La votation sur la 13e rente est sur toutes les lèvres, ce dimanche midi 3 mars, dans le restaurant Le Tournesol, affilié à l’Établissement médico-social (EMS) de Bois-Gentil. C’est là, sur les hauts de Lausanne, dans le quartier populaire de la Blécherette, que j’ai décidé de me rendre pour discuter avec les personnes les plus directement touchées par le scrutin: les seniors.
Le restaurant est séparé en deux. D’un côté, les résidents et leur menu du jour. De l’autre, les familles qui viennent visiter l’une ou l’un des leurs. «Tu as vu les premiers résultats?», crie un fils tout juste arrivé à sa mère, résidente du home et «presque sourde». La nonagénaire vient de m’avouer qu’elle «ne comprend rien» à ce vote. Comme la plupart des résidents, elle a reçu son enveloppe dans sa chambre.
De quoi vivre un petit peu mieux
Astrid Dubrit, elle, a fait son devoir de citoyenne depuis chez elle, «par la poste». Tous les jours, elle vient à la rencontre de son «adorable» mari Freddy, installé à l’EMS depuis son AVC. En attendant l’arrivée de son époux de 97 ans, elle m’explique pourquoi la journée est importante pour elle: «J’aimerais bien que ça passe, parce qu’on en aurait tous besoin. Je ne vis que sur mon AVS.»
À cette heure-ci, juste avant le dîner, les résultats ne sont pas encore connus. «La 13e rente me permettrait de vivre un petit peu mieux, continue la femme de 86 ans. J’ai été opérée du genou il y a une année et ça se remet tranquillement. Je pourrai par exemple sortir, prendre le bus et descendre en ville de Lausanne.»
Son mari arrive, accompagné par un employé de l’EMS. Il n’est pas en capacité de parler, mais comprend bien l’enjeu du jour. «Toi, tu t’en fiches, rigole sa femme. T’es là, tranquille, peinard. Mais moi, je dois payer pour les courses et ça coûte!»
Tous n’ont pas voté
Quelques tables plus loin, le couple Jacquet attend la visite de sa famille, en particulier de leur arrière-petite-fille. Marie-Thérèse et Jean n’ont pas voté.
L’épouse de 88 ans, résidente depuis quelques années, a tout de même reçu son enveloppe. «Le directeur de l’EMS est venu nous parler de la votation. Mais je ne sais plus ce qu’il a dit. Ça va surtout concerner les jeunes», explique-t-elle.
Par jeunes, entendez les sexagénaires et septuagénaires du moment. Son mari, de deux ans son aîné, a la forme et vit toujours à leur domicile.
Il avoue n’avoir pas non plus glissé son bulletin dans la boîte. «Vous savez, je n'ai jamais été un très bon citoyen, raconte cet ancien tailleur, doté selon ses dires d’une bonne retraite. Si la 13e rente passe, je vais l’accepter. Mais je me demande qui va la payer.»
Débat autour d’un verre
Après une salade ou un potage en entrée, les plats principaux arrivent chez tout le monde, à un prix défiant toute concurrence dans la région. Alors que les premières estimations envisagent le «oui» à la 13e rente et le «non» à l'initiative sur les rentes (retraite à 66 ans), je dérange un trio d’amis aux cheveux blancs, fourchettes et verres de rouge à la main.
Le débat est agité. «C’est une journée intéressante, dans la mesure où c’est un problème qui se pose de savoir où on va avec les retraites, résume Jacques Mauël, 86 ans et professeur honoraire de l'Université de Lausanne. Il y a mille questions qui se posent, mais moi, j’ai apparemment voté faux.»
— «Mais non, tu m’as dit l’inverse cette semaine», s’étonne Fabienne Moret-Liardet, sa voisine de 66 ans.
— «Oui, j’ai changé d’avis entre le moment où je t’en ai parlé et quand j’ai voté, répond le vétéran de la table, taquin. J’avais dit que je votais 'oui-oui', alors que j’ai voté 'non-oui'. Mais ça m’a demandé de la réflexion.»
— «Ouh, mais alors, je ne suis plus copine avec toi», lui rétorque la jeune retraitée.
Comment la financer, cette 13e rente?
Fabienne Moret-Liardet s’explique, en se tournant vers moi: «Je trouve que la 13e rente doit être acceptée, sinon il n’y aura jamais d’adaptation. Il y a beaucoup de rentiers qui ont des problèmes. Surtout les femmes, pour lesquelles la caisse de pension est assez basse. On a arrêté de travailler quand on a eu des enfants. Pour moi, si ça passe, on va bien se débrouiller pour que cela soit financé.»
En face d'elle, Marianne Castella se dit que ce n’est pas l’argent qui manque à la Confédération: «Ils en ont assez pour l’Armée, pour les étrangers, alors pour une fois qu’on s’occupe des personnes âgées…»
Jacques Mauël n’est pas d’accord: «Si j’ai voté non à la première question, c’est parce que je pense que ça doit être ciblé. Pour ma part, ma retraite me permet de vivre confortablement. Je n’aurai pas besoin de l’addition de cette 13e rente. Je préfère que ce soit laissé pour des gens qui en ont vraiment besoin.»
Fabienne Moret-Liardet comprend l’avis de son ami. «Si j’ai voté 'oui', c’est pour que ça bouge», assume la jeune retraitée. Au moment de régler l’addition, chacun se charge de son repas. Payer la tournée avec sa treizième, ce n’est pas pour tout de suite.
Tout le monde n’en profitera pas
Quelques mètres plus loin, deux sœurs, bientôt à la retraite, sont venues dîner avec leur oncle. Aux prestations complémentaires (PC), le résident de l’EMS ne profitera pas vraiment de l’acceptation du scrutin sur la 13e rente. «Je suis super heureuse que cette votation passe, me confie Dominique De Simone, curatrice de son proche parent. Ça ne va pas changer grand-chose pour les bénéficiaires des PC, mais c’était nécessaire pour celles et ceux qui sont juste au-dessus du seuil.»
Arrivés au dernier café ou au digestif pour certains, c’est historique. La 13e rente est officiellement acceptée et la retraite à 66 ans largement refusée! «Ça ne me touche pas trop», lâche Jean Jacquet au moment d’apprendre l’issue du scrutin. Il philosophe: «J’aurais bien vécu sans, je vivrai bien avec.»
Astrid Dubrit, de son côté, s’avoue «un petit peu surprise du résultat» mais est très contente. «Ça ne vaut pas la peine d’organiser des votes si on n’y va pas», conclut l’octogénaire avant de «retourner dans ses pénates, toute seule». La vie à l’EMS, elle, suivra son cours.