Rapport sur l'achat des F-35
Imbroglio au sein du Conseil fédéral sur le dossier des avions de combat

Tout s'est-il vraiment bien déroulé lors de la décision d'acheter les avions de combat américain F-35 et non des modèles européen ? Oui, répond la Commission de gestion. Mais en réalité, plusieurs cafouillages ont eu lieu.
Publié: 11.09.2022 à 18:01 heures
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Sur le plan technique, tout s'est déroulé correctement lors de la décision d'achat de l'avion de combat F-35.
Photo: Keystone
Pascal Tischhauser

Tout se serait déroulé «correctement». La conclusion de l’évaluation technique du nouvel avion de combat est compréhensible et transparente. C’est ce qu’a constaté vendredi la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N). Pour elle, rien ne s’oppose donc à l’achat du bombardier furtif F-35.

Mais, dans la grande salle de conférence du centre de presse bernois, l’ambiance «Top Gun» n’était pas vraiment au rendez-vous. Si un titre de film devait décrire l’impression diffusée par le rapport de la CdG-N, ce serait «… Ils ne savent pas ce qu’ils font».

Les aspects techniques et le prix comme principaux critères de sélection

Selon le rapport, le projet d'achat des avions de combat a été mal ficelé dès le départ. Le Conseil fédéral n'était pas conscient des conséquences de son approche sur ce dossier - à savoir qu'il n'a jamais été possible de choisir un avion pour des raisons purement politiques.

C’est surtout la conseillère fédérale Viola Amherd qui aurait dû se rendre compte de ce qu’elle faisait. Dans son message sur l’affaire, appelé «arrêté de planification», il était écrit: «En cas d’offres équivalentes, les aspects de politique étrangère peuvent jouer un rôle.» C’est du moins ce qui était mentionné dans les versions italienne et allemande. Ce n’était pas le cas dans la version française.

Selon la CdG-N, qui se réfère au procès-verbal de décision, le Conseil fédéral a approuvé sans discussion l’arrêté de planification le 26 juin 2019. En décembre 2019, le Parlement a fait de même.

Ainsi, fin 2019, tout le monde aurait dû comprendre: ce n'est que lorsque les différents modèles d'avions sont équivalents dans l'évaluation technique que les aspects politiques - par exemple les contre-affaires dans le dossier de l'UE ou les questions fiscales - peuvent alors influencer le choix du modèle.

Quid des considérations politiques?

Pourtant, le Département de la défense (DDPS) de Viola Amherd a encore affirmé à la mi-octobre 2020 que les résultats de l’évaluation technique constituaient certes une base importante pour le choix du modèle d'avion, mais que le Conseil fédéral était en principe libre et non lié par le rapport d’évaluation.

Autrement dit: le DDPS considérait que le Conseil fédéral pouvait prendre une décision sur la base de critères politiques.

Le F-35, un choix évident selon l'Office fédéral de la justice

Selon le rapport de la CdG-N, le DDPS a ensuite chargé le cabinet d’avocats Homburger de procéder à un examen de plausibilité en avril 2021. Les avocats devaient déterminer si le meilleur avion sur le plan technique et en matière de prix devait être acheté ou s’il existait une marge de manœuvre.

Résultat de cette étude: un avion s’est clairement avéré être le meilleur d'un point de vue technique et au niveau du prix. Le Conseil fédéral devait l'acheter. Il s’agissait du F-35.

Le document des avocats a coûté 875’000 francs, mais selon la CdG-N, il n’a guère été utile au Conseil fédéral. Seule une expertise ultérieure de l’Office fédéral de la justice, parvenue à la même conclusion, a été décisive, selon les conseillers fédéraux Ueli Maurer et Ignazio Cassis.

Les membres de la CdG-N se demandent donc quelle a été l’utilité du très coûteux document du cabinet d'avocats Homburger.

Manque de communication

Il est également peu compréhensible que Viola Amherd ait su depuis la mi-mars 2021 que le F-35 avait obtenu de loin les meilleurs résultats, mais qu’elle n’en ait informé ses collègues du Département de la justice et des affaires étrangères qu’à la mi-mai et les autres conseillers fédéraux que pendant la première quinzaine de juin.

Par conséquent, d'autres conseillers fédéraux ont continué à négocier des contreparties politiques avec différents pays constructeurs. Et ce, jusqu'à quelques semaines avant la décision finale pour le F-35, annoncée le 30 juin 2021. Certains membres du gouvernement ont par exemple exigé des concessions écrites de la France - bien que le Rafale français ait été depuis longtemps hors course.

Maurer et Cassis critiquent leur propre décision

Ignazio Cassis et Ueli Maurer critiquent le fait que le Conseil fédéral ait inutilement restreint sa marge de manoeuvre en excluant les considérations politiques comme critères de sélection d'un avion. Le ministre des Finances affirme même qu'il aurait souhaité que le Conseil fédéral puisse prendre une décision politique à la fin.

Seulement voilà: tant dans la langue maternelle d'Ignazio Cassis que dans celle d'Ueli Maurer, il était écrit noir sur blanc dans l’arrêté de planification qu’ils avaient approuvé le fait qu'une décision politique ne puisse être prise qu'en cas de résultats identiques dans l'évaluation technique.

Ils auraient pu intervenir en juin 2019 par le biais d’un co-rapport. Mais il apparaît à travers le rapport de la CdG-N que tous les deux, ainsi que tous les autres membres du Conseil fédéral et le Parlement - tout le monde, en fait - ont raté ce passage essentiel et décisif...

(Adaptation par Quentin Durig)

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