Ses fidèles sont outrés
Un curé de Lausanne appelle à fabriquer des armes

L’abbé de l’église Sainte-Thérèse de Lausanne a pris position sur la guerre qui endeuille la République démocratique du Congo (RDC) dans une vidéo publiée sur YouTube. Des propos guerriers qui ont fait bondir une fidèle. Contactée, l’Eglise dit analyser le cas.
Publié: 06:02 heures
|
Dernière mise à jour: 08:23 heures
1/2
L'eglise Sainte-Thérèse de Lausanne a été secouée par des déclarations guerrières dérangeantes de son curé.
Photo: Blaise Kormann
ANTOINE ZOOM (1).png
Antoine HürlimannResponsable de l'actualité de L'illustré

Après l’imam haineux de Bienne, le curé belliqueux de Lausanne? Les catholiques du bas de la capitale olympique qui fréquentent l’église Sainte-Thérèse, non loin du cimetière de Montoie, sont accueillis côté parking par une banderole rouge délavée par le soleil: «Bienvenue à la maison». Malgré ces mots chaleureux, cela fait plusieurs mois que Florence Duarte, une paroissienne autrefois très investie en ce lieu saint, ne s’y sent plus chez elle. Au point de ne plus y mettre les pieds tant son malaise est grand.

En cause, des vidéos tournées et publiées sur YouTube par le curé qui y officie depuis septembre 2023. Dans ces capsules aujourd’hui supprimées, l’abbé en question, originaire de la République démocratique du Congo (RDC), se penche sur la guerre interminable qui endeuille son pays depuis de longues années.

Pour le contexte, la province du Nord-Kivu, dans l’est de la RDC, connaît un regain de violences entre les forces gouvernementales et les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). Les choses se sont encore davantage envenimées fin 2024, le groupe continuant sa conquête vers le sud, avec le soutien du Rwanda. 

«Un discours guerrier»

Problème, l’homme d’Eglise prend clairement position sur ledit conflit et prononce des mots durs, en particulier dans un clip d’une vingtaine de minutes. «Je ne peux pas recevoir la communion des mains d’un homme qui tient un discours guerrier», s’étrangle la journaliste de profession, qui a noirci les colonnes de «L’Hebdo», du mensuel «Edelweiss» ou encore de «L’illustré» au cours de sa carrière. La quinquagénaire souffle avec émotion: «Ses propos sont en contradiction avec le message d’amour et de pardon du Christ ainsi qu’avec la hauteur qu’impose sa fonction. Ils me choquent et me heurtent terriblement.»

«
Nous avons beaucoup de jeunes qui sont formés. Repérez ces cerveaux-là, mettez-les dans les bonnes conditions pour qu’ils puissent fabriquer des armes
Le curé de l’église Sainte-Thérèse de Lausanne
»

De quoi parle-t-on exactement? Notre interlocutrice nous a fourni une copie de la bande qui l’a fait bondir au plafond ainsi qu’une retranscription des déclarations litigieuses. Morceaux choisis: «Nous avons beaucoup de jeunes qui sont formés, des ingénieurs. Repérez ces cerveaux-là, mettez-les dans les bonnes conditions pour qu’ils puissent fabriquer des armes.» Deuxième exemple: «Faire du Congo une grande puissance. [...] Avoir un budget conséquent pour former l’armée, une armée forte [contre laquelle] aucun pays étranger ne peut venir se hasarder ou s’aventurer.»

Enchaînons: «Il faut repérer tous ces gens qui ont participé à la guerre [...], il faut arrêter tous ces gens-là, parce qu’ils ont commis des crimes, les juger, les condamner, ils restent à vie en prison.» Et le religieux de conclure: «Que Dieu soutienne le peuple congolais dans sa lutte de libération.»

Un silence pesant

Celle dont le fils adolescent a été servant de messe plus de trois ans durant à Sainte-Thérèse et qui s’est engagée sans compter pour la structure qu’elle considérait comme sa propre famille ne décolère pas. D’autant plus qu’elle attend depuis bientôt une année que l’Eglise réponde formellement à son signalement. «J’ai eu un rendez-vous de deux heures et demie avec, notamment, le représentant vaudois de Charles Morerod (ndlr: l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg).

Nous avons ensuite échangé des courriels et puis plus rien. Aucune information. Y a-t-il eu une sanction? Un avertissement? Une position de l’évêque? Un communiqué aux paroissiens? Un courrier? Une proposition de rencontre et d’explications? Des excuses? A ma connaissance, rien de tout cela.» 

«
La région diocésaine du canton de Vaud a fait immédiatement retirer lesdites vidéos
Laure-Christine Grandjean, porte-parole de l’évêque Charles Morerod
»

Elle ajoute, amère: «Par contre, en attendant, le représentant de l’évêque pour Vaud m’a conseillé de changer d’église. Comme si, dans toute cette histoire, c’était moi qui posais un problème puisque j’avais osé manifester ma désapprobation.» Comment comprend-elle cette attente conséquente? «Comme une manière d’affirmer qu’il faut avant tout préserver l’institution, ceux qui la représentent et que le reste est secondaire. Pour moi, l’essentiel, c’est que les personnes impliquées dans une paroisse, avec un titre ou une fonction, respectent les autres et la foi. Croyez-moi, je n’agis pas par plaisir. Remuer cette histoire et faire mauvaise presse à ma communauté me serre les tripes. C’est toutefois visiblement nécessaire pour mettre fin à ces pratiques contraires à ce que nous enseignent les Evangiles.»

L’abbé se mure dans le silence

Nous avons contacté le principal intéressé. Au bout du fil, il ne décline pas notre demande d’entretien, mais requiert un délai avant de nous recevoir, évoquant «un deuil».

Trois jours plus tard, il se ravise par SMS: «J’ai été entendu par mes autorités ecclésiastiques au niveau de la région diocésaine il y a de cela presque six mois. Je ne suis pas disponible pour accorder une interview revenant sur cette situation. J’ai expliqué le contexte de mes propos au regard de la situation douloureuse que nous traversons au Congo.» Nous insistons: «Regrettez-vous vos propos?» Pas de réponse.

Le responsable de la communication de Mgr Charles Morerod a répondu de manière laconique à l'affaire.
Photo: KEYSTONE

Nous ne nous sommes pas contentés de ce dégagement en touche. Nous avons remonté la hiérarchie et adressé une série de questions à Mgr Charles Morerod. Que pense-t-il des considérations de l’abbé lausannois dans la vidéo dont il a pu prendre connaissance? Juge-t-il ses dires militaristes compatibles avec le message du Christ? Quelles suites y donnera-t-il? Pourquoi Florence Duarte est-elle toujours en attente de réponse? Plus généralement, un homme d’Eglise peut-il tenir publiquement des propos politiques et bellicistes? 

Des cas pas si simples

Laure-Christine Grandjean, responsable de la communication du diocèse de Lausanne, Genève, Fribourg et porte-parole de son évêque, nous répond laconiquement par e-mail. «La prise en charge du dossier a été déléguée, depuis plusieurs mois déjà, à la région diocésaine du canton de Vaud. Celle-ci a fait immédiatement retirer lesdites vidéos et organisé plusieurs rencontres, dont une avec votre collègue journaliste. La communication et les mesures nécessaires prendront effet après analyse de l’ensemble.» 

Nous la relançons. Est-il normal que cette procédure fondée sur des éléments a priori relativement clairs, puisqu’il s’agit de faits documentés, prenne autant de temps? Quand se terminera-t-elle? «Le représentant de l’évêque pour Vaud envisage la mi-mars, lâche-t-elle. Il ne s’agit jamais de cas simples et le temps est nécessaire pour éclaircir au mieux ces situations sensibles.» Florence Duarte, tout comme notre rédaction, étudiera attentivement ces conclusions.

Un article de L'illustré

Cet article a été publié initialement dans le n°11 de L'illustré, paru en kiosque le 13 mars 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°11 de L'illustré, paru en kiosque le 13 mars 2025.

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la