Sa voix a le don d’énerver les supporters d’Eric Zemmour ou de Marine Le Pen, de Jean-Luc Mélenchon, des figures antivax comme Francis Lalanne ou Chloé Frammery. Sur Twitter, Massimo Lorenzi — plus de 14’000 followers — prend régulièrement position contre les extrêmes de tous bords, mais surtout contre la droite dure. Fils de saisonnier italien (il a notamment raconté son «enfance clandestine» dans «L’illustré»), il dénonce la xénophobie et le racisme dans des posts qui peuvent paraître impulsifs. Et reçoit en retour insultes et menaces.
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Pourquoi ce besoin? Lorsqu’on est rédacteur en chef des sports à la RTS, peut-on se permettre de tacler la candidate du Rassemblement national? Rendez-vous téléphonique est pris ce jeudi matin.
- Bonjour Monsieur Lorenzi, comment allez-vous?
- Bonjour Monsieur Juillard, ça va et vous? Je crois qu’on va se tutoyer, ça sera plus simple.
Va pour le «tu» confraternel (entre journalistes, on se tutoie souvent, même si on ne se connaît pas, comme ici). Dans l’échange qui s’ensuit, l’ancien présentateur du téléjournal et reporter pour «Temps Présent» assure ne pas faire de politique au sens partisan du terme, assume ses tweets et décortique sa «répulsion» de l’extrême-droite. En plus de 280 caractères.
Tu as visiblement regardé le débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen hier. Et t’en as profité pour tacler Marine Le Pen dans plusieurs tweets. C’est devenu une habitude pour toi!
Massimo Lorenzi: J’ai suivi ce débat très attentivement parce que les élections françaises m’intéressent au-delà de mon travail de journaliste, en tant que citoyen, qui ne fait partie d’aucun parti, Dieu m’en préserve. J’ai envoyé deux tweets très simples pendant le débat, mais je n’ai pas taclé Marine Le Pen. J’ai donné mon impression: pour moi, le champion en titre était plus solide que la challenger, notamment sur la question russe.
Sur Twitter, tu t’attaques régulièrement à l’extrême-droite. Et on sait que la droite dure est très forte sur les réseaux sociaux…
Ah non! Je n’attaque personne! D’abord, il faut être clair et faire attention aux termes qu’on utilise: je défends des valeurs et il y a des choses qui me choquent, qui me font frémir, comme le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme ou l’homophobie. Je ne diffame, n’insulte ni ne menace personne. Je peux être ironique, acide, naïf, parfois, mais je ne tombe pas dans ces travers. Je milite — à titre personnel et à mon petit niveau — pour défendre ces valeurs dans ce grand fourre-tout que sont les réseaux sociaux. Je considère par exemple que vouloir pratiquer la préférence nationale est une prise de position teintée de xénophobie et de racisme.
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À ton petit niveau?? Mais t’es un leader d’opinion!
Non! Je ne suis pas un leader d’opinion, je ne cherche pas à convaincre et à mobiliser. J’exprime un avis et je prends position.
Ok, mais nous, les journalistes, sommes des leaders d’opinion, au sens sociologique du terme. Nous sommes plus écoutés que Madame ou Monsieur Tout-le-Monde.
Ah d’accord, alors si on parle de cette définition-là et que tu te considères aussi comme un leader d’opinion, ça me va.
Revenons à ma liste de questions. Pourquoi régulièrement prendre position publiquement à ce sujet?
Le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie ou encore l’homophobie affectent notre manière de vivre ensemble. Même si mon action est dérisoire, je manifeste ma sensibilité ponctuellement sur mon fil Twitter parce qu’il ne faut pas laisser le terrain totalement libre et s’accoutumer, s’accommoder de certains discours aujourd’hui banalisés. J’ai des amis qui habitent en Hongrie et me disent comment ça se passe, je peux vous dire que je n’ai pas très envie de vivre dans une démocratie comme celle-là… Après, que les gens votent à gauche ou à droite, ça m’est égal. Ce sont les extrêmes qui me dérangent, leur rhétorique m’effraie.
Tu l’as écrit: ça te vaut des insultes et des menaces!
Mon petit tweet de dimanche faisait suite à quelques échanges que j’ai eus avec des collègues du service public français et de la RTS. Ils m’ont tous dit: 'C’est dingue, dès qu’on prend position contre l’antisémitisme, le racisme ou l’homophobie que véhicule un programme politique ou une personnalité, on est couvert d’insultes et de menaces'. Comme eux, je les subis aussi. C’est inévitable puisqu’on exprime des avis que certains voudraient qu’on ne dise pas. Affirmer son refus, sa répulsion des extrêmes, ça ne passe pas auprès de ces mêmes extrêmes, qui condamnent quiconque conteste leur vision.
À quoi ressemblent ces insultes, ces menaces?
On me traite de vendu, de crétin. Il y a aussi les insultes xénophobes. Mais ça, j’en ai l’habitude. En tant que fils d’immigrés italiens, j’en recevais déjà gamin. J’ai aussi reçu des menaces physiques. Nonante-neuf pour cent du temps, elles proviennent de comptes anonymes. Les réseaux leur offrent une forme d’immunité.
T’as peur?
Non, je ne me sens pas du tout en danger. Et ce n’est pas pour ça que je vais renoncer à participer au débat démocratique et laisser le champ libre à des gens qui menacent le vivre-ensemble. Les menaces sont inévitables. Quand je travaillais pour le téléjournal, c’était l’époque des conflits en ex-Yougoslavie et au Rwanda: là aussi, j’avais reçu des menaces écrites et ciblées. Du genre, 'on sait où t’habites, salaud'. Alors qu’en fait on était juste en train de donner des informations vérifiées. Comme aujourd’hui lorsqu’on dit que l’Ukraine est victime d’une agression russe ou que c’est faux de dire que des centaines de sportifs meurent après avoir été vaccinées contre le Covid.
D’où te vient ce besoin de combattre l’extrême-droite?
Mon grand-père paternel, résistant, a connu le camp de concentration de Mathausen et m’a parlé des années 30 et de la peste brune. Et puis, comme fils d’immigrés italiens, dans les années 60 et 70, c’était assez rude pour les Italiens de Suisse avec les initiatives Schwarzenbach (ndlr: «contre la surpopulation étrangère»). Comme beaucoup d’immigrés dans ce pays, j’ai ressenti la xénophobie au long de mon parcours. Quand tu vis ça, tu développes une sensibilité au rejet et tu y portes une attention particulière.
À tes yeux, Marine Le Pen, que tu appelles régulièrement «la fi-fille à son papa», c’est une menace pour la démocratie?
Je l’appelle comme ça parce que lorsqu’on grandit dans le manoir à son papa et avec son argent, on n’est pas vraiment une femme du peuple, quoi qu’elle en dise. Et… Est-elle une menace pour la démocratie? Je dirais, à titre personnel encore une fois, que tous les extrêmes le sont, parce que les démocraties sont fragiles.
Tu parles des extrêmes, au pluriel. Zemmour, Mélenchon, Le Pen, les figures complotistes antivax, tu les mets toutes et tous dans le même panier, aux côtés de Poutine?
Pour moi, un extrême est un extrême. Mélenchon a tenu pendant très longtemps des discours troubles sur Poutine ou Maduro. Et il faut lire ce qu’écrivent les Francis Lalanne et autres à propos des vaccins contre le Covid! Les extrêmes ne laissent pas de place pour la nuance, ils sont vite sectaires. Et la discussion est souvent impossible. T’as déjà essayé?
Oui. Mais revenons à toi. Tu travailles pour la RTS, t’es rédacteur en chef des sports. Avant cela, t’as présenté le téléjournal, puis travaillé pour «Temps Présent». L’actu te manque autant que ça?
Si je travaillais encore pour l’actu, je me tairais et ne prendrais pas position sur Twitter. Parce que là, il faut s’imposer une distance avec les sujets. Mais je continue à suivre, de manière addictive, l’actualité au sens large. J’ai gardé une passion intacte pour l’actu.
Mais quand même, quand on est journaliste, employé par le service public, on n’a pas un devoir de réserve?
Oui, mais je défends les valeurs du service public, à commencer par l’indépendance. Je suis fier de ce que fait le service public en Suisse. Ses valeurs sont porteuses de vivre-ensemble. En France, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse ou ailleurs, les médias de service public continuent à essayer d’expliquer et de réunir les gens plutôt que de diviser. J’y suis très sensible et, parmi les différents directeurs que j’ai connus, tous partageaient cette vision humaniste des choses.