«La Suisse alémanique sauve l'AVS.» Le titre ne vient pas d'un tabloïd, mais de la respectée «Neue Zürcher Zeitung», ce lundi. Pour étayer son analyse, le quotidien zurichois publie en Une la carte du vote des Suisses sur la réforme de l'AVS: les cantons latins en rouge (donc opposés), les cantons alémaniques en bleu, à l'exception notoire de Bâle-Ville, de Schaffhouse et de Soleure, où des bulletins avaient été mal comptés.
Un choix éditorial qui n'a pas échappé aux yeux aiguisés des éditorialistes, Philippe Reichen en tête. «Dans ce titre, il y a de la méchanceté envers la Suisse romande», écrit le correspondant pour Tamedia de ce côté-ci de la Sarine, lui-même alémanique.
Puisque l'on est dans la petite cuisine médiatique, restons-y et parlons röstis. Röstigraben, plutôt. Si le fossé linguistique et culturel était attendu sur cet objet, il a animé la séance de rédaction, ce lundi matin à Blick. Avec une question centrale, à laquelle personne n'avait de réponse: les femmes alémaniques ont-elles soutenu la réforme? Ou alors les hommes alémaniques se sont-ils tellement engagés pour AVS 21 qu'ils ont fait basculer la majorité?
L'avantage d'être un média national, c'est d'avoir des collègues directement concernés. À peine la question posée via messagerie à Sermîn Faki, cheffe de notre rubrique politique à Berne, que la réponse fuse. «Tu es sûre que les femmes totos (sic!) ont voté oui? Attends, je t'appelle.» Voici la conversation, entre explorations, recherches journalistiques et impressions personnelles.
Salut Sermîn. S'il te plaît, éclaire notre lanterne et explique-nous ce vote avec un œil alémanique...
J'aimerais bien! Mais il faut attendre des chiffres pour avoir une analyse robuste — j'ai commandé toutes les données possibles pour pouvoir comprendre. Ceci dit, j'ai déjà pu discuter ce matin avec des politologues et des instituts de sondages.
Et qu'en ressort-il?
D'après les premiers éléments à disposition, il semble que les électrices du PLR aient voté largement en faveur de la réforme. C'est aussi le cas des partisanes de l'UDC ainsi que du Centre et des Vert'libéraux, même si dans une moins grande proportion. Les chiffres de la participation par genre seront intéressants, pour savoir dans quelle mesure les femmes se sont mobilisées.
Ça, c'est ton œil de fine analyste politique. Mais parlons plutôt feeling. Ma collègue Daniella Gorbunova a écrit un commentaire plutôt amer que beaucoup de Romandes partagent. Travailler un an de plus, c'est plus acceptable pour les femmes de ton côté de la Sarine?
Il y a un important Röstigraben, c'est vrai, mais il faut rester prudent: il est bien moins explicatif que le clivage hommes — femmes, m'ont assuré les experts. Il y a d'ailleurs des communes de l'Oberland bernois qui ont voté contre AVS 21, ainsi que Schaffhouse, Bâle-Ville et désormais Soleure.
Tu n'as donc pas l'impression que les femmes alémaniques ont été plus mesurées dans leur opposition au projet?
C'est possible. Je connais des femmes de gauche qui ont voté oui.
Pour quelles raisons?
On a l'impression que la situation était bloquée sur les retraites et qu'il fallait faire un pas pour sortir de l'impasse. Certaines jeunes femmes attachées à l'égalité estiment que cela passe aussi par un travail égal. En espérant que les salaires suivent.
Justement: ce «premier pas» passait mal en Suisse romande, où les femmes demandaient d'avoir des acquis similaires avant d'égaliser l'âge de la retraite.
Il sera intéressant de voir s'il y a vraiment une différence dans les votes. Par exemple si les Romandes ont vraiment voté à 90% contre la réforme, ce dont j'ai l'impression quand tu me parles (rires).
Est-ce que la perception de l'État social, différente entre Romands et Alémaniques, a aussi pu jouer un rôle, selon toi?
Oui, ça c'est vraiment clair. Il n'y a pas besoin d'attendre les chiffres: il suffit d'observer toutes les votations relatives aux assurances sociales — la Suisse romande vote toujours pour davantage d'État.