S'il y a bien quelqu'un qui connait les traditions des Brandons de Payerne, c'est la présidente du Conseil d'Etat vaudois Christelle Luisier Brodard. Dans l'affaire de la dénonciation des tags racistes et sexistes barbouillés sur les commerces, l'élue PLR se trouve précisément à l'intersection des enjeux carnavalesques du moment.
Au gouvernement vaudois, la ministre cantonale est à la tête du Département des institutions, du territoire et du sport (DITS). Et en ce sens, elle a pour mission d'«assurer les relations entre l'Etat et les communautés religieuses». Les tags faisant référence à la guerre de 39-45, à la solution finale et au gazage des juifs – retrouvés sur et autour de l'ancien Manor Bladt, tenu par la même famille juive de Payerne depuis 1899 – sont donc de son ressort.
Payerne et ses Brandons dans son ADN
Mais ce n'est pas tout. Avant d'arriver à la tête du canton de Vaud, la libérale-radicale a longtemps été syndique… de Payerne. La Broyarde n'a jamais manqué une édition des Brandons. Elle s'y est tantôt déguisée en fée, tantôt en héroïne de manga – rapportait «L'illustré» en 2022 – et a laissé symboliquement à plusieurs reprises, le temps des festivités, les clés de la ville au «comité des masqués» qui organise le carnaval.
Enfin, jusqu'à il y a peu, elle avait pour collaborateur personnel un certain Lionel Voinçon, qui a quitté ses fonctions pour se présenter et accéder à la Municipalité de Payerne. Comme l'a dévoilé Blick mercredi, en plein début de mandat, l'élu payernois a fait partie du groupe des Barbouilleurs, à l'origine des tags controversés des Brandons. A la suite des réactions outrées, la Municipalité dont il fait partie «déplore la teneur des propos sur certaines vitrines» et le comité des Brandons présente ses excuses, appuyant sur la satire qui a visiblement heurté «des sensibilités».
Pas d'interview, mais un statement
Pour toutes ces raisons, il nous semblait raisonnable d'obtenir une interview de la part de la conseillère d'Etat, au sujet de la situation qui anime sa Broye natale. Mais rien n'y a fait. Nous avons contacté le chef de la communication de son Département dès 10h30 ce mercredi 12 octobre. Le porte-parole du DITS, Philippe Racine, nous a répondu que c'était «journée Conseil d'Etat» et que Christelle Luisier Brodard n'aurait sans doute «pas la disponibilité» ce jour-là.
Nous avons aussi contacté directement la présidente du gouvernement vaudois. Par SMS, elle a pris le temps sur sa séance de l'après-midi de nous dire qu'elle n'aurait effectivement pas le temps pour une interview, mais qu'elle préparait un «statement écrit». Son communicant nous l'a finalement envoyé à 16h40, en précisant que l'indisponibilité de la ministre s'étendait à «ces jours».
Un statement (ou «déclaration»), en langage de journaliste, c'est généralement le signe qu'on n'a pas envie de nous répondre en long en large. Voici les cinq questions que nous avions prévu de poser à la responsable politique:
- Est-ce que Payerne et ses Brandons ont un problème de sexisme, de racisme et d'antisémitisme?
- La satire fait partie de carnaval. Est-ce que les médias en ont fait tout un foin pour rien?
- A la tête des Institutions, vous assurez les relations entre l'Etat et les communautés religieuses. Voir des tags faire référence à la solution finale de 39-45 sur la vitrine d'un magasin tenu par un juif, est-ce que cela vous inquiète?
- Votre ex-conseiller personnel, Lionel Voinçon, a participé aux tags tout en étant municipal PLR de Payerne. Est-ce que cela entre dans le cadre de sa fonction?
- Avec le crime de Payerne, raconté par Jacques Chessex, votre ville a une histoire qui la relie à l'antisémitisme. Est-ce qu'on a affaire à une réapparition des démons du passé?
Christelle Luisier Brodard «déplore»
Le fait est que Christelle Luisier Brodard n'est plus ni syndique de Payerne (depuis 2020), ni conseillée personnellement par Lionel Voinçon (depuis février dernier). C'est donc uniquement «en tant que présidente du Conseil d’Etat» qu'elle fait ce statement: «Je déplore les propos peints sur certaines vitrines de Payerne le week-end dernier, et ce bien que les événements se soient déployés dans un cadre carnavalesque et donc satirique.»
Dans un second paragraphe, la cheffe des Institutions vaudoises fait un petit point discrimination. «Comme il a déjà eu l’occasion de le faire en novembre 2023 devant le Grand Conseil, le Conseil d’Etat rappelle par ailleurs que les actes d’antisémitisme ou de racisme qui consistent à nier explicitement ou implicitement le droit à l’égalité, voire à l’existence, de certains individus en raison notamment de leur religion, de leur origine ethnique ou culturelle ou de la couleur de leur peau sont intolérables et condamnables.»
Les tags dénoncés à Payerne, dans sa ville, relèvent-ils de la négation du droit à l'égalité ou a l'existence d'individus? On n'en saura pas plus. Toujours est-il qu'entre temps, la CICAD a dénoncé «les dérives haineuses lors des Brandons de Payerne». Et Watson a signalé jeudi qu'en plus des tags en tous genres, des participants au cortège s'étaient déguisés en juifs orthodoxes, en «hommage à Louis de Funès», ce qui n'a pas manqué, non plus, de faire réagir la CICAD.