pas à tout le monde. Pour le président de Swiss Life, Rolf Dörig, l'immigration est le plus gros problème du pays. La semaine dernière, le leader économique a annoncé son adhésion à l'UDC et a demandé une nouvelle réglementation de l'immigration: «Pourquoi ne réintroduisons-nous pas le statut de saisonnier, c'est-à-dire une autorisation de séjour limitée dans le temps et sans famille?, a-t-il demandé dans une interview accordée à Blick. Cela conviendrait sans doute aussi à de nombreux spécialistes étrangers.»
Ce n'est pas la première fois qu'un membre éminent de l'UDC prône un retour de cette position particulière. L'ancien chef de parti Toni Brunner avait, lui aussi, déclaré il y a quelques années: «C'était un très bon système, malheureusement la politique l'a d'abord affaibli, puis aboli.»
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Des circonstances catastrophiques
Chez Luigi Fragale, de telles déclarations réveillent de terribles souvenirs. Ce Soleurois est arrivé en Suisse à la fin des années 1980 en tant que fils d'un saisonnier italien. Il sait ce que ce «modèle de contingentement» peut signifier pour une famille. «Ma mère, mon petit frère et moi résidions illégalement en Suisse. Nous avons dû vivre cachés. Enfant, j'ai été pratiquement enfermé pendant deux ans et demi.»
Le statut de saisonnier a été introduit en Suisse en 1934 et a perduré jusqu'à l'introduction de la libre circulation des personnes en 2002. Il devait à la fois permettre aux entreprises locales de disposer de suffisamment de main-d'œuvre pour faire face à la croissance économique fulgurante, tout en empêchant une «surpopulation étrangère».
La durée de séjour des saisonniers, originaires pour la plupart d'Italie, d'Espagne, du Portugal et plus tard des Balkans, était limitée à neuf mois par an. De nombreux travailleurs vivaient à l'étroit dans des baraques, souvent dans des conditions d'hygiène désastreuses. Les changements de domicile ou d'employeur étaient interdits. De plus, ils étaient contraints de laisser leurs femmes et leurs enfants au pays.
Crainte permanente d'être découverts
Antonio Fragale, le père de Luigi, n'a pas supporté longtemps la séparation avec ses proches. Mais le retour dans sa Calabre natale, sans perspectives d'avenir, n'était toutefois pas une option pour lui. Il a donc fait venir sa famille illégalement en Suisse et les a cachés dans un petit appartement de la commune soleuroise de Bellach. Une période traumatisante pour Luigi: «Nous étions presque toujours à l'intérieur. Quand j'avais le droit de sortir, c'était seulement pour aller dans un petit pré juste devant la maison.»
La famille Fragale vivait dans la crainte permanente d'être découverte. Le petit Luigi ne devait pas faire trop de bruit pour que personne ne se sente dérangé. Les camarades de jeu étaient rares. De plus, on lui martelait le fait d'être extrêmement prudent pour ne pas se blesser en jouant. «Nous n'étions pas assurés et ne pouvions donc pas aller chez le médecin ou à l'hôpital.»
Comme une femme de la communauté scolaire s'engageait pour les intérêts des enfants saisonniers, Luigi était malgré tout scolarisé. Jusqu'au jour où un autre saisonnier s'est plaint auprès de la commune: Luigi, son frère de deux ans son cadet et sa mère Rosanna ont été soudain menacés d'expulsion.
De la chance dans le malheur
La trahison de leur compatriote s'est révélé être une chance pour Luigi et sa famille. Au lieu de devoir retourner en Italie, les membres de la famille obtiennent finalement un permis de séjour fixe – bien qu'il n'ait pas été délivré de bon cœur. «Mon père avait reçu un prêt de son employeur pour acheter une maison en Calabre. Et comme mon père menaçait de retourner lui aussi en Italie si la famille devait partir, cela a soudainement fonctionné pour obtenir une autorisation de séjour. L'employeur craignait que sinon, il ne récupérerait jamais son argent.»
Luigi Fragale raconte toute son histoire dans le nouveau documentaire «Au pays des enfants interdits» (voir encadré). Toni Ricciardi, historien de la migration à l'Université de Genève, sait que des milliers d'autres enfants saisonniers ont des histoires similaires à raconter. «Selon nos dernières recherches, nous partons du principe qu'en Suisse, entre 1949 et 1975, environ 50'000 enfants saisonniers ont dû vivre en secret».
À cela s'ajoute, selon Ricciardi, un demi-million de mineurs qui ont dû être élevés séparément de leurs parents en raison du statut de saisonnier. «En Italie, ces enfants vivaient souvent chez leurs grands-parents ou dans des foyers.»
Le documentaire «Au pays des enfants interdits» de Jörg Huwyler et Beat Bieri s'intéresse aux destins d'anciens saisonniers et de leurs familles. «Ce sujet nous préoccupe depuis des années. Mais nous n'avons trouvé que maintenant des personnes concernées qui étaient prêtes à parler de ce qu'elles avaient vécu.» Le film est actuellement projeté à Zurich (cinéma Riffraff) et à Lucerne (Bourbaki), puis dans d'autres villes suisses à partir de février.
En ce moment, le Nouveau Musée de Bienne se penche également sur l'histoire de la Suisse et de ses travailleurs immigrés. L'exposition temporaire «Nous, les saisonniers…» dure jusqu'à fin juin 2023.
Il y a un peu plus d'un an, l'association «Tesoro» a en outre été fondée à Zurich pour exiger des excuses de la part des autorités suisses pour leur traitement des saisonniers.
Le documentaire «Au pays des enfants interdits» de Jörg Huwyler et Beat Bieri s'intéresse aux destins d'anciens saisonniers et de leurs familles. «Ce sujet nous préoccupe depuis des années. Mais nous n'avons trouvé que maintenant des personnes concernées qui étaient prêtes à parler de ce qu'elles avaient vécu.» Le film est actuellement projeté à Zurich (cinéma Riffraff) et à Lucerne (Bourbaki), puis dans d'autres villes suisses à partir de février.
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Il y a un peu plus d'un an, l'association «Tesoro» a en outre été fondée à Zurich pour exiger des excuses de la part des autorités suisses pour leur traitement des saisonniers.
Pour la famille Fragale, l'ère de l'illégalité a pris fin en 1990. Luigi a toutefois lutté longtemps contre les conséquences. «À l'école, je restais extrêmement renfermé et je ne pouvais presque pas prononcer un mot. La peur de mal faire n'a pas disparu du jour au lendemain.» Ce n'est que pendant sa formation de coiffeur qu'il a commencé peu à peu à s'ouvrir. Son maître d'apprentissage Hugo Rütimann a joué un rôle décisif. «Il m'a consacré beaucoup de temps et m'a pris sous son aile. Je lui en suis éternellement reconnaissant.»
Depuis, Luigi a son propre salon de coiffure. Cela fait longtemps qu'il s'est réconcilié avec la Suisse, dont les lois l'ont privé d'une enfance insouciante: «Entre-temps, j'ai pu constater qu'il y a aussi beaucoup de gens bien ici», dit-il en riant. Mais il a du mal à accepter la volonté de certains Suisses de faire revenir le statut de saisonnier. «Une politique qui sépare les enfants de leurs parents et qui fait en sorte que les familles doivent vivre cachées ne doit plus jamais exister.»