Qu'est-ce qui est beau, qu'est-ce qui ne l'est pas? C'est sur cette question (indéniablement subjective et abyssale) que les Genevois se prennent le chou depuis deux jours. Ou devrait-on dire l'orange et le brocoli? L'affiche pour l'édition 2024 des concerts estivaux à la scène Ella Fitzgerald, située dans le parc La Grange, fait frétiller les réseaux sociaux. Tout simplement car elle serait «assez moche», d'après la plupart des commentaires.
Relayée par les autorités le mardi 9 avril, c'est sur Facebook que l'image, qui détourne une orange et un brocoli pour représenter un soleil et un arbre, semble avoir provoqué le plus de réactions outrées. Le programme de cet événement, gratuit et ouvert à toutes et tous de juin à août, sera quant à lui dévoilé en mai.
Parmi les internautes qui ont pris l'œuvre graphique en grippe — la comparant souvent aux exploits artistiques d'un enfant en bas âge — il y a deux politiciens genevois. Le libéral-radical (PLR) Bryan Lo Giudice et le socialiste (PS) Matthieu Jotterand sont aux antipodes, sur l'échiquier politique. Mais l'art est rassembleur: tous deux épinglent l'affiche en commentaires. Pour rappel, l'affiche pour la fête du 1ᵉʳ aout 2023 avait déjà déclenché un tollé comparable.
«L'argent des contribuables»
Député au Parlement genevois sous la bannière du parti à la rose, Matthieu Jotterand sous-entend par exemple qu'il a cru que l'affiche était une blague du 1ᵉʳ avril, lorsqu'il l'a découverte: «J'ai regardé la date de publication... et non, c'était pas ce que j'imaginais 🐟 », peut-on lire sur le réseau social de Méta.
Le membre du comité directeur du PLR Genève Bryan Lo Giudice a quant à lui carrément repartagé l'affiche sur ses profils Facebook et Instagram pour dire tout le bien qu'il en pensait. En story sur la seconde plateforme, on peut lire: «Voilà où va l'argent des contribuables de la Ville de Genève. Des agences de communication payées des fortunes pour ça. Vivement les élections municipales», tacle l'élu du grand parti bleu.
Le libéral-radical s'en prend ainsi implicitement au Service culturel de la Cité de Calvin, sous l'égide du socialiste Sami Kanaan, à un an de la course aux municipales. Nous avons posé la question du coût approximatif du visuel à l'instance concernée, qui nous indique que, de manière générale, il faut compter «3000 à 5000 francs» pour ce genre de commandes.
«Par ma petite cousine de 5 ans»
Contacté par téléphone, Bryan Lo Giudice monte allègrement au créneau: «En plus de donner l'impression d'avoir été réalisée par ma petite cousine de 5 ans, l'affiche est assez illisible au niveau des indications de date par exemple, je trouve.»
Il embraie: «Les gens se demandent comment le visuel a bien pu passer la rampe et combien il a coûté...». Et l'homme de droite de tacler encore: «Ils auraient au moins pu mettre des fruits de saison. Et, si on avait représenté un steak et une cuisse de poulet, à la place, les antispécistes et autres véganes seraient montés au créneau!»
Politiser le brocoli?
Contactée, la chargée de communication du Service culturel de la Ville de Genève Gaëlle Amoudruz nous explique que c'est l'association JAYDOS production, lauréate de l'appel à projet lancé par la Ville, qui s'occupe de la programmation tout comme de l'identité graphique de l'affiche. C'est cette assos' qui a sélectionné l'atelier de graphisme genevois Neo Neo pour illustrer le tract de l'événement estival.
La communicante précise encore: «La Ville a eu un droit de regard, bien sûr, mais le conseiller administratif Sami Kanaan lui-même n'a pas vu l'affiche avant sa parution, par exemple.» Son Service ne voit pas le problème, et s'étonne de la réaction de Bryan Lo Giudice, qui semble vouloir politiser cette micro-polémique: «Je ne sais pas si le brocoli est de gauche ou de droite!», ironise-t-elle.
«Volontairement naïf et brut»
Également invités à réagir sur nos plateformes, les graphistes à l'origine de l'œuvre, Xavier Erni et Thuy-An Hoang, s'expliquent: «Notre idée (...) était de partir sur un coucher de soleil comme on peut en vivre en été aux côtés de la scène Ella Fitzgerald. Pour composer ce paysage, nous avons choisi une approche décalée.»
Les artistes de poursuivre, par retour de mail: «Il y a visuellement un aspect volontairement naïf et brut (le brocoli et l'orange très simplement découpés et placés sur le fond dégradé), mais aussi une touche surréaliste teintée d’humour. Pour nous, ces concerts en plein air sont des moments de rencontre musicales, à travers une programmation populaire, mais aussi pointue. Nous avons essayé de répondre à cela dans le ton de l’affiche.»