Julien* est en vacances mais un courrier l’attend sagement dans sa boîte aux lettres. L’enveloppe et ses quelques grammes pèsent en réalité bien plus lourd. A son retour dans son appartement du quartier du Maupas à Lausanne, il l’ouvre. Ça sent la poudre.
Ce 24 novembre, la peur l’envahit. «A mon immense surprise, je découvre une ordonnance pénale, raconte à Blick l’étudiant de 28 ans. Je suis condamné à payer une amende de 200 francs et 60 francs de frais administratifs. Pour moi, c’est beaucoup d’argent.»
«Dans mon quartier, la coke ne manque pas»
A la découverte du motif, il tombe des nues. «Il est écrit qu’un envoi en provenance des Pays-Bas qui m’était adressé a été intercepté par la douane à l’aéroport de Zurich cet été.» A l’intérieur: 0,69 grammes de cocaïne! Julien le jure: «Je n’ai jamais rien commandé aux Pays-Bas et encore moins de la coke! J’habite au Maupas, ce n’est pas ce qui manque dans le coin… Mais je n’en suis pas consommateur, je suis prêt à le prouver en faisant des tests. C’est choquant. Je suis condamné à tort, sans avoir été entendu.»
Mais alors, si ce n’est pas lui, qui? Occupant le même appartement depuis trois ans, le jeune tisse plusieurs hypothèses. «Dans mon quartier, il arrive que les dealeurs stockent leur marchandise dans les boîtes aux lettres situées à l’extérieur des immeubles, étaye Julien, qui a souhaité rester anonyme pour ne pas s’attirer d’ennuis avec ces derniers. Peut-être ont-ils voulu se faire livrer quelque chose dans la mienne?»
«Il est aisé de faire condamner un innocent»
Autre piste: «J’ai eu un conflit avec un voisin, qui s’était fait exclure de son logement. Peut-être a-t-il voulu se venger.» Son histoire montre en tout cas que pareille mésaventure peut arriver à n’importe qui. «Tout un chacun peut se faire livrer des produits illicites chez quelqu’un d’autre sans être inquiété, s’étrangle-t-il. Et puisque, apparemment, une adresse sur une enveloppe suffit à prouver la culpabilité d’un justiciable, il est aisé de faire condamner un individu à qui l’on veut du mal.»
Julien a fait recours le 25 novembre contre cette décision. «Cette présomption de culpabilité me paraît étonnante, peste-t-il. La Préfecture ne m’a jamais contacté pour avoir ma version des faits. Par-dessus tout le reste, ça me révolte de devoir perdre tout ce temps et cette énergie pour prouver que je suis innocent alors que je n’ai pas commis de faute.»
Un amalgame trop vite fait, selon une avocate
La Préfecture de Lausanne a-t-elle eu raison de condamner Julien sans investiguer? Contactée par Blick, l’avocate lausannoise Anne-Claire Boudry est sévère avec l’autorité. Mais avant de plonger dans son argumentaire, une précision importante: une condamnation par ordonnance pénale — manière peu coûteuse de régler une affaire en évitant la case tribunal — est possible «notamment si le prévenu a admis les faits ou que ceux-ci sont établis», écrit-elle dans un courriel.
Et c’est là que le bât blesse. Comment les faits ont-ils pu être tenus pour établis dans le cas de Julien, s’interroge-t-elle? «Il paraît hâtif de conclure qu’une personne a commis une infraction du seul fait que son adresse figurait sur une enveloppe, tant il est possible d’imaginer d’autres explications. L’amalgame est trop vite fait. Cela mériterait au moins de permettre à la personne concernée de donner des explications.» Le doute doit profiter à l’accusé, appuie Anne-Claire Boudry, offensive.
«No comment» de la Préfecture
Le droit d’être entendu, droit fondamental protégé par la Convention européenne des droits de l’homme, est toutefois garanti puisqu’il est possible de s’opposer à une telle condamnation dans un délai de dix jours par écrit, éclaire la femme de loi. Et ce, sans besoin de faire état de ses motivations. En cas de recours, une enquête plus fouillée est alors menée et le prévenu est questionné.
Sollicitée par Blick, la Préfecture de Lausanne confirme que la procédure est encore en cours et que Julien a fait opposition à sa condamnation. Elle ne fera pas d’autres commentaires, mais souligne avoir agi selon les règles en vigueur. Le prévenu «est présumé innocent en l’état».
*Prénom d’emprunt, identité connue de la rédaction