Record du monde de fondue
Pourquoi cette fondue française faisait-elle d’horribles fils?

Après la raclette, la France s’attaque à la fondue avec un record controversé au Fort des Rousses, dans le Jura. En Suisse, l’heure n’est pas à la résignation: les experts du Gruyère réfléchissent déjà à rétablir la tradition de la «vraie» fondue, la Moitié-Moitié!
Publié: 17:07 heures
La plus grande fondue du monde était au Comté. Les fils façon croque-monsieur n'ont pas plu à tout le monde au pays du Gruyère.
Photo: RTS, «19h30», 23.02.2024
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Les Français en ont-ils si marre de la blanquette qu'ils doivent s'approprier la gastronomie alpine? Après avoir remporté le record de la plus grande raclette du monde, c'est désormais à la fondue qu'ils s'attaquent. Le 22 février, ils étaient 5000 à table au Fort des Rousses (F), profitant d'une gigantesque fondue jurassienne.

Si la Suisse hoquète à chacune de ces victoires du voisin, c'est que rien n'est fait exactement dans les règles de l'art. Pour sa méga-raclette, la France avait utilisé des raclonettes. Le Valais s'est immédiatement mobilisé pour ramener la coupe à la maison. Le festin se tiendra le 5 avril, avec de vrais fours, et l'unique fromage qui vaille, le Raclette AOP Valais.

Une fondue géante… au Comté

Au «19h30» de la RTS, lundi soir, même constat. Quelle drôle de fondue que cette mixture qui fait des fils à n'en plus finir. Qu'est-ce que les Jurassiens mettent dans leurs caquelons? La réponse est simple: du Comté. Et c'est tout.

«Faire une fondue ne s'improvise pas et elle doit être servie au bon moment, à la bonne température, met en avant Pierre-Ivan Guyot, président de l'Interprofession du Gruyère. Le fromage, la recette et le 'tour de main' jouent un rôle essentiel en tous les cas, surtout pour une fondue aussi volumineuse.»

La vraie fondue, un art suisse

En Suisse, la recette de la fondue Moitié-Moitié est entrée dans la légende. Beau joueur, Pierre-Ivan Guyot reconnaît aussi l'importance du Vacherin dans le plat national. «Il est vrai que le Vacherin fribourgeois, une pâte mi-dure, amène un peu d’onctuosité, aussi bien dans la fondue Moitié-Moitié que dans d’autres recettes où il est intégré», indique-t-il.

Il faut admettre que les images du record suisse de 1998 content une tout autre histoire que l'élasticité jurassienne. Le fromage coule, crémeux, dans les caquelons dégustés par 6000 personnes réunies alors à Neuchâtel.

Suisse: records en 1998 et en 2009

Il est donc possible de réaliser une bonne fondue, même en brassant des tonnes de fromage. «Bien sûr, appuie Pierre-Ivan Guyot. Mais cela demande de solides compétences, un mélange de fondue de qualité et une infrastructure adéquate.» En 1998, ce sont des clubs de lutte locaux qui prêtent leurs muscles au brassage du caquelon géant. Succès garanti.

Depuis, la Suisse a battu son propre record en 2009, à La Chaux-de-Fonds (NE). Le fromager Philippe Geinoz y était. Aujourd'hui, il est partant pour que l'honneur revienne à Fribourg. «La fondue, c'est au Gruyère, un point c'est tout, assure-t-il. On aimerait organiser un événement romand, sous l'impulsion de l'Interprofession.»

Revanche à prendre

Cette dernière se laissera-t-elle tenter? «Il est un peu tôt pour l’affirmer, mais c’est évidemment quelque-chose qui doit pouvoir s’envisager», tempère son président. Décrocher le record n'est pas qu'une occasion de rigoler.

C'est aussi une excellente pub pour le terroir. «Du point de vue de l’Interprofession du Gruyère, ce n’est que positif, car cela fait parler de notre produit, la fondue étant chez nous inévitablement associée au Gruyère, indique Pierre-Ivan Guyot. J’imagine qu’il en va de même pour nos amis du Vacherin.»

Sanctuariser la fondue?

Faudrait-il arrêter ces allers-retours entre pays amateurs de fromage et sacrer la «suissitude» de la fondue, ou de la raclette, en inscrivant ces plats au patrimoine de l'Unesco? Pour le boss du Gruyère, ça n'a pas beaucoup d'intérêt.

Il explique: «La fondue Moitié-Moitié est un type de fondue parmi d’autres. En l’occurrence, il s’agit d’une fondue moitié Gruyère AOP et moitié Vacherin fribourgeois AOP. Elle est déjà protégée par un label et une inscription 'Unesco' n’amènerait rien de plus, en tout cas n’empêcherait pas nos voisins français de faire leurs propres fondues.»

«Pas une bonne image du produit»

À noter que les tous les Suisses ne chérissent pas ce festival d'abondance. «Expérience faite, ce n'est pas ça, l'image de la fondue», regrette Manu Piller, fromager et restaurateur à Semsales (FR).

En 2010, il a tenté le record de fondue pour le compte d'une société de foot locale. «La fondue allait, ce n'était pas une catastrophe, mais ce n'est pas une manière de mettre en valeur le produit.» Dans le Jura français, samedi, les convives ont partagé plus de deux tonnes de fromage. «Je me demande combien ont été donnés aux cochons», déplore le fromager, qui préfère la convivialité d'une fondue familiale.

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