Protection des données
La police a-t-elle le droit de prendre votre carte d'identité en photo?

Alors qu'il se faisait contrôler par la police municipale lausannoise, au centre-ville au mois de juin, un sexagénaire vaudois a vu sa carte d'identité être prise en photo par un agent... Est-ce bien légal? La réponse n'est pas si simple.
Publié: 14.08.2024 à 20:27 heures
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Dernière mise à jour: 27.08.2024 à 15:00 heures
La police peut-elle photographier vos papiers d'identité lors d'un contrôle? On s'est posés la question. (Image d'illustration)
Photo: Keystone
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

La police, qu'elle soit cantonale ou municipale, a-t-elle le droit de prendre votre carte d’identité en photo lors d'un contrôle? C’est la question — pas si évidente! — que fait émerger la mésaventure de Karl*. Alors qu’il est au centre-ville de Lausanne, non loin de la place de la Palud, un jour de juin 2024, le quidam vaudois s'engage dans un échange un peu houleux avec des agents de la police municipale.

Le sexagénaire n’a pas commis d’infraction. Mais sa présence près des policiers, de toute évidence en mission, importune ostensiblement la petite brigade. Assez pour que l'un des agents, que nous appellerons Ludovic*, demande à Karl de lui présenter ses papiers. Pour ensuite prendre sa carte d’entité en photo avec son téléphone personnel.

Est-ce bien légal, de procéder ainsi? Et bien, pas vraiment, non, d’après la Loi fédérale sur la protection des données (LPD), et les éclaircissements que nous avons pu obtenir de la part des autorités. Blick vous explique le pourquoi du comment.

«Contrôle de pure curiosité»

Karl narre sa version des faits. Le contrôle serait intervenu après «une discussion un peu tendue avec les policiers» dans la rue, «sans aucune suspicion d’infraction de ma part», assure-t-il. Plus précisément, après que le passant a relevé le numéro de matricule d’un des agents à cause de l'échange désagréable — ce qui aurait irrité ce dernier.

Le retraité s’indigne vigoureusement: «J’estime que je me suis fait abuser par ces quatre policiers, censés me protéger. Tout cela pour un contrôle d’identité de pure curiosité, mené de manière douteuse.» Le jour même, Karl se fend d’une lettre de doléances à l’attention du «Service de déontologie» de la police lausannoise.

Parmi les documents à notre disposition, il y a aussi la version des faits du policier Ludovic. D’après son récit, Karl a volontairement adopté une posture provocatrice: alors que l’agent, qui venait de finir un appel avec un autre service, devait faire un topo à ses collègues, le flâneur aurait laissé traîner ses oreilles un peu trop près d’eux. Avec insistance. À tel point que c’en serait devenu suspicieux.

Le policier perd son calme

On peut notamment lire, dans le rapport du policier: «J’ai demandé à l’homme de partir, car […] c’était une discussion professionnelle. Il m’a lors expliqué qu’il avait le droit d’être là et de nous écouter», en référence au fait que la scène s’est jouée dans l’espace public. Puis, l’agent admet qu’il a dérapé: «J’ai alors élevé la voix et dit à son attention 'mais bordel de merde', j’ai ensuite repris mon ton de voix normal.»

Le fonctionnaire avance alors de quelques mètres avec un seul de ses collègues, pour fuir Karl, qui reste à l’arrière avec les deux autres agents. Mais le senior revient à la charge et demande son numéro de matricule à Ludovic, en affirmant qu’il allait «écrire» à sa hiérarchie. Le fonctionnaire lui retourne la politesse: «J’ai demandé à l’homme de s’identifier en lui disant que j’avais le droit de savoir qui allait écrire contre moi. Il m’a présenté sa pièce d’identité, laquelle a été photographiée des deux côtés.»

Convaincu de l’illégalité de la démarche de Ludovic, Karl rédige, comme promis, une doléance au sujet de l’agent — et surtout de son geste — à l'attention de la police lausannoise le jour même. Il s'y interroge sur les directives en la matière.

«Aucune directive interne»?

C'est d'abord le directeur juridique de la police cantonale qui lui répond, en avançant que «aucune directive interne à la police cantonale ne traite de cette question. Il n'est ni souhaitable ni possible de réglementer toutes les éventualités possibles. Au besoin, les tribunaux sont compétents pour juger de la légalité d'un cas concret.»

Mais, plus tard, dans un autre courriel, le commandant de police Olivier Botteron et le président de la commission de déontologie de la police lausannoise, le premier-lieutenant Philippe Tâche, donneront raison au retraité: non, le policier n’était de fait pas dans son bon droit.

Les autorités admettent: «Voulant faire gagner du temps à tout le monde et retourner au plus vite à sa mission», Ludovic a bien photographié la carte d’identité de l'homme. Et ce «avec son téléphone portable privé», sans avoir obtenu le consentement de l’interpellé.

Question de consentement

Au niveau légal, c’est précisément le non-consentement qui pose le plus problème, dans ce cas-ci. Interrogées quant à ce cas, la police municipale lausannoise et la police cantonale vaudoise expliquent à Blick que prendre en photo une carte d’identité dans un tel contexte peut être autorisé… mais uniquement avec un téléphone de service.

Et seulement si «la personne concernée a donné son accord quant à la prise de clichés, et qu’elle a été renseignée quant à la finalité de leur traitement». La police de Lausanne précise par ailleurs que, dans le cas de Karl et Ludovic, «il s’agissait d’un téléphone privé, les photos ont été supprimées peu après.» Donc, en bref, le policier était clairement en tort.

Pas une première!

Les autorités nous renvoient au rapport annuel d’activité de la commission de déontologie de la police lausannoise, pour des informations plus détaillées. On peut notamment y lire, en référence à l’application de la Loi fédérale sur la protection des données (LPD), que le cas de Karl n’est en fait pas une première.

À savoir: «Dans le cadre de quelques affaires traitées en 2022, il est ressorti que des policiers avaient photographié des permis de circulation, de séjour, voire d’autres documents d’identité avec leur téléphone portable, ceci par gain de temps ou solution de facilité.»

Cela alors que la loi fédérale «exclut cette pratique dès le moment où celle-ci est dictée par des motifs de gain de temps ou de facilité, et cela même en présence du consentement de la personne concernée. Il est donc recommandé de ne pas photographier les documents précités.»

À noter que, selon la préposée du canton de Vaud à la protection des données, Cécile Kerboas, si ce cas n'aurait en effet pas dû se produire, c'est plutôt la loi cantonale sur la protection des données qui réglemente «les traitements de données personnelles réalisés par des entités cantonales ou communales vaudoises», et pas la loi fédérale...

*Prénoms d’emprunt

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