Prisonniers de l'aide d'urgence
Plus de 2600 requérants d'asile déboutés sont coincés en Suisse

Les requérants d'asile déboutés peuvent rester des années en Suisse. Plus de 2600 d'entre eux sont coincés dans le pays alors qu'ils devraient ne plus y être depuis longtemps. C'est le cas de l'Iranien Rashid Amini. Rencontre.
Publié: 11.09.2023 à 10:34 heures
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Dernière mise à jour: 11.09.2023 à 10:50 heures
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Rashid Amini vit illégalement en Suisse parce qu'il refuse de quitter le pays.
Photo: Benjamin Fisch
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Robin Bäni et Benjamin Fisch

La vie de Rashid Amini se limite à quelques mètres carrés. L'Iranien passe ses journées sur un lit, juste à côté d'un petit réfrigérateur. «Je suis là toute la journée et toute la nuit», soupire l'homme de 58 ans. Tout ce qu'il possède est sur le rebord de la fenêtre: des boîtes d'œufs, du papier toilette, une brosse à dents, une lampe de chevet et des médicaments.

Rashid Amini vit au centre du Flüeli, une antichambre du départ pour les migrants renvoyés. L'endroit surplombe le village de montagne grison de Valzeina. L'homme est arrivé en Suisse il y a plus de 20 ans et y a déposé une demande d'asile. D'après ses affirmations, il est persécuté en Iran pour des raisons politiques. S'il revenait dans son pays d'origine, le régime le tuerait. Il est toutefois impossible de vérifier ces informations. Le Secrétariat d'Etat aux migrations, lui, ne l'a en tout cas pas cru et a rejeté sa demande d'asile.

Peur du régime

Pourtant, l'Iranien refuse de quitter la Suisse. Les autorités ne peuvent pas l'expulser, car l'Iran délivre des documents d'entrée uniquement si une personne souhaite entrer volontairement dans le pays. Rashid Amini reste ainsi dans les Grisons, dans des conditions précaires. Certes tolérée, sa présence sur le territoire helvétique est illégale. Il n'a pas le droit de travailler et vit de l'aide d'urgence.

Cette dernière existe depuis 2008. Selon les derniers chiffres publiés fin 2022, plus de 68'000 personnes y ont eu recours jusqu'à présent. Cela a coûté plus de 840 millions de francs à l'État. Une grande partie des personnes déboutées ne restent pas longtemps dans les centres de retour. Elles partent volontairement ou entrent dans la clandestinité.

Mais certains individus résistent à toutes les épreuves, et bénéficient d'une aide de longue durée. Fin 2022, ils étaient près de 2600. Ils restent ici parce que, malgré la sentence des autorités, ils se savent persécutés dans leur pays, comme Rashid Amini. Certains n'obtiennent pas non plus les documents d'entrée nécessaires dans leur pays d'origine. Les renvois forcés vers d'autres pays n'étant pas possibles, ils se retrouvent coincés en Suisse. 

Interdiction de travailler

Si les personnes concernées se retrouvent face à un dilemme, les autorités aussi. C'est particulièrement le cas lorsque des enfants sont impliqués. En touchant l'aide d'urgence, les migrants reçoivent tout juste assez d'argent pour couvrir quelques besoins existentiels. Rashid Amini ne touche quant à lui pas d'argent, mais uniquement des prestations en nature: nourriture, vêtements usagés, articles d'hygiène etc. 

L'aide d'urgence est versée différemment selon les cantons. En Argovie, les requérants d'asile déboutés reçoivent des prestations d'un montant de 7,50 francs par jour, à Bâle-Ville de 12,30 francs. Dans de nombreux cantons, ils doivent se présenter une ou deux fois par jour au centre d'asile pour un contrôle afin de recevoir leur argent. D'autres versent l'argent une fois par semaine. Certaines autorités migratoires interdisent de quitter le canton ou la commune. En cas d'infraction, ils risquent la prison.

Alors que les déboutés n'ont dans la plupart des cas pas le droit de travailler, certains cantons les autorisent à participer à des programmes d'occupation. Dans le canton de Schwyz, certains bénéficiaires de l'aide d'urgence peuvent par exemple travailler en forêt. Ils ne touchent pas de salaire.

«Tant de soucis, tant de peur»

À chaque fois que Rashid Amini se rend chez sa thérapeute, il reçoit un billet de transports publics. L'Iranien a besoin d'une aide psychologique parce qu'il ne peut pas dormir la nuit. Vivre pendant des années de l'aide d'urgence a laissé des traces: «Ça casse psychologiquement. Ton corps aussi s'abîme. Il y a tant de soucis, tant de peur.» Sans avenir et sans horizon, l'homme a sombré, comme la plupart des bénéficiaires de l'aide d'urgence.

Ils sont huit à neuf sur dix à souffrir de dépression. Un sur trois a des idées suicidaires. Trois quarts d'entre eux présentent plusieurs maladies psychiques. Ce sont les terribles résultats d'une enquête menée en 2018. 500 professionnels estiment que la situation est dramatique. C'est pourquoi ils ont signé une lettre ouverte en 2022 pour demander que le système soit revu en profondeur.

Les personnes telles que Rashid doivent être autorisées à travailler, estiment-ils. Lui-même n'espère plus rien pour son avenir. «Je n'ai plus 30 ou 40 ans. Cela n'a pas d'importance», se résigne l'Iranien, certain que la mort l'attend dans son pays. Et en Suisse, il n'a aucune perspective.

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