Notre planète se réchauffe toujours davantage. Intempéries, hausse du niveau des mers, crises alimentaires, nouveaux lacs glaciaires…
La liste des conséquences est aussi interminable qu’inattendue, puisque le changement climatique affecte aussi les frontières nationales.
Des frontières en mouvement
La frontière entre la Suisse et l’Italie, longue de 800,2 km, fond tout simplement avec la disparition des glaciers. Pour être plus précis, elle se déplace.
Cela ne concerne toutefois que les régions de haute montagne, qui ne sont habituellement pas habitées. Mais, est-ce vraiment important de savoir où se situe précisément la frontière? Oui, répond Alain Wicht, responsable du tracé de la frontière nationale suisse à l’Office fédéral de topographie (Swisstopo).
Les limites des pays doivent être clairement définies. «Lorsqu’un accident se produit, la question se pose de savoir qui est responsable», précise Alain Wicht. Lorsque des lignes de train ou des routes traversent les Alpes, il doit être clair si l’on doit s’en tenir aux règlements italiens ou suisses pour leur construction et l’entretien.
Dans de rares cas, une frontière nationale peut également influencer la TVA. La cabane Testa-Grigia dans le domaine skiable au-dessus de Zermatt (VS) est un bon exemple. Le glacier autour du refuge a fortement fondu ces dernières années. La Suisse et l’Italie doivent se mettre d’accord sur l’emplacement de la frontière pour déterminer quel pays administre la cabane.
Les frontières naturelles évoluent constamment
Il existe une règle qui régit en montagne: c’est la règle dite de la ligne de partage des eaux. Celle-ci stipule que cette ligne, c’est-à-dire la crête de la montagne, détermine la frontière. Le refuge de Testa-Grigia se trouverait donc en grande partie en Suisse.
Notons que les deux tiers de la frontière suisse, longue de près de 2000 km, sont des frontières naturelles, comme des lacs, des rivières et des montagnes. Environ 7000 bornes marquent la délimitation des frontières. Celle-ci est, habituellement, à peu près fixe.
Mais les frontières naturelles évoluent constamment, en raison des éboulements, des intempéries – ou justement du changement climatique.
Giuseppe di Giacomo, gardien de refuge sur la Testa-Grigia, n’y comprend pas grand-chose. «Ce sont des réflexions théoriques, a-t-il déclaré au journal 'Walliser Bote'. La cabane n’a pas bougé. Elle se trouve depuis toujours sur ce rocher, et celui-ci appartient à l’Italie.»
Mais à qui appartient la cabane alors?
Depuis bientôt deux ans, l’Italie et la Suisse ne parviennent toujours pas à se mettre d’accord pour savoir sur quel sol se trouve désormais la cabane de Testa-Grigia. Cela s’explique aussi par le fait qu’à chaque modification de frontière, de nombreux services des deux pays sont impliqués.
Il existe des commissions mixtes avec chaque pays voisin. Celles-ci incluent des représentants de chaque État. Du côté suisse, des représentants de Swisstopo, du Département des affaires étrangères, de l’administration des douanes et des géomètres cantonaux des régions limitrophes y siègent. L’Italie y envoie également de nombreux experts et représentants.
«Testa-Grigia est tout de même une exception», précise Alain Wicht. Dans d’autres cas, les processus peuvent durer, mais les discussions ne sont jamais aussi intenses.
Il y a 20 ans, un cas similaire s’était produit à la frontière italo-suisse au Furggsattel, au-dessus de Zermatt. Avec le retrait du glacier du Théodule vers l’an 2000, la frontière a dû être corrigée. Désormais, l’arrivée du télésiège se trouve sur le territoire suisse.
Au bout du compte, la Suisse s’agrandit
Mais qu’est-ce que ces déplacements de frontières impliquent concrètement? Même Alain Wicht ne le sait pas vraiment.
Contrairement à l’adaptation de frontières artificielles – un État reçoit alors la même surface que ce qu’il doit céder, un changement des frontières naturelles n’est pas aussi clairement défini. «À certains endroits, la Suisse a gagné du territoire, à d’autres, elle en a perdu», explique le responsable de Swisstopo.
Mais dans l’ensemble, la Suisse devrait toutefois profiter du changement climatique, du moins en ce qui concerne les gains de territoire. Les glaciers se trouvent principalement sur les versants nord. S’ils fondent, la ligne de partage des eaux se déplace vers le sud. La surface de la Suisse va donc augmenter.
Des temps difficiles s’annoncent
Avec le recul croissant des glaciers, Alain Wicht s’attend à des temps difficiles.
Partout où les glaciers marquent des frontières, il sera plus que jamais sollicité dans les années à venir. Certes, ces frontières sont importantes, mais ce n’est pas la principale préoccupation du responsable chez Swisstopo. La fonte des glaciers l’inquiète profondément. «C’est pire que jamais», témoigne-t-il après quelques jours passés dans les montagnes autour de Zermatt.
(Adaptation par Mathilde Jaccard)