Rolf Dörig est l’un des plus grands capitaines d’industrie – et l’un des rares à s’exprimer sur la politique. Vendredi soir, lors de la réunion de l’UDC à Bad-Horn (TG), il a fait son apparition. Il est désormais membre du parti agrarien. Il explique pourquoi en exclusivité pour Blick. Nous le rencontrons dans son bureau, au quatrième étage du siège de Swiss Life à Zurich.
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Pourquoi avez-vous adhéré à l’UDC?
Parce que je m’identifie à ce parti et à ses valeurs. Cette adhésion formalise ma position fondamentale de longue date.
Quel membre de l’UDC a frappé à votre porte?
Personne n’a frappé à ma porte. Mes convictions sociales conservatrices et libérales en matière d’économie, combinées à mon attachement à ma patrie, conviennent bien à l’UDC. Je suis dévoué à la cause et je continuerai à l’être, car je ne suis pas un adepte des guerres de tranchées idéologiques entre partis.
Autrefois, vous vous étiez engagé auprès des «Amis du PLR». Que s’est-il passé?
Le PLR n’a malheureusement pas évolué comme je l’avais imaginé. L’UDC, avec ses objectifs clairs, est plus fiable et plus proche de moi. Pas seulement sur les questions de société, mais aussi sur les questions économiques.
Le PLR, avec son nouveau président Thierry Burkart, a une orientation ouvertement bourgeoise.
J’apprécie beaucoup Thierry Burkart. Même si le PLR fait actuellement du bon travail, je souhaite m’engager à long terme en rejoignant l’UDC. Au cours des 15 dernières années, l’UDC a été plus constante sur les questions économiques. Et le parti est plus proche du peuple.
Pourquoi l’UDC est-elle plus proche de vous?
Je suis un conservateur. C’est pourquoi je suis dérangé par cette attitude woke moralisatrice d’une minorité gâtée par la prospérité. Comme si nous n’avions rien de plus important à faire. Bien sûr, les minorités doivent être respectées. Mais quand on discute par exemple avec des enfants de maternelle pour savoir s’ils veulent être un garçon ou une fille, je trouve que nous devrions d’abord nous occuper de ce qui est essentiel dans notre société.
L’UDC aime exploiter les problèmes à grand renfort de polémiques.
Je ne suis pas un polémiste. Mais le débat sur l’immigration, par exemple, doit pouvoir être mené ouvertement. Combien de personnes supplémentaires doivent-elles arriver chaque année? Voulons-nous d’une Suisse à 10 millions d’habitants? Ou que faut-il faire contre? Personne ne mène ce débat aussi bien que l’UDC. J’ai moi-même une position très dure sur la question. L’important pour moi, c’est de rester respectueux.
Trouvez-vous les slogans de l’UDC respectueux, comme par exemple «les Kosovars éventrent les Suisses»?
Ils ne correspondent pas à mon style personnel. Mais dans une campagne électorale, un parti se doit d’aller jusqu’au bout. Chacun voit cette limite un peu différemment. Sur le fond, j’attends de l’UDC qu’elle se batte avec acharnement, mais qu’elle fasse aussi des compromis là où des compromis sont possibles. Ce n’est qu’ensemble que l’UDC, le PLR et le Centre peuvent mener une politique bourgeoise efficace. C’est une conviction que j’ai toujours défendue.
Avec Albert Rösti, l’UDC est-elle en train de devenir un parti tout à fait normal?
Qu’est-ce qu’un parti tout à fait normal selon vous?
Un parti qui n’est ni représenté par le gouvernement ni dans l’opposition.
L’UDC fait partie du gouvernement. Le parti a prouvé qu’il était capable de s’accorder avec les autres.
Christoph Blocher est resté un politicien d’opposition même en tant que conseiller fédéral.
La Suisse doit beaucoup à Christoph Blocher. C’est une personnalité impressionnante, tant en tant que dirigeant économique qu’en tant que politicien. Il s’est engagé pendant des décennies pour le pays, et je partage avec lui la conviction que la Suisse doit rester autonome, neutre et attrayante à l’avenir.
Dans quelle mesure Christoph Blocher est-il encore important pour le parti?
Je ne suis devenu membre du parti local de l’UDC à Küsnacht qu’en décembre et je ne me permets pas de porter un jugement. Mais je suis sûr que son engagement – honnête et courageux – pour notre pays inspirera aussi les jeunes générations.
Aspirez-vous à une fonction politique?
Non. Si j’avais 20 ans de moins, j’y réfléchirais.
Comment allez-vous vous investir dans l’UDC?
Avec mon expérience de l’économie et mes contacts. Je soutiendrais volontiers Thierry Burkart, Gerhard Pfister et Jürg Grossen sur les questions économiques. L’objectif doit être de progresser globalement, ce que je considère comme central pour le développement économique et social de notre pays.
L’UDC est aussi un parti agrarien. Cela vous convient-il?
Limité l’UDC à un parti d’agriculteurs est réducteur. Le parti a des préoccupations beaucoup plus larges. Il s’agit aussi d’un parti économique. Les paysans sont ceux qui ont les pieds sur terre, et c’est important. En ce sens, oui. Cela me convient très bien de dire que c’est un parti de paysans.
Pourquoi n’y a-t-il pratiquement plus de dirigeants économiques en politique?
Beaucoup de choses sont devenues plus complexes. La charge de travail a augmenté. On a également assisté à un certain découplage entre l’économie mondiale et l’économie nationale.
Est-ce la raison pour laquelle une partie considérable de la population ne fait plus confiance à l’économie, comme on le voit régulièrement dans les urnes?
Avec la mondialisation de la fin des années 1990, on a oublié que l’économie avait besoin de la société. Et parfois, certains représentants de l’économie ont manqué d’humilité.
Notamment avec des salaires de plusieurs millions?
Je n’ai rien contre le fait que quelqu’un gagne beaucoup d’argent. Mais l’argent comporte le risque de corrompre ceux qui le gagnent. Quand on est en position de force, il vaut mieux être modeste. Et ne pas être dans la vantardise. Il faut continuer à travailler dur et à livrer des résultats.
Les scandales permanents au Credit Suisse n’aident pas. Vous y avez commencé votre carrière. Comment jugez-vous la crise que la banque traverse?
C’est triste et ça fait mal. La Suisse a besoin de deux grandes banques. Je suis convaincu que Credit Suisse a la force de s’en sortir grâce à ses nombreux travailleurs loyaux.
Quel est aujourd’hui le plus gros problème de la Suisse?
L’immigration. C’est l’éléphant dans la pièce. Après le Luxembourg, nous avons le deuxième taux d’étrangers le plus élevé d’Europe. Si nous continuons à croître de la sorte, l’infrastructure, l’environnement et les écoles seront trop sollicités. C’est pourquoi nous devons consacrer toutes nos forces à gérer nous-mêmes l’immigration.
L’économie a besoin de tous ces immigrés.
Bien sûr, nous avons besoin d’étrangers. Il ne s’agit pas des gens qui travaillent ici, mais de ceux qui font venir leur famille. Et de ceux qui se retrouvent au chômage et qui surchargent nos infrastructures et notre système social.
Le taux de chômage n’a jamais été aussi bas.
Mais tout le monde souhaite garder une qualité de vie élevée. Or, nous sommes en train d’urbaniser la Suisse à grande échelle. Il existe des communes dans lesquelles 80% des élèves ne parlent pas allemand à la maison. Bientôt nous devrons envoyer nos propres enfants dans des cours d’intégration. Cela ne va pas.
Comment régleriez-vous la question de l’immigration?
La main-d’œuvre qualifiée est la bienvenue, y compris dans les soins, l’agriculture et la gastronomie. Ils viennent ici parce qu’ils veulent gagner davantage que dans leur pays. Pourquoi ne pas réintroduire le statut de saisonnier, c’est-à-dire une autorisation de séjour limitée dans le temps, et sans famille? Cela conviendrait sans doute aussi à de nombreuses personnes qualifiées de l’étranger.
Un modèle comme celui à Dubaï ou à Singapour?
Si nous estimons que 10 millions de personnes sont trop pour notre pays, nous devons nous prendre des mesures désagréables. Sinon, la Suisse perdra de son attractivité.
Vous soutenez la nouvelle initiative de l’UDC qui veut abroger la libre circulation des personnes?
Oui. Cette initiative n’est pas si radicale que cela et assure une immigration ciblée plutôt qu’une immigration illimitée.
Quelle solution pourrait-on alors trouver avec l’UE concernant l’accord-cadre?
Les deux parties ont intérêt à trouver une solution. Les entretiens exploratoires présentent de bons résultats, mais la genèse d’un mandat de négociation n’est pas encore à l’ordre du jour. On ne trouvera des solutions que si l’UE reconnaît elle aussi qu’il n’y a pas de compromis possible sur l’immigration, la directive sur les citoyens européens, la reprise dynamique du droit et la Cour de justice européenne.
C’est exactement ce que vous avez dit il y a cinq ans.
Nous ne sommes pas pressés. La Suisse est solide en ce qui concerne l’inflation, le chômage, la monnaie, les finances publiques et même l’économie d’exportation. Nous pouvons donc agir en position de force. Bien sûr, il n’est pas agréable que l’UE nous mette inutilement sous pression pour des raisons purement politiques. Cela ne fait qu’augmenter les réticences de la Suisse.
A quoi ressemblera 2023 pour la Suisse, selon vous?
Je suis très optimiste. Nous avons une économie nationale extraordinairement forte, une stabilité politique, un niveau de formation élevé et une bonne volonté de performance. L’inflation est limitée et nous n’aurons pas de récession. Mais 2023 est une année électorale, une période difficile pour faire des compromis. Ce sont l’immigration et la sécurité de l’approvisionnement qui me préoccupent le plus.
Grâce à l’hiver doux, la situation n’est pas problématique.
À court terme, oui. Mais cela ne change rien au fait que la Suisse n’a pas réussi à garantir son approvisionnement énergétique à long terme. Depuis 2005, la Suisse doit importer de l’électricité. Si la France ne peut pas fournir d’électricité l’hiver prochain, nous pourrions connaître des restrictions. C’est pourquoi il faut des centrales à gaz et ensuite de l’innovation avec le développement de nouvelles technologies.
Et qu’en est-il du nucléaire?
Nous ne pourrons pas nous en passer. C’est la source d’énergie la plus efficace et la plus propre.
Vous êtes président de l’Association Suisse d’Assurances, où vos positions tranchées ont fait couler beaucoup d’encre. Allez-vous garder vos fonctions en tant que membre de l’UDC?
Après six ans à la tête de l’association, je suis l’un des présidents qui a le plus d’ancienneté. Je transmettrai la présidence lors de l’AG de juin 2023.
En raison de votre adhésion au parti?
Non, cela n’a rien à voir. Mes opinions personnelles n’ont jamais été un problème pour l’association, ni pour moi-même. Nous discutons ouvertement au sein du comité directeur et nous trouvons toujours un consensus. Celui qui n’est pas prêt à faire des compromis n’a pas à sa place au sein de l’association.
On dit tout de même qu’Axa, l’assureur numéro un en Suisse, a quitté l’association à cause de vous.
Dans une association, c’est comme dans une entreprise ou en politique: on ne peut jamais satisfaire tout le monde à 100%.