Elles descendent dans la rue. Alors que deux districts de la ville de Zurich devaient encore fournir leurs résultats et ainsi valider officiellement la victoire d'Alain Berset et des partisans d'AVS 21, les femmes du parti du Fribourgeois (!) appelaient déjà via communiqué et les réseaux sociaux à un rassemblement sur la place de la gare, ce lundi.
«Nous sommes en colère», clament les femmes. Et il y a de quoi, à en croire le politologue Claude Longchamp. Avec un résultat aussi serré (moins de 35'000 voix d'écart), on peut conclure que ce sont les hommes qui ont fait pencher la balance en faveur d'AVS 21. «Il va s'agir d'un record: jamais un clivage de genre n'aura été aussi marqué que sur cet objet», prédisait le politologue fribourgeois dimanche soir sur Blick TV.
Une analyse confirmée par un sondage post-électoral commandé par le «Tages-Anzeiger»: presque deux hommes sur trois (65%) ont soutenu la réforme AVS 21, alors que les femmes ne sont que 37% à avoir glissé un oui dans l'urne. Ce n'est pas la première fois que les genres votent différemment, mais l'ampleur est inédite et, surtout, les hommes ont en l'occurrence «imposé» aux femmes de travailler un an de plus puisqu'elles étaient directement concernées par l'objet.
Comment l'expliquer? Selon Claude Longchamp, l'argument du camp bourgeois selon lequel les femmes ont une plus grande espérance de vie et ne sont pas contraintes au service militaire pourrait avoir pesé. «De plus, la grève des femmes a fait l'objet d'une grande couverture médiatique, tout comme l'écart salarial ou les difficultés à concilier vie privée et professionnelle. Les hommes peuvent avoir eu l'impression qu'on va vers davantage d'égalité.»
«Le courroux féminin est légitimé»
Les femmes, elles, ne semblent pas croire à ces promesses et ne voulaient pas lâcher du lest avant que l'égalité soit effective. Ainsi, le fait que les femmes touchent une retraite inférieure d'un tiers à celle des hommes et qu'une femme sur dix dépend des prestations complémentaires après sa retraite, comme l'ont beaucoup thématisé la gauche et les syndicats, ne passe pas du tout.
Qu'attendre des mobilisations annoncées ce lundi et surtout en juin prochain pour une nouvelle grève des femmes? Si AVS 21 avait été accepté par 58% des citoyens (hommes et femmes) au lieu d'un très maigre 50,6%, la protestation des femmes aurait été moins comprise. Mais avec ce succès étriqué et obtenu par une majorité masculine, le courroux féminin est légitimé, selon le politologue.
La «ronde des éléphants» (réunion des présidents de partis) organisée dimanche après-midi par Blick TV a été extrêmement symbolique: la coprésidente du PS Mattea Meyer seule face à trois hommes plus âgés qu'elle. La Bâloise a été très offensive et a obtenu des présidents de l'UDC, du PLR et du Centre qu'ils reconnaissent la nécessité de faire des concessions aux femmes dans le cadre de la réforme du 2e pilier (LPP) à venir. Comme Saint-Thomas, la socialiste attend de voir.
Fort Röstigraben
Il y a, quoi qu'il en soit, deux lectures pour ce scrutin: d'un côté, Alain Berset a réussi à faire accepter par le peuple un projet relatif à la prévoyance pour la première fois depuis trois décennies. Mais, de l'autre, le pays apparaît très divisé: en plus des femmes, deux grandes catégories de citoyens (les Romands et les Tessinois) ont été minorisés.
Les prochains dossiers sur les retraites seront tout sauf une promenade de santé pour les partis bourgeois et les faîtières de l'économie. L'initiative des syndicats pour la création d'une 13e rente AVS devrait avoir le vent en poupe — encore plus si le Parlement devait rester en deçà de ses promesses lors de la révision de la LPP.
Victoire à la Pyrrhus?
En parallèle, la partie sera très compliquée pour les Jeunes PLR, qui demandent dans une initiative de relever l'âge de la retraite des femmes et des hommes à 66 ans et de l'indexer dans le futur à l'espérance de vie. Le président du Centre, Gerhard Pfister, en est conscient: il a souligné à plusieurs reprises ce dimanche la nécessité d'aboutir à des projets équilibrés, sinon «il n'y a aucune chance».
La victoire de la droite, que certains qualifient d'«à la Pyrrhus», aurait même pu se transformer en défaite tant la marge a été infime. «Les opposants vont s'en mordre les doigts, prédit Claude Longchamp. S'ils avaient commencé leur campagne deux semaines plus tôt, ils seraient sans doute parvenus à faire capoter le projet.» La conférence de presse du camp du non avait, en effet, été convoquée fin août, un petit mois avant le scrutin.