Un petit changement de rien du tout, dans un texte de loi que personne ne consulte. Pourtant, les réformes du droit du bail, sur lesquelles le peuple s’exprimera le 24 novembre prochain, pourraient changer la vie de millions de Suisses. Du moins, tous ceux concernés par la location d’un appartement.
Néanmoins, les parlementaires à l’origine des réformes s’efforcent de faire passer leur projet pour un détail. «Ils mettent 3,4 millions de francs dans une réforme pour laquelle ils se battent depuis 2015, puis l’annonce comme 'sans impact'», s’étonne Jessica Jaccoud, conseillère nationale socialiste et membre de l’Association suisse des locataires (Asloca).
Résilier le bail et relouer plus cher
L’avocate vaudoise s’inquiète. Pour elle, si les textes sont adoptés, le pouvoir des propriétaires sur les locataires sera renforcé. «Ils vont en profiter pour résilier des baux et relouer les biens plus cher, craint l’élue. Cette initiative existe pour faciliter les résiliations, beaucoup de bailleurs vont en profiter.»
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Concrètement, qu’est-ce qui va changer? Un des deux textes concerne la sous-location. Il veut, en gros, la compliquer. «Beaucoup de gens se méprennent en imaginant que c’est un truc d’étudiants, note Jessica Jaccoud. Cela concerne en réalité beaucoup de locataires, qui seront menacés. Les PME, les indépendants, les études d’avocats, les cabinets de médecin, on n’y pense jamais!»
À cela s’ajoutent les personnes âgées dans de grands logements qui pourraient arrondir leurs fins de mois en louant une chambre. Ou encore, les personnes qui se séparent et ne peuvent pas assumer seules un loyer payé autrefois à deux.
Quels changements?
Le texte «sous-location» propose notamment les changements suivants: le propriétaire doit impérativement être informé des détails de la sous-location (qui, à quel prix). Son accord doit être sollicité et reçu par écrit et par la poste (pas d’e-mail). «Comment faites-vous pour écrire une lettre à un fonds d’investissement basé à Jersey et qui n'a pas de gérance?», s’amuse Jessica Jaccoud, en référence aux nombreux immeubles détenus par de tels organismes, entre Genève et Lausanne.
Ensuite, le bailleur pourra limiter la sous-location à deux ans. «C’est très problématique, notamment pour les sous-locations partielles, souligne l’élue socialiste. Si un kinésiologue loue une partie de son local à d’autres professionnels et que le propriétaire limite cet accord dans le temps, il se retrouve seul dans son espace trop grand qu’il ne peut plus payer», illustre l’avocate, qui estime que le projet est un vrai frein pour les PME et les indépendants.
Un projet qui n’a «rien de positif»
Jessica Jaccoud estime aussi que la réforme est uniquement là pour profiter aux propriétaires, sans rien apporter de positif. «Si on les écoute, ils sont en détresse et estiment que le droit à la propriété n’est pas assez respecté en Suisse, résume-t-elle. Ils craignent aussi les abus de sous-location.» Mais le droit du bail pallie déjà ce problème, et plusieurs cantons ont adapté leurs législations.
L’élue poursuit: «Les propriétaires qui occupent leur propre logement ne tireront aucun bénéfice de cette réforme. Les locataires ont très peur de la résiliation de bail. Et ce texte va accentuer cette peur. Ils se tiendront à carreaux, n’oseront plus contester une hausse par exemple, par crainte d’être viré de leur logement.»
Le Conseil fédéral opposé, mais forcé de soutenir
Lors d’une conférence de presse mardi, le conseiller fédéral en charge de l’Economie a dû afficher son soutien pour la réforme. Cocasse, quand on sait que le ministre de l’Union démocratique du centre, et ses six collègues, s’y opposent depuis toujours.
On vous explique. La réforme «sous-location» et celle sur le besoin propre sont à la base des initiatives du Parlement. Si les deux chambres sont d’accord, ce dernier peut légiférer sans passer par l’organe exécutif, soit le Conseil fédéral. Les deux initiatives du milieu immobilier, soutenues par la majorité de droite du Conseil national, ont été déposées en 2015 et 2018, et adoptées en septembre 2023. Puis l’Asloca a déposé un référendum.
La loi pousse ainsi le Conseil fédéral à soutenir un projet qu’il a pourtant combattu, afin de ne pas s’opposer au Parlement. «Guy Parmelin a confirmé qu’il avait changé d’avis à propos du texte, il a assuré qu’il 'faisait son travail', narre Jessica Jaccoud. Puis il a déroulé son vrai ressenti, c’était très étonnant, mais chouette qu’il l’ait fait.»
Un changement «scandaleux»
Pour la conseillère nationale, la situation montre la limite de nos institutions. «On a un conseiller fédéral UDC, issu d’une majorité bourgeoise, pris en otage par la même majorité bourgeoise du Parlement. Or, l’heure n’est pas du tout aux réformes qui profitent unilatéralement aux bailleurs, n’en déplaise aux parlementaires qui croient avoir tous les droits», déplore l’avocate.
Durant cette conférence de presse, Guy Parmelin a donc qualifié les deux textes de «micro-réformes», en référence au saucissonnage, par le milieu de l’immobilier, de leurs projets. «Elles peuvent avoir l'air anodines, chacune de leur côté, mais prises dans leur ensemble, elles représentent un changement scandaleux en défaveur des locataires», tonne Jessica Jaccoud.