Malaise en clôture des Brandons… et à la Municipalité de Payerne (VD)? Les tags réalisés par l’équipe des Barbouilleurs sont venus ternir l’édition 2025 des Brandons de Payerne. Des habitants se sont dits outrés par le caractère raciste, antisémite et sexiste de certaines des «blagues» écrites à la peinture blanche sur les vitrines des commerces et autres bâtiments communaux.
«Quand votre commande est prête, on vous bip. Vous verrez, c’est de la bombe», peut-on lire sur la vitrine d’un restaurant libanais. «Liquidation finale, solde de 39 à 45%» est rédigé sur l’ancien Manor, récemment fermé par son propriétaire Bertrand Bladt. Ce dernier, issu d’une famille juive, a eu droit à un autre message sur le Marionnaud d’en face: «On a gazé la blatte, on a le monopole».
Interrogée par la RTS mardi, la Municipalité «déplore la teneur des propos sur certaines vitrines». A l’instar du comité des Brandons, qui vient de présenter ses excuses, la Ville rappelle qu’il s’agit d’une tradition reposant sur la satire. Entre les autorités et les personnes derrière les Brandons, ce «sujet délicat» devrait être abordé prochainement.
Mais voilà, Blick a appris que parmi les Barbouilleurs se trouve un certain Lionel Voinçon, qui n’est nul autre que le dernier élu à la Municipalité. Le libéral-radical (PLR) vient de remporter l’élection complémentaire – pour l'alliance de droite – et est entré en fonction le 1er mars dernier, 10 jours avant le début des Brandons et les tags des Barbouilleurs.
Dès la fin de sa formation de juriste, le Payernois de 30 ans s’est lancé en politique, comme collaborateur personnel de la conseillère d’Etat PLR Christelle Luisier – également Payernoise – et comme président du Conseil communal. Il a mis fin à ces fonctions pour reprendre le rôle laissé vacant de municipal en charge de l’Administration de la promotion économique et des finances. Contacté ce mardi, il s’est prêté au jeu de l’interview pour s'expliquer et faire un petit point satire.
Lionel Voinçon, selon nos informations, vous faites partie des Barbouilleurs, le groupe qui a tagué les vitrines de Payerne pour les Brandons. Est-ce que c’est le cas?
Oui, c’est bien le cas. C’est une tradition vieille de 70 ans. Et pour ma part, j’y participe depuis trois ans.
Il y a des propos qu’on peut aisément qualifier de discriminatoires, sur le plan du racisme et du sexisme. Est-ce que vous cautionnez tout ce qui a été écrit sur les vitrines?
(Il réfléchit) Je ne pense pas qu’on puisse dire que je cautionne tout ce qui a été tagué sur les commerces. Disons seulement que ces derniers mois, j’ai été moins présent en raison de la campagne pour la Municipalité. Au final, je remarque qu’on a pu heurter des sensibilités et je le déplore. Ce n’était pas notre volonté. Mais cette situation souligne que la satire est un exercice délicat. Alors c’est l’occasion de se remettre en question.
Lesquels avez-vous écrits vous-même?
Il faut remettre du contexte. Avec les Barbouilleurs, on s’est vu une fois par semaine sur les six derniers mois. Il y a 250 vitrines à faire et c’est autant d’idées à trouver. Jusqu’au moment où on se retrouve, à 4h du matin dans la nuit de vendredi à samedi, pour peindre les textes. Tout cela pour vous dire que dans la masse, j’étais moins impliqué. Je suis à la Municipalité depuis moins de deux semaines (ndlr: depuis le 1er mars). Cela me pousse à porter un autre regard sur ces actes et notre responsabilité dans l’espace public.
Mais donc, à quelles phrases avez-vous participé?
On se répartit les rues et je n’ai pas participé à celles qui sont litigieuses. Ce n’est pas pour me dédouaner, et je tiens à préciser qu’il s’agit d’un travail de création collectif.
Vous êtes aussi juriste. La satire propre au carnaval a-t-elle ses limites sur le plan de la discrimination raciale ou de genre?
C’est une question légitime, qui implique un débat sur le fond à propos du curseur de la satire. Sur la dimension juridique, je ne suis pas en mesure de me prononcer. Mes compétences portent avant tout sur le droit public. Etablir des limites demanderait une analyse fine et s’avérerait complexe. Sur le fond, j’y vois la possibilité d’ouvrir un débat: Comment faire évoluer la tradition séculaire du carnaval pour s’adapter à l’évolution de la société? En tant que personnalité engagée, j’ai moi-même été exposé à la satire. Même au sein des Brandons, j’ai été la cible d’une phrase sur une vitrine, de plusieurs articles du journal satirique des Brandons et de phrases sur certains chars lors du cortège dominical. C’est le cas depuis 130 ans et c’est seulement aujourd’hui que cela apparaît comme un problème.
Si je ne m’abuse, vous êtes vous-même métis. Comment est-ce que vous analysez cette situation par ce prisme?
Effectivement. Si on parle des faits, je suis naturalisé Suisse, d’un père français et d’une mère mauricienne. J’ai moi-même vécu ces épisodes qui blessent. J’ai vécu la réalité du racisme au quotidien en Suisse. Dans cette situation, il y a deux possibilités: soit on y attache beaucoup d’importance, ce que je ne critique pas ; soit, comme je le fais, on réalise que seule une minorité de la population est raciste. Je ne veux pas passer ma vie à m'apitoyer, il faut voir le positif.
Pourquoi les Barbouilleurs restent-ils traditionnellement masqués?
Dans le cadre des Brandons, les Barbouilleurs restent masqués pour être anonymes. Pareil pour les auteurs du journal des Brandons, qui ne signent pas leurs articles. Il peut arriver que des propos soient piquants – et j’insiste sur ce terme, sans pour autant amenuiser la teneur de certaines des phrases taguées. Donc il y a anonymisation, mais les personnes qui voudraient vraiment savoir qui est qui peuvent le savoir assez simplement.
En tant que municipal de Payerne, est-ce que c’était une bonne idée de participer à cette activité de tags de rue?
Cette année, j’avais commencé la mise en place des Barbouilles avec l’équipe. Puis j’ai été élu juste avant les Brandons. Après réflexion, j’ai pris la décision de participer une dernière fois. Parce que j’aime cette tradition. Mais en tant que municipal, j’ai un devoir de transparence et ce n’est plus possible.
Est-ce que vous auriez préféré que ce qui se passe à Payerne reste à Payerne?
Je veux commencer par dire que c’était une magnifique édition. La météo était incroyable. Il y a eu beaucoup de monde et une vraie ferveur populaire. Maintenant, c’est sûr qu’il y a de meilleures manières de terminer un week-end des Brandons. Si aujourd’hui on doit se poser et prendre le temps de la réflexion, ce n’est pas une mauvaise chose. Alors ouvrons ce débat de société, entre les autorités, les organisateurs et la population. Ce ne sera pas une première dans un carnaval de Suisse romande. Et puisque celui de Payerne est parmi les plus grands, alors ça pourrait faire bouger les choses. Il faut voir le positif…