Ces derniers jours, lorsque les sirènes prévenant de l’arrivée de missiles hurlent, Kateryna Potapenko, une Ukrainienne de 28 ans, se précipite dans le couloir de chez elle pour s’y mettre à l’abri. Sa mère Svitlana, elle, reste assise dans le salon. Elle se contente de tirer les rideaux. Et de monter un peu le son de la télévision. «Nous avons tous trouvé notre propre façon de faire face au danger», commente sèchement sa fille.
Kateryna Potapenko est journaliste. Elle vit avec sa famille dans une tour de Kiev, non loin de l’endroit où les troupes russes ont lancé leur attaque le 24 février. «Pendant les premiers jours, nous entendions en permanence les tirs et les bombardements des Russes», se souvient la jeune femme. Boutcha, Irpin, Hostomel: les lieux de l’horreur se trouvent à moins de dix kilomètres de son quartier d’habitation.
La famille s’est réfugiée à Winterthour
Début mars, Kateryna s’est réfugiée en Suisse, à Winterthour, avec sa mère et son petit frère. Peu après, elle a trouvé un emploi de chroniqueuse invitée au «Beobachter». Pendant son temps libre, elle organisait des rencontres pour les Ukrainiennes à la bibliothèque. Une habitude qu’a conservée la journaliste: à Kiev, elle dirigeait un club de lecture.
Kateryna Potapenko se souvient avec plaisir de ses quatre mois passés à Winterthour. «La Suisse est un pays de carte postale, décrit-elle, j’adore la nature là-bas.» La ponctualité des bus et des trains l’a également impressionnée.
«J’ai toujours su que je retournerais à Kiev. J’ai une bonne vie ici», raconte pourtant la jeune femme. En juillet, elle, sa mère et son frère font leurs valises et rentrent chez eux via l’Allemagne et la Pologne, où leur père les attend.
Fin de permis S pour 4600 Ukrainiens
Kateryna Potapenko fait partie d’une petite minorité de rapatriés. Depuis février, environ 66’000 réfugiés ont obtenu le statut de protection S, comme l’indique le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). 1800 d’entre eux ont depuis fait appel à l’aide au retour et sont retournés en Ukraine – ce qui représente moins de 3% de tous les réfugiés.
Les cas dans lesquels le SEM a retiré le statut S sont toutefois plus de deux fois plus nombreux. Pour 4600 personnes, le statut de protection a pris fin. Parmi elles, il y a probablement des Ukrainiens qui sont rentrés chez eux sans aide au retour; d’autres ont probablement poursuivi leur voyage vers d’autres pays.
Kateryna se sent plus à l’aise à Kiev qu’en Suisse. Elle s’y sent même plus en sécurité: «En Suisse, j’étais constamment accrochée à mon téléphone portable. Quand il y avait une attaque dans notre quartier, je téléphonais à toutes les connaissances qui y habitaient.» Si on ne pouvait pas joindre quelqu’un, il fallait s’attendre au pire: «C’était démoralisant.»
De retour à Kiev, elle se dit moins stressée. «Notre quartier est immense. S’il y a une attaque, j’entends à peu près où elle a eu lieu.» Si quelqu’un devait effectivement être blessé, elle préférerait être sur place pour aider.
Svetlana espère rester en Suisse
Un retour comme celui de Kateryna Potapenko n’est pas à l’ordre du jour pour Svetlana Naumenko, une Ukrainienne de 49 ans. A Kiev, elle occupait un poste prestigieux d’assistante au parlement ukrainien; en Suisse, elle vit actuellement de l’aide sociale et suit un cours de langue. Pourtant, elle est catégorique: «Bien sûr que je veux rester». Une position qui – à en juger par les chiffres – est partagée par de nombreuses Ukrainiennes.
A Kiev, elle ne se sentirait pas en sécurité, assure Sveltana. «Depuis les massacres de Boutcha et Irpin, où des femmes et des enfants ont été violés, chaque Ukrainienne réfléchit à deux fois avant de rentrer.»
En Suisse, en revanche, elle voit des chances de se développer professionnellement, explique cette psychologue de formation. «Le besoin d’aide psychologique est grand, y compris pour les personnes en fuite.»
Elle n’a pas encore réussi à trouver de travail, faute d’un allemand suffisamment opérationnel. Parallèlement, de nombreux employeurs hésitent à embaucher des personnes avec un statut S. Au printemps, il avait été annoncé que le statut de protection serait limité à un an.
Quand et comment organiser le retour des réfugiés?
Entre-temps, la Confédération a changé d’avis. La protection est valable jusqu’à ce que le Conseil fédéral l’annule, dit-on au SEM. Le statut S n’a donc pas besoin d’être explicitement prolongé. La Confédération va en outre se coordonner avec les Etats de l’espace Schengen sur cette question. Et comme la Commission européenne s’est prononcée en faveur d’une prolongation du statut jusqu’en mars 2024, la Suisse va probablement suivre le mouvement.
Pendant ce temps, la ministre de la Justice, Karin Keller-Sutter, fait rédiger un rapport sur la manière dont le retour des réfugiés peut être organisé après la suppression du statut S. Valentin Vogt, président de l’Union patronale suisse, serait favorable à ce que le retour soit échelonné: «Si quelqu’un a un emploi, cette personne pourrait par exemple rester plus longtemps ici qu’une personne qui n’a pas de travail», estime-t-il.
Il est également important, selon lui, de ne pas alimenter en vain les éventuelles illusions des personnes en fuite: «Le statut S est orienté vers le retour. L’idée n’est pas que les fugitifs restent durablement en Suisse après la fin de la guerre.»
Une adaptation rapide à la vie de Kiev
Pour Svetlana Naumenko, retourner au pays ne semble pas vraiment d’actualité. Son objectif est de trouver un emploi le plus rapidement possible. «Je serais aussi prête à travailler dans un hôtel ou un restaurant», assure la psychologue de formation.
De son côté, Kateryna Potapenko s’est rapidement habituée à sa nouvelle vie à Kiev. La plus grande différence avec le passé est qu’il n’est plus possible de planifier les choses à l’avance, dit-elle. Cela ne l’empêche pas de partir en voyage. «La semaine dernière, je suis allée avec une amie à Czernowitz, à la frontière moldave.» Elles n’ont pas eu besoin de trop de temps de préparation: «Nous avons eu l’idée – quelques heures plus tard, nous étions en route».