Plongée dans un secteur discret
Un regard rare dans les coulisses d'une raffinerie d'or suisse au Tessin

Quatre des sept plus grandes raffineries d'or du monde se trouvent en Suisse. Une activité issue d'une longue tradition, peu connue du grand public. La branche est considérée discrète. Blick vous fait découvrir les coulisses d'une de ces raffineries.
Publié: 22.11.2022 à 16:28 heures
L'or liquide est coulé sous forme de lingots dans la raffinerie.
Photo: www.steineggerpix.com
Sarah Frattaroli

Mendrisio, localité située à quelques kilomètres de la frontière italienne, respire davantage le chic industriel que la dolce vita tessinoise. Destination d’excursion appréciée par les Suisses, elle cache cependant derrière de hauts murs en béton et des barbelés surveillés l’une des plus grandes raffineries d’or du monde: Argor-Heraeus.

La fonderie appartenait autrefois à UBS. Elle est aujourd’hui la propriété du groupe allemand Heraeus – un géant du commerce des métaux précieux, avec un chiffre d’affaires annuel d’environ 30 milliards de francs.

Malgré ses propriétaires allemands, le traitement de l’or a toujours lieu au Tessin. L’entreprise traite chaque année jusqu’à 1300 tonnes, ainsi que 1100 tonnes d’argent.

La raffinerie d'or tessinoise Argor-Heraeus est cachée derrière de hauts murs.
Photo: Sarah Frattaroli

Un labyrinthe de couloirs

Si peu de gens connaissent l’influence non négligeable de la Suisse dans le commerce de l’or, c’est aussi parce que le secteur est notoirement secret. Pendant des mois, Blick a bataillé pour se faire ouvrir les portes de l’une des quatre grandes raffineries d’or suisses. Et ce, après que ce marché suisse de l’or a attiré l’attention du public dans le cadre du conflit ukrainien.

Après une pluie de refus, seule la raffinerie Argor-Heraeus a laissé entrer Blick. Et encore, dans le cadre d’une visite de presse millimétrée. Derrière le haut mur de béton, l’Allemand Robin Kolvenbach, co-CEO nous a fait visiter cette usine bien gardée.

Équipé de lunettes de protection et de chaussons, il se rend dans les halles de production. Le lieu est semblable à un labyrinthe: différents bâtiments sont reliés entre eux par des couloirs souterrains, le tout rythmé par des contrôles de sécurité.

Le co-CEO Robin Kolvenbach avec la journaliste de Blick Sarah Frattaroli.
Photo: www.steineggerpix.com

La provenance de l’or scrutée

Quelque 500 collaborateurs hautement spécialisés travaillent dans la raffinerie. Deux d’entre eux, en train de traiter des «lingots dorés», disent bonjour à leur CEO d’un check du poing plein d’entrain. Le patron en question s’exprime aisément en italien.

Ces lingots ressemblent plus à de la pierre qu’à du métal précieux. Ils proviennent de mines du monde entier et sont acheminés à Mendrisio pour y être transformés. Chaque mine, qu’elle soit située en Russie ou en Chine, a une composition rocheuse unique.

Dans les laboratoires de Mendrisio, cette composition est vérifiée à l’arrivée du matériau afin d’éviter que de l’or provenant de sources problématiques ne soit livré. En outre, les lingots dorés sont aspergés d’un ADN artificiel dans les mines. Ici, cet ADN est analysé au moyen d’un test PCR.

Les lingots d'or sont obtenus par divers procédés chimiques.
Photo: www.steineggerpix.com

Le message est clair: le secteur s’efforce d’être transparent. Autrefois, le mantra était «l’or, c’est de l’or». Aujourd’hui, en revanche, les consommateurs et les investisseurs veulent savoir d’où vient le métal précieux: a-t-il été extrait par des enfants, ou remplit-il le trésor de guerre de Vladimir Poutine? Autant de questions désormais considérées sérieusement.

Dans cette localité tessinoise, il n’est pas possible de se présenter avec les bijoux en or de sa grand-mère et de les faire fondre. «Même le vieil or n’est acheté qu’auprès d’un petit nombre de fournisseurs fiables», assure Robin Kolvenbach.

Le fait que son entreprise surveille de près les sources d’or n’aurait rien à voir avec de la bienveillance. Il s’agirait plutôt d’une question de chiffres bruts. «Nous considérons la traçabilité de notre or comme un avantage concurrentiel», admet le chef d’entreprise.

L'or est d'abord réduit à l'état de poussière avant d'être transformé en granulés d'or.
Photo: www.steineggerpix.com

De la poussière de sable plutôt que de la poussière de fée

Les lingots sont désormais fondus à une température de 1600 à 2000°C dans le hall de production de Mendrisio. Il fait chaud dans la halle. Pourtant, pour des raisons de sécurité, les employés portent des vêtements longs et des gants épais.

Ceux-ci transforment les lingots en poussière d’or pure – qui a toutefois un aspect moins spectaculaire que prévu: elle n’est pas brillante, pas féerique, et ressemble plutôt à de la poussière de sable. Les halls d’Argor-Heraeus n’ont rien de luxueux non plus. Avec des sols en béton, des tuyaux métalliques et toutes sortes d’appareils techniques, ils ressemblent à n’importe quel autre hall d’usine.

La seule différence est qu’à la fin des processus chimiques, des granulés d’or d’une pureté de 99,99% sont produits et tombent dans des cuves en plastique, comme s’il s’agissait de gravier. «En tant que chimiste, je ne le remarque même pas, commente Robin Kolvenbach, haussant les épaules. Les processus chimiques qui se cachent derrière sont assez simples.»

Des granulés d'or transformés dans la raffinerie.
Photo: www.steineggerpix.com

Interdiction de prendre des photos

Dans un autre hall, les granulés d’or sont fondus. Pour la première fois, l’affinage de ce métal précieux ressemble vraiment à ce que l’on imagine: L’or liquide est ici coulé en lingots de différentes tailles. Pour refroidir, les lingots atterrissent dans une énorme marmite remplie d’eau de refroidissement. Un ouvrier la remue comme s’il s’agissait d’une soupière.

Dans d’autres pièces du labyrinthe encore, l’or, l’argent et le cuivre sont fondus en différentes combinaisons pour former des alliages destinés à l’industrie de la bijouterie. Les photos détaillées ne sont pas autorisées ici: «Secret commercial».

Le métal précieux est fondu entre 1600 et 2000 degrés.
Photo: www.steineggerpix.com

L’or traçable de A à Z

Quelques portes plus loin encore, des produits dorés finis sont emballés et scannés. Chaque produit a une surface unique, une sorte d’empreinte digitale. Si le numéro de série est limé ou si le lingot est divisé en deux, celui-ci est toujours clairement identifiable grâce au scan de surface.

L’objectif rêvé: un jour, chaque iPhone devra pouvoir scanner et identifier les lingots d’or. Le scan est enregistré sur la blockchain (une technologie de stockage et de transmission d’informations).

Tout comme le test PCR qui avait auparavant attribué le lingot à sa mine d’origine. L’or devient ainsi traçable de la mine jusqu’au coffre-fort de la banque. Cela a un prix. «En cas de doute, c’est le consommateur final qui doit payer», précise Robin Kolvenbach.

Les lingots d'or et d'argent ont un degré de pureté de 99,99%.
Photo: www.steineggerpix.com

Plusieurs millions de francs dans un seul endroit

L’or stocké ici vaut facilement plusieurs millions de francs. Le montant fluctue tous les jours selon son cours. Ce métal précieux est considéré comme une valeur refuge en période d’incertitude et a pris beaucoup de valeur après le déferlement de la pandémie de Covid-19 sur le monde ainsi que depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Mais le big boss de la raffinerie, Robin Kolvenbach, reste indifférent aux fluctuations des cours. «L’or dans l’usine ne nous appartient pas du tout», indique-t-il. L’usine n’est qu’un prestataire de services, elle traite l’or pour le compte de mines, d’horlogers ou de banques.

Il est donc d’autant plus important que celui-ci ne se perde pas. Avant de quitter les ateliers de l’usine de Mendrisio, nous passons au détecteur de métaux. Les agents de sécurité fouillent chaque visiteur. À la fin, les travailleurs et visiteurs enlèvent même leurs chaussons de protection pour éviter que la moindre paillette ne s’échappe des semelles.

Chaque lingot peut être identifié par un scan de surface. Cela permet d'assurer la traçabilité.
Photo: www.steineggerpix.com
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