Pourquoi les truites meurent-elles en série?
Le canton de Berne impuissant face au mystère du Blausee

La mort des truites du Blausee préoccupe les autorités bernoises. Le mystère reste entier. Le canton, qui a fait analyser des échantillons d'eau pour tenter de détecter plus de 700 substances, n'a pratiquement rien trouvé.
Publié: 04.06.2021 à 10:37 heures
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Dernière mise à jour: 04.06.2021 à 13:47 heures
Reza Rafi

Des dizaines de poissons inertes flottant ventre à l'air dans les eaux turquoises du Blausee. Voilà le début de ce feuilleton qui a commencé en 2017 au cœur d'un village pittoresque de l'Oberland bernois. Quelques truites sont mortes, puis des dizaines de milliers ont suivi: une véritable hécatombe aquatique. Les propriétaires du lac ont lancé leur propre enquête – en utilisant parfois des méthodes peu orthodoxes. Le ministère public de Berne a aussi ouvert une procédure pénale contre inconnu suite à la plainte des propriétaires du Blausee. Ces derniers avaient notamment dans le collimateur une carrière appartenant à la société Vigier.

Des conférences de presse, des articles et reportages (dont beaucoup de titres de renom, de la «Rundschau» de la SRF à la «Berner Zeitung») ainsi que plusieurs rapports d'experts ont suivi ces événements. Ce scandale environnemental a fait parler de lui dans tout le pays.

Au début de l'affaire, le trio propriétaire du Blausee n'avançait pas beaucoup de chiffres. Lors de leurs prises de parole publiques, le fondateur du Forum économique suisse Stefan Linder, le parrain de Globetrotter André Lüthi et le banquier de Blackrock Philipp Hildebrand avaient surtout parlé de sites contaminés, de déchets et de substances toxiques.

Des résultats ahurissants

Pour la première fois, des chiffres concrets ont été présentés et ils sont pour le moins étonnants. En juin et en septembre 2020, le canton de Berne avait fait analyser des échantillons provenant des eaux souterraines de la pisciculture et de la source forestière voisine.

Mardi, le directeur des constructions et des transports de Berne, Christoph Neuhaus, a transmis le rapport d'enquête du 6 mai à ses collègues du gouvernement. Mais selon lui, «Rien n'indique que les eaux souterraines soient affectées par des polluants.» Le «SonntagsBlick» a également eu accès à cette analyse de 13 pages.

Plus de 700 substances ont été examinées dans les eaux souterraines et les eaux de source, mais les experts n'ont pratiquement rien trouvé au-dessus des seuils autorisés. Pas de trace d'ammonium ni de nitrite et les taux de pesticides, produits pharmaceutiques, produits chimiques industriels, explosifs, agents de contraste radiologiques, glyphosate, édulcorants artificiels et hydrocarbures aromatiques polycycliques étaient tous inférieurs au seuil de détection.

Plus propre que certaines eaux du robinet

Les experts n'ont trouvé que des traces de zinc dans la source forestière et dans les eaux souterraines. Ils ont enfin détecté 0,16 nanogramme de nitropenta par litre dans la carrière. Selon l'Office fédéral de l'environnement (OFEV), la concentration de nitropenta devient inquiétante au-delà de 70'000 nanogrammes. Conclusion pour le moins déconcertante de ces résultats: les échantillons d'eau testés sont de meilleure qualité que certaines eaux du robinet.

Oliver Steiner, chef de service à l'Office des eaux et des déchets (OED), confirme les résultats de l'enquête. Il ajoute: «L'OED procédera à un nouvel échantillonnage et à une nouvelle analyse des eaux souterraines et des eaux de source dans la région de Blausee/Mitholz en septembre 2021.» Le 16 avril, du matériel a à nouveau été prélevé dans la zone de la carrière.

Que signifient alors ces résultats pour l'enquête? Linder, Lüthi et Hildebrand sont-ils allés trop loin dans leurs thèses? La cause de ce désastre écologique se trouverait-elle ailleurs? Les propriétaires du Blausee rejettent fermement les autres explications qui mettent par exemple en cause l'alimentation ou l'élevage des poissons.

Entrée principale du lac Blausee. Le lac est une destination d'excursion populaire.
Photo: Anthony Anex/Keystone

Contre-opinion indépendante

Le procureur général a muselé Blausee AG. L'entreprise ne juge pas les chiffres de l'enquête cantonale fiables: elle considère ces analyses comme des prises de position. Elle assure disposer de rapports d'experts indépendants qui prouveraient la présence de concentrations élevées de polluants dans les eaux souterraines et les cadavres de truites.

Les autorités bernoises ont proposé une explication à l'absence de polluants dans l'eau lors des relevés. Le poison pourrait provenir de déchets déversés illégalement dans le lac. Les déchets issus des traverses de chemin de fer imbibées d'huile de goudron et des boues toxiques de la carrière située au-dessus du lac pourraient en être les sources. Ces substances auraient atteint les poissons après de fortes pluies. Les mortalités massives sont d'ailleurs survenues après de fortes pluies et lorsque le niveau des eaux souterraines était élevé, comme l'a rapporté Blausee AG l'automne dernier.

On peut relever une bonne nouvelle dans cette histoire: le déversement de matériaux contaminés a cessé l'été dernier et, avec lui, la mystérieuse mortalité de poissons. Tout le reste fait l'objet de la procédure pénale en cours (et sera, espérons-le, bientôt élucidé).

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