Dans la région française autour de Genève, élus et frontaliers sont vent debout face aux propositions «discriminatoires» du gouvernement français de réduction de l'indemnisation chômage des frontaliers travaillant en Suisse, certaines associations étant prêtes à aller devant les tribunaux. «Le frontalier est chéri dans certaines périodes, mais jalousé et vilipendé dans d'autres. C'est un bouc émissaire», s'irrite Thomas Fischer, à la tête du Groupement transfrontalier européen, fort de 25'000 adhérents.
Or, les salaires des travailleurs frontaliers soutiennent l'économie de plusieurs régions françaises, dit-il à l'AFP au siège de l'association à Annemasse (Haute-Savoie). Au coeur des discussions, la négociation sur l'assurance chômage entre patronat et syndicats qui doit se conclure jeudi. Le gouvernement leur demande de trouver 400 millions d'euros supplémentaires par rapport à l'accord conclu l'an dernier. Une piste concerne le système d'indemnisation des allocataires frontaliers. Cela représente un surcoût d'environ 800 millions d'euros par an pour l'assurance chômage, selon l'Unédic.
Les règles européennes prévoient qu'ils cotisent dans le pays d'emploi mais perçoivent des indemnités calculées sur la base de leurs salaires, souvent plus élevés qu'en France, notamment pour ceux ayant travaillé en Suisse et au Luxembourg. Une proposition serait d'appliquer un coefficient pour prendre en compte la différence de niveau de vie entre le pays de travail et la France. Et la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet a indiqué vouloir redéfinir la notion d'"offre raisonnable d'emploi» pour les frontaliers.
Il vaudra mieux vivre en Suisse?
L'Unédic, dans un document interne fin octobre, relevait toutefois que le principe d'un coefficient «pourrait être considéré comme non conforme au cadre légal actuel et nécessiter sa modification préalable». Les associations de frontaliers dénoncent des mesures «discriminatoires». «On est prêt à aller en justice», affirme à l'AFP Pierre Fleury, un responsable de l'Amicale des frontaliers, une association basée à Morteau (Doux), qui revendique 11'000 adhérents.
«C'est injuste. La France cherche à absorber au travers des frontaliers son incapacité à gérer le chômage», dénonce une de leurs membres, une trentenaire travaillant dans le marketing à Genève et souhaitant garder l'anonymat. Avec son mari, également frontalier, ils consultent l'association «pour savoir si au final ce n'est pas mieux de vivre» en Suisse, dit-elle, à l'AFP. Un projet auquel le couple songeait déjà mais que les discussions sur l'indemnisation chômage ont «accéléré».
Les frontaliers sont «inquiets» et ceux qui sont au chômage ont maintenant «un sentiment de honte»: «Ils ont l'impression de voler quelque chose à la France», se désole Ibrahima Diao, juriste de l'Amicale des frontaliers à Gaillard, près de Genève. Le règlement européen prévoit des compensations financières entre Etats: le reversement par le pays d'emploi d'entre trois et cinq mois de prestations chômage au pays de résidence. Un montant jugé par tous insuffisant face au nombre croissant de frontaliers résidant en France et travaillant en Suisse.
Dialoguer avec la Confédération
Fin septembre, un peu plus de la moitié (57,4%) des 403'000 frontaliers travaillant en Suisse étaient domiciliés en France, à savoir 231'456 personnes, un chiffre qui a doublé depuis 2007. Les associations de frontaliers disent tirer la sonnette d'alarme depuis des années. En 2019, les Etats avaient trouvé un accord pour que les frontaliers sans emploi soient pris en charge par le pays où ils travaillaient.
«Au moment du vote au Parlement européen, plusieurs ont mis leur veto», explique la responsable du pôle transfrontalier à la Fédération des entreprises romandes, Guylaine Riondel-Besson, à Genève. Le règlement européen prévoit que dans le cadre d'un accord bilatéral la France puisse demander à la Suisse une compensation plus élevée. «Il faudrait arrêter de taper sur le frontalier, c'est aux Etats à discuter entre eux», demande-t-elle.
Un appel à négocier avec Berne lancé aussi par les associations ainsi que par des députés et sénateurs de Haute-Savoie, qui ont envoyé un courrier à la Confédération. «Aujourd'hui, l'Etat français est dans une situation financière difficile» mais «il est important de ne pas stigmatiser» les frontaliers, renchérit le maire de Vulbens, Florent Benoit, président de la Communauté de communes du Genevois, regroupant 17 communes de Haute-Savoie. «Ce n'est pas à la France de faire le matelas du modèle social suisse», dit-il, appelant à un «dialogue courtois mais ferme» avec Berne.