Le marché de l’automobile en Europe roule au ralenti depuis plus d’une année. Et la Suisse ne fait pas exception. Les raisons de ce coup de pompe sont nombreuses. On en citera trois: les temps sont durs pour le portemonnaie, le monde est dangereusement instable et la voiture traverse une profonde crise d’identité. C’est peut-être cette dernière cause qui tétanise le plus les consommateurs potentiels. On ne sait plus quel type de voiture acheter face à des informations contradictoires sur les avantages et inconvénients techniques et écologiques des moteurs thermiques classiques, des hybrides rechargeables ou non et des 100% électriques.
Alors, au lieu de faire témoigner ces automobilistes en plein doute à l’heure de remplacer leur véhicule vieillissant, «L'illustré» est au contraire allé à la rencontre de deux récents – et heureux – acquéreurs romands d’une nouvelle voiture. Mais pas de n’importe quelle voiture: un modèle 100% électrique et un engin fonctionnant à... l’hydrogène!
Mirai comme «futur»
Commençons par le choix le plus original pour ne pas dire le plus fou: la voiture à hydrogène, c’est-à-dire une voiture mue par un moteur électrique alimenté par une pile à combustible embarquée générant en continu l’électricité nécessaire. Cette technologie a des atouts, notamment celui de se passer des centaines de kilos de batteries nécessaires aux voitures purement électriques et de se contenter de 5 kilos d’hydrogène (compressé à 700 bars) pour assurer une autonomie d’au moins 400 km.
Seulement voilà: il n’existe pour l’heure que deux stations de recharge pour véhicules à hydrogène en Romandie et 16 en Suisse alémanique. Ce réseau encore embryonnaire n’a pourtant pas découragé Steffanie Perez, habitant à La Croix-de-Rozon (GE), d’acquérir, à un prix avantageux, une Toyota Mirai («futur» en japonais) d’occasion. Des points de recharge devraient enfin ouvrir prochainement en France voisine et en terres genevoises.
«Pas des intégristes, mais...»
Ce choix courageux, voire téméraire, est le fruit d’une réflexion avec son compagnon informaticien, passionné de technologies. «Nous ne sommes pas des intégristes de l’écologie, précise d’une seule voix ce couple, mais nous trouvons important d’essayer de réduire nos nuisances.» La problématique des batteries les a convaincus de renoncer à la voiture électrique. Pas question pour eux de faire comme si les réserves de lithium et de cobalt étaient infinies. Pas question non plus d’ignorer les conditions parfois inacceptables dans lesquelles ces métaux rares sont extraits des profondeurs de la terre.
Bien sûr, l’hydrogène n’a pas que des vertus. Il faut de l’électricité pour produire ce gaz, l’élément le plus léger de la création. Le procédé le plus courant est l’électrolyse, soit la séparation des atomes d’hydrogène et d’oxygène qui composent les molécules d’eau. Mais la légèreté de ce gaz (le plein de la Mirai ne pèse que 5 kilos) est bien plus rationnelle que le stockage dans les 400 kilos de batteries en moyenne d’une voiture électrique.
En fait, cette technologie est pour le moment avant tout envisagée pour les poids lourds qui demanderaient des tonnes de batteries pour jouir d’une autonomie suffisante. Cela poserait en outre des problèmes de sécurité ingérables en cas d’incendie.
Cela fait un bon mois que Steffanie a remplacé sa vieille voiture conventionnelle par la Mirai et son plaisir est encore tout aussi vivace: «Dans l’habitacle, c’est le grand luxe. J’adore notamment la mémorisation électronique des réglages du siège et du volant.» Il n’empêche que le couple a failli tomber en panne d’hydrogène lors d’une escapade à Lyon. «Nous comptions sur un point de recharge recensé près de Lyon, mais il était en fait réservé aux membres d’une association. Heureusement, nous avons appelé un responsable et il nous a non seulement débloqué la borne mais également offert le plein.» Il existe une réelle solidarité d’ultra-minoritaires entre les adeptes de l’hydrogène.
Inertie fédérale
Steffanie et son compagnon sont convaincus qu’ils ont fait le bon choix et que l’avenir sera celui de la pile à combustible, une technologie où les Européens sont aussi à la pointe que les Coréens et les Japonais qui tentent, non sans difficulté, de développer cette filière dans leur pays. En revanche, il est encore impossible de dire quand le réseau de distribution formera enfin un maillage suffisant pour des trajets sans stress. Pour l’instant, les deux héros de l’hydrogène doivent refaire le plein à plus de 60 kilomètres de leur domicile et payer – autre désavantage – le plein de gaz 100 francs pour une autonomie d’environ 400 km.
C’est bien sûr dans sa Mirai que le couple est allé à Morges pour assister aux Rencontres de l’hydrogène 2025. Ces conférences et débats ont permis de vérifier que tout ou presque restait à faire pour créer un écosystème hydrogène efficace et motivant pour les transports routiers dans un premier temps, mais aussi pour les automobilistes. Mais, en Suisse, la stratégie hydrogène de la Confédération ressemble à une bonbonne vide.
Cette inertie fédérale ne peut pas être compensée par les quelques actions privées et cantonales. Les spécialistes estiment que l’hydrogène, seul autre substitut aux problématiques batteries, devrait devenir un acteur dans une quinzaine d’années, le temps de mettre en place un réseau de distribution de ce gaz dont la logistique demeure délicate.
Conversion électrique
En attendant une possible explosion – au sens positif du terme – de la mobilité à l’hydrogène, ce sont les voitures 100% électriques qui ont la cote. Ou plutôt qui avaient la cote avant la baisse des ventes depuis fin 2023. Il n’empêche qu’il s’agit là aussi d’un choix qui demande un peu de courage. C’est ce que vient de faire Denis Pittet, journaliste à la retraite, très attaché à la liberté que procure une voiture. «Il faut se rendre à l’évidence: le moteur thermique, c’est mort, tranche-t-il. J’ai hésité dans un premier temps à acheter une hybride, mais tant qu’à faire, j’ai estimé que si je changeais de motorisation, il fallait que le choix soit radical.»
Depuis un mois, ce converti roule donc en Audi 100% électrique. Et, à son propre étonnement, il en est plutôt heureux. «J’aime beaucoup le défi consistant à consommer le moins possible d’énergie en adoptant de nouveaux réflexes de conduite. Le coût de la recharge est très avantageux par rapport à l’essence et ces véhicules coûtent moins cher en entretien et en taxes. Le confort de conduite est excellent. En revanche, je déplore la jungle des tarifs, des cartes d’activation des bornes et des puissances de charge qui ne sont jamais celles annoncées. Comme les temps de recharge, d’ailleurs. Ces bornes de recharge constituent un inconvénient pour des conducteurs pressés pour des raisons professionnelles. Mais comme je suis un jeune retraité, je les prends avec philosophie.»
Ce nouveau converti ne s’est pas fait installer une borne de recharge rapide à son domicile et se contente d’une rallonge à connecter sur une prise électrique tout à fait standard. Ce témoignage confirme donc que la motorisation purement électrique est arrivée à maturité, mais que l’ensemble de l’écosystème a d’importants progrès à faire en termes de confort, de disponibilité et de cohérence.
Ces deux témoignages confirment, malgré l’importante marge d’amélioration des infrastructures, que la voiture et la mobilité individuelle sont en pleine mutation et que l’enthousiasme pour des technologies plus vertueuses n’est pas mort avec la baisse des ventes.
Cet article a été publié initialement dans le n°05 de L'illustré, paru en kiosque le 30 janvier 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°05 de L'illustré, paru en kiosque le 30 janvier 2025.