La ministre de l’environnement et de l’énergie Simonetta Sommaruga s’est rendue cette semaine à La Haye (aux Pays-Bas), à Rotterdam et à Paris. Aux Pays-Bas, la conseillère fédérale a rencontré le ministre du climat et de l’énergie néerlandais Rob Jetten ainsi que la ministre de l’environnement Vivianne Heijnen. Dans la capitale française, Sommaruga a participé à la réunion ministérielle de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Toutes ces rencontres ont été marquées par l’attaque de la Russie contre l’Ukraine. Blick a accompagné la conseillère fédérale.
Blick: Madame Sommaruga, vous vous êtes rendue à La Haye et à Rotterdam, puis à Paris. Après l’attaque contre l’Ukraine, les thèmes phares étaient ceux de la sécurité énergétique et du gaz. Pourquoi?
Simonetta Sommaruga: En matière d’énergie, nous devons nous affranchir de la dépendance vis-à-vis de l’étranger. Pour le gaz, le pétrole et l’uranium, la Suisse dépend à 100% d’autres pays. Nous ne sommes pas sûrs d’être livrés, et les pays européens se voient actuellement contraints d’acheter de l’énergie à un agresseur comme la Russie. On cofinance ainsi la guerre, ce que personne ne souhaite. Le gaz liquide, qui peut probablement être obtenu via Rotterdam, devrait contribuer à court terme à réduire la dépendance vis-à-vis du gaz russe et à accélérer la sortie du nucléaire.
Mais l’abandon total de son utilisation serait un pas de géant.
Il y a cent ans, la Suisse a décidé d’investir dans l’énergie hydraulique indigène et de dire adieu au charbon. Cela a fonctionné en relativement peu de temps et, aujourd’hui encore, l’énergie hydraulique est l’épine dorsale de notre approvisionnement en électricité. Nous devons à nouveau faire preuve d’un tel courage.
La tendance semble aller dans l’autre sens. Les Pays-Bas veulent relancer l’exploitation du gaz. D’autres pays souhaitent miser encore plus longtemps sur les centrales nucléaires.
Ce qui m’importe pour l’instant, c’est que les ménages qui se chauffent au gaz et au mazout puissent continuer de le faire l’hiver prochain. Le Conseil fédéral a une responsabilité à cet égard. Mais il est tout aussi urgent que nous abandonnions les carburants et les combustibles fossiles. Ce n’est pas contradictoire. Je suis d’accord avec le ministre néerlandais de l’énergie Rob Jetten: alors que les Pays-Bas investissent dans l’éolien, la Suisse opte plutôt pour l’hydroélectricité et le solaire.
Est-ce que tout le monde a vraiment les moyens de se permettre de se passer du chauffage au gaz?
Ce qui est cher, ce sont les huit milliards de francs que la Suisse envoie chaque année à l’étranger pour le pétrole et le gaz. Nous ferions mieux d’investir cet argent directement dans notre pays! Nous pouvons investir 11,7 milliards de francs dans le développement des énergies renouvelables d’ici 2030. En outre, quatre milliards sont disponibles rien que pour aider les propriétaires à remplacer leurs anciens chauffages au mazout et au gaz.
Et combien l’État peut-il verser aux Suisses pour qu’ils adoptent un chauffage plus écologique?
Cela varie d’un canton à l’autre. Outre l’argent de la Confédération, les cantons versent également des contributions. Certains d’entre eux fournissent un soutien généreux depuis des années. D’autres cantons aident moins. Mais aujourd’hui, ce n’est plus compréhensible de faire ainsi machine arrière sur ce sujet.
En Suisse, nous parlons d’énergie hydraulique, éolienne et solaire. Mais il existe une entreprise qui transforme l’air en carburant d’avion. Ne faut-il pas miser davantage sur de telles techniques?
La Confédération soutient cette entreprise, qui a d’ailleurs été créée à partir de l’EPFZ. Je m’y suis rendue dans le canton de Zurich. Elle a vraiment développé une technique passionnante qui suscite un énorme intérêt dans le monde entier. Même John Kerry, l’actuel envoyé spécial du président des États-Unis pour le climat, et ancien secrétaire d’État, m’a déjà interpellée à ce sujet. Nous pouvons ainsi envisager une consommation de carburant respectueuse du climat.
Est-ce que cela a vraiment de l’avenir?
J’ai inscrit dans la nouvelle loi sur le CO2 l’obligation pour les compagnies aériennes d’utiliser un peu de carburant durable. Nous commençons modestement. Mais cela nous permet déjà d’augmenter la production de ce carburant et de créer ainsi un marché pour le carburant durable. Il existe également des projets en Hollande et en Allemagne avec cette entreprise.
Elle fait également des recherches sur des techniques permettant de filtrer le CO2 de l’air et de le stocker dans le sol, par exemple en Islande, où il se fossilise déjà en l’espace de deux ans. Est-ce la solution?
Cela peut être une solution pour les émissions de CO2 que nous ne pouvons pratiquement pas éliminer. Mais c’est encore très cher et il n’est pas possible d’avoir recours à cette méthode de manière illimitée. Il est préférable d’empêcher le plus d’émissions de CO2 possible. J’ai toutefois signé une déclaration d’intention avec les Pays-Bas afin de collaborer plus étroitement dans ce domaine.
Et pourtant, vous prévoyez la construction de centrales à gaz? Comment cela peut-il être compatible?
Permettez-moi de commencer par dire que pour éviter une situation d’urgence l’hiver prochain, le Conseil fédéral a décidé de retenir de l’eau dans les lacs d’accumulation afin qu’il y en ait toujours assez pour produire de l’électricité en cas de besoin. En complément, nous voulons une autre assurance: des centrales à gaz qui pourraient être mises en marche en cas de menace de pénurie d’électricité. Mais vu la situation de guerre, je n’exclus pas que l’on se penche à nouveau sur la question.
Vous avez dit tout à l’heure que le Conseil fédéral avait la responsabilité de veiller à ce que le gaz soit disponible tant que les ménages se chauffent encore au gaz. Mais en fait, c’est le secteur du gaz qui est responsable de l’approvisionnement.
C’est vrai. Mais le gouvernement crée les conditions-cadres pour que l’approvisionnement soit possible. J’ai engagé une discussion avec le secteur du gaz pour demander ce qu’il en était des capacités de stockage. Je voulais savoir si les livraisons de gaz se passeraient sans heurts l’hiver prochain. Il s’est avéré que le secteur du gaz devait se concerter pour réserver un bateau de gaz liquéfié, par exemple. Jusqu’alors, le droit de la concurrence l’interdisait. Je suis allée au Conseil fédéral 48 heures plus tard avec une solution qui est désormais en vigueur.
Les entreprises du secteur de l’énergie et des matières premières ont demandé de l’aide aux banques centrales. Avec Alpiq, nous avons également eu le cas avant Noël d’une entreprise en Suisse qui voulait de l’argent de la part de la Confédération.
Actuellement, nous n’avons pas de telles demandes en cours. Mais le groupe de travail que j’ai mis en place avant Noël pour Alpiq continue de fonctionner. Et le conseiller fédéral Guy Parmelin et moi-même avons encore mis en place une structure pour bien regrouper tous les travaux et rencontrer régulièrement les acteurs impliqués en plus de la Commission de l’électricité, les cantons et la branche. Il faut un échange étroit, mais aussi de la transparence s’il devait y avoir de nouveaux problèmes de liquidités et, le cas échéant, de nouvelles règles. Il n’est en tout cas pas acceptable que des entreprises de matières premières qui, il y a encore peu de temps, réalisaient des bénéfices élevés, appellent maintenant simplement à l’aide de l’État. Ce sont d’abord leurs actionnaires qui doivent être sollicités.
Et que se passera-t-il si la prochaine entreprise d’électricité frappe à votre porte?
Les entreprises d’électricité appartiennent à 90% aux cantons et aux communes. C’est pourquoi j’ai écrit, avec le conseiller fédéral Ueli Maurer, à tous les gouvernements cantonaux pour qu’ils regardent de près leurs entreprises d’énergie et suivent de près les questions de liquidités. Ils ont désormais une responsabilité sur ce sujet.
Et pourtant, une situation difficile peut survenir soudainement, comme c’est actuellement le cas avec la guerre.
Oui, l’Allemagne cherche à conclure un accord de solidarité avec l’Italie. Je suis en contact avec Berlin pour que nos intérêts soient pris en compte. L’Allemagne a signalé qu’elle était prête à inclure la Suisse dans cet accord. Dans celui-ci, les pays s’engagent à tout mettre en œuvre pour éviter les pénuries d’approvisionnement.
Mais si la Suisse devait avoir des problèmes d’approvisionnement en énergie à court terme, les pays environnants seraient probablement aussi en difficulté. Chaque pays se retrouverait alors livré à lui-même et un tel accord ne serait plus valable, non?
Non, un tel accord est justement là pour éviter ce genre de situation. C’est pourquoi on convient des mesures que chaque pays doit prendre lui-même. Où la consommation peut être rapidement réduite, où une source d’énergie peut être remplacée par une autre. Mais si cela ne suffit pas, on s’entraide.
Une volonté de s’unir semble être apparue d’un coup parmi les États européens. Y compris dans le domaine des transports transfrontaliers. Nous entendons dire qu’il sera bientôt plus facile de réserver des trains de nuit internationaux.
La volonté est là. Les Pays-Bas souhaitent poursuivre le train de nuit vers la Suisse jusqu’à Rome. Nous sommes d’accord avec les Pays-Bas pour dire qu’il doit être possible de voyager en Railjet d’Amsterdam à Rome avec un seul billet. Aujourd’hui, cela ne va malheureusement pas encore de soi dans le trafic ferroviaire. Le billet unique doit être un projet pilote et donc un modèle pour les autres trains de nuit.
Quel est exactement l’avantage?
L’objectif doit être que le client du train ait une vue d’ensemble sur son téléphone portable ou sa tablette pour savoir quel train l’emmène à la destination souhaitée en Europe et combien cela coûte. Et il doit également pouvoir acheter son billet sur son appareil, quel que soit le nombre de pays qu’il traverse.
Cela semble incompréhensible que ce ne soit pas déjà le cas.
Je sais. Mais les trains ont longtemps été une affaire nationale. On avait sa propre largeur de rail et son propre matériel roulant. Ce n’est que depuis quelques années que l’on a commencé à planifier davantage en commun. Beaucoup de choses fonctionnent déjà bien. Mais il faut encore s’améliorer.
Nous sommes actuellement dans un train de Paris pour la Suisse. La veille, nous étions encore en Hollande. Mercredi, l’obligation de porter un masque dans le train y a été supprimée. La Suisse va-t-elle bientôt s’aligner?
C’est ce que prévoit le Conseil fédéral. Mais il est bon que nous examinions à nouveau la situation liée au Covid. Nous verrons ce que le Conseil fédéral décidera. Une chose est sûre: même après la chute de l’obligation du port du masque, les gens sont libres de continuer à se protéger et à protéger les autres en en portant volontairement un.
Votre voyage vous a également conduit à Rotterdam. Le port de Rotterdam et le port rhénan de Bâle ont conclu un accord pour une meilleure collaboration. Qu’est-ce que cela apporte concrètement?
Sur les marchandises qui arrivent dans notre pays, 10% y rentrent via le port rhénan. Même 30% de l’énergie que nous importons passe par ce port. Avec le transfert des marchandises sur le rail et la construction de la NLFA (Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes), nous avons créé une solution de transport écologique que d’autres peuvent également utiliser. C’est justement ce que veulent les Pays-Bas. La navigation est un mode de transport écologique. Et la NLFA est la continuation écologique de la liaison Rotterdam-Gênes. Les deux parties souhaitent maintenant exploiter encore mieux le potentiel du Rhin et du rail. J’attends beaucoup de la coopération avec les Pays-Bas.
(Adaptation par Louise Maksimovic)