A Yverdon-les-Bains, une ville au budget 6 fois plus petit que celui de Lausanne, la tension atteint des sommets jamais vus en Suisse romande, à l’approche des élections municipales du 2 mars. Ce deuxième tour oppose l’ex-membre de l'Union démocratique du centre (UDC) Ruben Ramchurn au socialiste Julien Wicki.
En arrière-plan, une colère palpable dans les rues et sur les réseaux sociaux. Le 20 février, on apprenait que le syndic socialiste, Pierre Dessemontet, était placé sous protection policière légère depuis l’automne, après avoir reçu des menaces jugées crédibles, tout comme le municipal PLR chargé de la sécurité, Christian Weiler, victime d'attaques en ligne. Comme dans un remake, à échelle très locale, des élections de Donald Trump aux Etats-Unis, un climat d’insultes et d’attaques aux dimensions inédites s’est installé, et les politiques vivent dans la peur.
Le 9 février, au premier tour, l’outsider Ruben Ramchurn, qui promet de s’attaquer au deal de rue, et de redonner confiance aux investisseurs dans l'avenir de la ville, a remporté 30,93% des voix, talonnant le socialiste Julien Wicki (39,43%) qui s'engage pour les familles, pour les commerces, pour l'intégration et contre la précarité. La bataille, qui oppose deux visions du monde, promet d’être très serrée, pour le siège d’un défunt socialiste, dans une Municipalité à coloration très largement rose/verte.
«Il attise cette virulence»
«Je suis vraiment inquiet du degré de violence que l’on a atteint dans ces élections, confie Julien Wicki. Je n’aurais jamais imaginé être soumis à cela quand je me suis lancé dans la campagne pour cette élection complémentaire, témoigne-t-il. On sait que sur les réseaux sociaux, il peut y avoir des insultes. Mais là, ce sont des menaces à l’encontre de ma famille, des gens qui se mettent en scène avec des armes blanches, des montages de ma tête découpée qui finit dans une poubelle.»
En cause, d’après Julien Wicki: la virulence des supporters de son adversaire, Ruben Ramchurn, qui a créé son propre parti après avoir été exclu de l’UDC locale. «Il attise cette virulence alors que sa responsabilité serait de l'atténuer. Derrière sa mouvance, il y a de la violence. Il y a des gens qui font peur, qui ont menacé le syndic Pierre Dessemontet, le municipal de la police Christian Weiler, et même la présidente de l’UDC Yverdon, Madame Pistoia-Grosset.»
«Ils ont fâché les gens et ils s'étonnent»
Ruben Ramchurn balaye ces complaintes. «Quand j’ai dénoncé le deal de rue la première fois en 2023, je suis moi-même devenu une cible. On a essayé de me calomnier, on a fait courir des rumeurs, lancé des plaintes pénales contre moi, c’était ma faute. C’est cette municipalité qui est responsable d’avoir fâché les gens en ne les écoutant pas, en les traitant d’extrême-droite, en essayant de les réduire au silence. Et ils s’étonnent qu’il y ait des gens fâchés contre eux. Comment se fait-il que quand on pointe le trafic de drogue comme je l’ai fait, on se retrouve en danger?»
Aujourd’hui, il juge électoralistes les plaintes de ses adversaires. «Personne ne s’en prend physiquement à eux. Or à une semaine des élections, ils se posent en victimes. Je n’ai jamais vu quelqu’un s’inquiéter quand je me suis fait attaquer, lyncher, que j’ai vécu des altercations, en particulier dans ma lutte contre les trafiquants de drogue. On a plutôt essayé de me faire passer pour un trafiquant.»
Initialement, les menaces contre les municipaux émanaient surtout d’une personne qui a sévi sur les réseaux sociaux, qualifiée de «proche de Ruben Ramchurn», et dont ce dernier s’est désolidarisé depuis. Mais c’est aujourd’hui d’une violence plus générale, non limitée à une personne ou deux, que parlent les acteurs politiques. «Là où ça dérape, témoigne une source, c’est qu’à Yverdon il y a toute une frange de la population, dont certaines personnes incontrôlables, qui soutiennent Ruben Ramchurn, bien qu’il s’en distancie.»
Pas acceptable pour l'UDC Yverdon
A l’UDC Yverdon, la présidente Sophie Pistoia-Grosset confirme avoir subi un climat de violence. Cela a commencé quand son parti a émis un communiqué qui ne donnait pas de consignes de vote pour le 2ème tour. «Je me suis retirée des groupes Facebook et ne commente plus, pour me protéger et éviter les polémiques, témoigne la présidente de l’UDC. Cette agressivité et cette violence sont inacceptables.» Pour l’Yverdonnoise, «ce n’est pas un comportement justifiable. Celles et ceux qui en usent n'ont en tout cas pas leur place au sein de l'UDC ni, je l'espère, dans aucun autre parti. Qu’en Suisse on doive en arriver là, sincèrement, c’est inimaginable. Ma belle-famille fait de la politique en Italie, ils n’ont pas ce genre de problèmes.»
Pour un observateur, «il est clair que le rôle des réseaux sociaux devient ici plus problématique que dans aucune ville de Suisse. Des gens utilisent de faux comptes, des personnalités n’osent plus parler ni écrire pour ne pas se prendre cette vague de haine. A l’international, l’élection de Trump a libéré une parole extrémiste, mais cela fait quelques années déjà qu’à Yverdon qu’il y a pas mal de violences, d’affiches taguées.»
Soutien des UDC romandes
De leur côté, les femmes UDC romandes ont choisi le 20 février de soutenir Ruben Ramchurn. Ce dernier, qui a créé son propre parti, «Yverdon pour tous», le 11 février dernier, refuse l’étiquette d’extrême-droite. «Face au problème du deal de rue, que promet le socialiste Julien Wicki?», interroge-t-il. Il nie quant à lui l’accusation d’avoir adopté une position uniquement répressive dans ce domaine. «Je suis allé à la rencontre des toxicomanes, des gens sortis de dépendance, j’ai dénoncé l’excès de médicaments. Par contre je souhaite que l’on confie plus de tâches à des agents de sécurité privés, plus costauds, plus faciles à recruter, pour intervenir efficacement en cas d’arrestations.»
Pacifier en intégrant les voix dissidentes
Au final, conclut Ruben Ramchurn, «cela pacifierait le climat d’intégrer des voix comme la mienne dans la Municipalité. Mais au lieu de ça, on a essayé à tout prix de me faire rempart. La gauche compte déjà 4 élus [ndlr: sur 7 sièges en tout], et ils veulent absolument conserver ce 5ème siège. Ils devraient déjà commencer par respecter les gens qui ne pensent pas comme eux.»
Les cartes politiques semblent être définitivement rebattues, dans cette ville où depuis 50 ans, le pouvoir alterne entre gauche et droite, avec la régularité d’une horloge. Les partis traditionnels sont mis au défi par les nouvelles attentes des Yverdonnois.
«Il existe un réel mécontentement de la rue, confie un observateur. A droite, le PLR arrivait un temps à réunir même la droite dure, mais il n’y arrive plus. De l’autre côté, on a une gauche plus urbaine, moins ouvrière, parachutée de Lausanne. Les gens d’Yverdon s’y reconnaissent moins, et le PLR est affaibli. Il y a aujourd’hui beaucoup de mécontents au niveau de la mobilité et du deal.»
Face à cela, notre interlocuteur estime qu’un candidat comme Ruben Ramchurn dispose d’une réelle chance car il «pourrait amener aux urnes tous les gens qui ne votaient plus, qui ne sont pas intéressés par les politiques.»