Que pense l’UNRWA du vote au Parlement suisse du 18 février, qui propose d’abolir définitivement l’aide à l’agence de l'ONU dédiée à l'assistance humanitaire des Palestiniens? Blick a recueilli les réponses du Français Marc Lassouaoui, responsable adjoint du Bureau de représentation de l’UNRWA en Europe.
Marc Lassouaoui, comment réagit l’UNRWA au signal négatif envoyé par un vote d’une commission du Parlement suisse en faveur d’une suspension définitive de l’aide à l’UNRWA (qui fera l’objet d’un vote final le 18 mars)?
Nous sommes déçus de ces évolutions et regrettons ce vote. Nous espérons que le 18 mars prochain, quand le Conseil des Etats va se réunir et prendre une décision finale, il prendra en considération toutes ces populations qui dépendent de l’UNRWA pour leur survie. Aujourd’hui, si une telle décision a lieu, elle aura des répercussions individuelles très néfastes pour les gens que nous soutenons, qui ont vécu 15 mois dans des situations infernales à Gaza.
De même que pour ces gens qui continuent de souffrir en Cisjordanie, où la situation est aussi très tendue. Notre organisation est un pilier de l’assistance humanitaire à Gaza. En Cisjordanie, des dizaines de milliers d’enfants dépendent de l’UNRWA pour leur éducation. Si on veut être sérieux avec le cessez-le-feu à Gaza, ce n’est pas le moment d’affaiblir l’aide humanitaire alors même qu’elle est une des conditions pour le cessez-le-feu.
Quel est aujourd'hui le but de l'agence?
L’UNRWA reste une entité temporaire dont le but est de remettre, à terme, ses services à un Etat palestinien à même d’opérer. Affaiblir l’UNRWA, c’est remettre en question la solution à deux Etats. Nous espérons qu’en Suisse, le Conseil des Etats prendra en compte tous ces éléments. Mentionnons aussi que le CICR (ndlr: le Comité international de la Croix-Rouge), une institution née en Suisse et centrale à l’aide humanitaire, a déclaré que l’UNRWA était indispensable, ce qui devrait aussi influencer le débat en Suisse.
Que pensez-vous de l’autre motion votée hier en Suisse, celle qui prévoit une aide conditionnelle à une restructuration de l’UNRWA ou à son remplacement par une autre agence?
Il faut ici rappeler que l’UNRWA a été l’agence la plus surveillée de toutes les agences des Nations Unies. La neutralité de l’UNRWA fait l’objet d’un examen continu par les Etats, notamment par la commission consultative de l’agence, dont la Suisse est membre. Les Etats sont au courant de tous les efforts que fait l’agence pour garantir son intégrité. Des audits ont été menés par la Commission européenne. Ils sont clairs et disent que l’UNRWA dispose d’un bon système de neutralité.
Qu'en est-il des accusations quant à des liens avec le Hamas?
Quand on travaille dans une région aussi difficile que le Proche-Orient, il y a toujours des risques d’incidents. L’UNRWA a toujours agi rapidement quand les preuves nécessaires ont été apportées sur des cas individuels. Nous avons pris les sanctions qu’il fallait contre les personnes responsables de mauvaise conduite. Si bien qu’après la période de soupçon dont l’UNRWA a fait l’objet, et qui s’était accompagnée du retrait du financement de 16 pays, tous sauf les USA ont réinstauré leur financement. La communauté internationale sait que nous faisons un bon travail au niveau de la neutralité et que nous sommes prêts à agir en cas d’incidents.
Mais que répondez-vous à un possible remplacement de l’UNRWA?
Remplacer l’UNRWA n’est pas possible. Nous sommes la seule agence du système onusien qui fournit des services de type étatique à des millions de personnes au Proche-Orient, dans les territoires palestiniens, en Syrie, en Jordanie et au Liban. Ce sont des services qui ne peuvent être repris à terme que par des gouvernements.
N'y a-t-il pas d'autres agences capables de fournir ces services?
Aucune agence des Nations Unies ne peut reprendre des services de santé de base et d’éducation primaire habituellement fournis par des Etats. De plus, on ne remplace pas une agence qui fournit plus de la moitié des services humanitaires en plein milieu d’une crise. Par ailleurs, l'UNRWA fournit ses services à un coût très bas, car les salaires de tous les employés de l’agence ont été établis aux prix locaux (de Gaza, du Liban ou de Jordanie).
Si une agence des Nations Unies devait prendre la relève avec les niveaux de salaire de leurs employés locaux, cela exploserait les budgets pour un même service. Donc il n’y a aucune logique ni possibilité pour que d’autres reprennent nos services. Le mandat de l’UNRWA a toujours été temporaire. Sur le long terme, c’est vrai, il faut penser à une transformation, à une solution politique, visant à transférer nos services à une administration palestinienne habilitée. Si la communauté internationale veut voir la solution à deux Etats, le rôle de l’UNRWA dans cette transition est donc essentiel. En attendant, il faut préserver l’UNRWA absolument.
Comment réagissez-vous au durcissement de la position suisse, comparé à celle de l’UE ou d’autres donateurs?
D’autres pays ont repris leur soutien et la communauté internationale approuve largement l’UNRWA, comme l’ont illustré les prises de position à l’Assemblée générale de l’ONU. Dans ce cadre, la position de la Suisse s’écarte de la majorité des pays. Jusqu’en 2023, la Suisse donnait 23 millions de dollars, ce qui représentait un soutien fort du pays. L’an dernier, ce montant a diminué de moitié. Si la motion précitée passe, il n’y aura plus de financement de la Suisse. Qui s’alignerait donc avec les positions américaines et serait très en marge de ce que font les pays européens, à part la Suède.
Que font les autres pays européens?
Le Royaume-Uni et le Danemark augmentent leur soutien. L’Allemagne et la France nous soutiennent et comprennent l’importance, pour la stabilité de la région et dans un contexte de cessez-le-feu fragile, de soutenir l’UNRWA. L’Allemagne et la Commission européenne sont aujourd’hui les deux plus importants bailleurs.
Comment se portent les finances de l’UNRWA? Avez-vous assez d’argent pour fonctionner?
Notre situation financière a toujours été précaire. Notre budget de base est assez peu flexible. Nous avons besoin chaque année d’un peu plus de 800 millions de dollars pour opérer (éducation, santé, programmes d’urgence). Certaines contributions arrivent en début d’année et d’autres en fin d’année. Nous sommes donc préoccupés car nous ne pouvons pas dire aujourd’hui si nous allons recevoir ces 800 millions dont nous avons besoin pour 2025.
Qu'allez-vous faire pour vous assurer des dons suffisants?
On est dans une phase où on doit encourager les Etats à prendre en compte tout ce qui a été dit précédemment. Nous ne voulons pas nous trouver dans une situation où nous devrions dire à nos employés, docteurs, professeurs, travailleurs sociaux, notamment ceux qui opèrent à Gaza, que nous n’avons pas assez d’argent pour payer leur salaire. C’est pourquoi il est essentiel que la Suisse continue à nous soutenir. Nous avons aussi vu une très belle mobilisation de particuliers de partout dans le monde, qui ont représenté 150 millions de dollars l’an dernier.