Retour aux origines
Des milliers de Portugais quittent la Suisse

Les Portugais se situent au troisième rang des communautés étrangères en Suisse. Nombreux sont ceux et celles qui quittent le sol helvétique pour retourner dans leur pays d'origine. Comment expliquer ce phénomène?
Publié: 17.10.2021 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 17.10.2021 à 22:51 heures
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Karolina est née et a grandi à Zurich. À présent, elle part pour un nouveau départ dans le pays d'origine de ses parents.
Photo: Nathalie Taiana
Camille Kündig

Les cartons de déménagement s’empilent sur le sol du petit appartement de Zurich-Wollishofen. Un album photo est posé sur la table à manger à côté d’une bouteille de porto ouverte. Karolina Pinheiro a les larmes aux yeux.

La jeune femme de 28 ans a grandi entre ces quatre murs, ses parents ont vécu ici pendant près de 30 ans. Bientôt, quelqu’un d’autre les remplacera – et la famille Pinheiro prendra un nouveau départ. Elle quitte la Suisse pour retourner au Portugal.

La nostalgie l'a emporté

Voilà trois décennies que la génération de ses parents a fait le chemin inverse. À l’époque, ils prenaient la voiture. Aujourd’hui, un billet d’avion leur permet de retrouver la terre natale. Leur vie en Suisse est soigneusement emballée, puis sera livrée par camion.

La Saudade, ce «sentiment de délicieuse nostalgie» selon le Larousse, a gagné. Même le vin de là-bas, ramené lors de vacances au Portugal, n’a pas suffi à les consoler: «Nous sommes venus en Suisse pour travailler. Maintenant, nous voulons profiter de notre retraite avec notre famille», déclare Maria Pinheiro. Son mari, Mario, travaille à la réception du consulat portugais. Pour gagner davantage, il est également agent de sécurité pour une entreprise le soir. À présent, il est sur le point de prendre sa retraite anticipée.

En Suisse, les Pinheiros vivaient modestement. «Aller au restaurant, cela coûte trop cher ici.» Chaque centime économisé a servi à rénover leur maison à Vale do Barco, à une heure de route au nord de Lisbonne.

10’000 Portugais ont quitté la Suisse en 2020

«Regarde, on va enfin emménager dans notre propre maison!» se réjouit Mario Pinheiro, en tapotant avec enthousiasme sur une photo. Karolina, sa fille, a quitté son emploi de secrétaire médicale il y a quinze jours. «Après la mort de mon grand-père cette année, je ne voulais pas vivre loin de ma famille, d’autant plus que la pandémie a montré que les frontières nationales peuvent vite se fermer.»

Pendant des décennies, la Suisse a été considérée comme un pays d’immigration traditionnel pour les Portugais en quête de travail. Deux tiers d’entre eux se sont installés en Suisse romande. À présent, ils sont de plus en plus nombreux à décider de rentrer, comme les Pinheiros.

Les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique montrent qu’en 2020, près de 10’000 personnes ont quitté la Suisse pour le Portugal. Quant au taux d’immigration, il était le plus faible depuis le début des années 2000. À la fin de l’année dernière, 257’700 ressortissants portugais vivaient ici. Leur nombre a diminué pour la quatrième année consécutive. L’attrait du Portugal s’est accru – avant même la pandémie.

Divers parcours de vie

«Les Portugais qui rentrent au pays ne constituent pas un groupe unifié», affirme Liliana Azevedo. Cette Suisso-portugaise de 44 ans consacre sa thèse de doctorat à cette évolution au sein de l’ISCTE-IUL, l’Institut universitaire de Lisbonne. Ceux-ci peuvent être répartis en trois catégories. Un grand nombre d’entre eux ont émigré dans les années 80 et au début des années 90. Cette génération est à présent à la retraite, ou proche de l’être. Un deuxième groupe a quitté le Portugal après 2008, pendant la crise économique. Beaucoup de ces personnes ne ressentent que peu d’attachement à leur pays d’accueil. La troisième catégorie est constituée par la jeune génération née en Suisse.

«Chacun de ces groupes a des motivations différentes pour rentrer», explique Liliana Azevedo. Pour de nombreux retraités actuels, le retour a toujours fait partie de leur projet sur le long terme. Ils ont acheté un appartement ou construit une maison dans leur pays d’origine. «La sociabilité, le soleil et la mer leur manquent», explique la chercheuse.

Les retraites ne suffisent pas en Suisse

Outre le mal du pays, des considérations pragmatiques jouent également un rôle: «Les anciens ont grandi sous la dictature de Salazar et n’ont pour la plupart fréquenté que l’école primaire. En Suisse, ils ont surtout travaillé dans la construction, la restauration, l’hôtellerie ou le nettoyage, avec des salaires généralement bas et reçoivent donc qu’une très petite retraite.» Ce qui suffit à peine en Suisse permet de vivre confortablement au Portugal.

Tous ne sont pas heureux de leur nouvelle vie loin de la Suisse. La chercheuse explique: «Compte tenu de la politique migratoire en vigueur à l’époque, certains n’ont eu d’autre choix que de laisser leurs enfants au Portugal. Lorsqu’ils retournent au pays, ils se retrouvent en décalage avec leurs enfants et petits-enfants adultes.» Ils sont souvent déçus et se sentent seuls: «Ils doivent s’intégrer dans un pays qui n’est plus le même que celui de leur enfance. En définitif, ils ne se sentent souvent pas à leur place.»

Dans le fado, la musique mélancolique typique du pays, on semble presque entendre ce déchirement. Lorsque Gisela Santos, 23 ans, entame un air à l’accordéon, ce sentiment résonne entre les notes. La jeune femme est née à Estavayer-le-Lac. Aujourd’hui, la petite ville fribourgeoise est plutôt la destination de ses vacances.

Forte croissance au Portugal

«Début 2020, j’ai émigré et me suis installée dans la maison de vacances de mes parents, dans un village du district de Viseu. En Suisse, il me manquait quelque chose. Maintenant, je sais quoi: c’était le mode de vie portugais, comme se retrouver tous les jours pour prendre un café.» Être ensemble et profiter de la douceur de la vie.

«Mon père a trimé toute sa vie en Suisse sur un chantier pour nous donner une bonne éducation. Mais il était triste de devoir vivre loin de chez lui. Le fait que je poursuive maintenant mes études ici et que je veuille créer une agence de voyages, spécialisée dans la clientèle suisse, est aussi un hommage à son égard», confie la jeune femme.

En 2011, le Portugal était au bord de la faillite nationale. Depuis cinq ans, la situation s’est nettement améliorée, le taux de chômage est presque au niveau de la Suisse et la croissance est parmi les plus fortes d’Europe. Il y a un manque de personnel dans de nombreux secteurs, que les compatriotes émigrés pourraient combler.

Trouver un emploi était un jeu d’enfant

Depuis 2019, le gouvernement portugais incite ses émigrants à revenir. Le programme «Regressar» («revenir») a été mis en place. À condition d’avoir un emploi permanent, le gouvernement participe aux frais d’installation et offre quelques avantages fiscaux.

Trouver un travail a été un jeu d’enfant pour Karolina Pinheiro: «J’ai pu choisir entre plusieurs emplois! Le Portugal n’est pas un pays du tiers-monde, il y a énormément d’opportunités pour les jeunes.»

Un autre facteur qui a facilité le retour a été l’échange automatique d’informations depuis 2017. Toute personne qui possède une maison dans son pays d’origine doit également déclarer celle-ci aux impôts en Suisse. Alice Lopes*, 37 ans, et sa famille ont quitté le canton d’Argovie pour s’installer à Lamego, dans le nord du Portugal. «Mon mari a hérité de la maison de ses parents et nous aurions dû payer des impôts élevés sur celle-ci. Avec son coût élevé de la vie, la Suisse n’en valait tout simplement plus la peine. Au Portugal, on gagne moins, mais on en a plus pour son argent.» explique-t-elle.

L’émigration portugaise est importante pour l’économie suisse

«Il est regrettable que de nombreux ressortissants portugais quittent notre pays», estime Simon Wey, économiste en chef de l’Union patronale suisse. L’économie suisse a tout intérêt à offrir des conditions avantageuses pour les Portugais sur le marché du travail et a bien les intégrer: «Ils sont particulièrement importants dans les secteurs de la construction et de l’hôtellerie et comblent des lacunes pour lesquelles les Suisses, de plus en plus qualifiés, ne sont souvent pas disponibles ou pas en nombre suffisant.» Ils sont également considérés comme discrets et travailleurs, et restent souvent fidèles à leur employeur pendant des années.

Toutefois, Karolina Pinheiro ne reviendra pas sur sa décision. Dans deux mois, elle déballera ses cartons tout près de l’endroit que ses parents ont quitté il y a 30 ans. Son avenir se trouve à Caldas da Rainha, une petite ville de la côte argentée du Portugal.

*Noms connus de la rédaction


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