Ça pourrait bien devenir concret: le parlement genevois a adopté, le jeudi 12 octobre, deux textes visant à réformer le système d’assurance maladie. À savoir, une résolution pour une caisse maladie cantonale unique. Ainsi qu’une motion, portée par Liberté et justice sociale (LJS) — le parti du ministre de la Santé et des Mobilités Pierre Maudet — pour la création d’une caisse d’assurance maladie cantonale publique.
Des projets plébiscités par une majorité des députés. Sauf les élus du Parti libéral-radical (PLR) et de l’Union démocratique du centre (UDC). Le lendemain du vote parlementaire, le grand parti bleu a publié un communiqué de presse: «Le Parlement veut augmenter les coûts de la santé», peut-on lire dans la missive.
Blick a contacté le président du PLR Genève, Pierre Nicollier — qui est par ailleurs consultant dans le domaine de la santé, et siège à la commission de la Santé du Grand conseil. Voici ce qu’il préconise, à la place d’une caisse maladie publique ou unique, pour faire baisser les coûts de notre système de santé. Interview.
Pierre Nicollier, le PLR et l’UDC sont les seuls partis à avoir dit non à une caisse maladie cantonale publique ou unique, au Grand conseil de Genève jeudi dernier. Ça fait quoi, de faire cavalier seul, dans un parlement pourtant bien marqué à droite?
Le parlement n’est pas dans une situation de blocs: n’oublions pas qu’il y a sept partis représentés, au Grand Conseil de Genève, chacun avec son programme et ses spécificités. Même si le parlement est globalement plus à droite que lors de la précédente législature, le PLR ne peut pas avoir des majorités sur tous les sujets. Quoi qu’il en soit, je soutiens qu’étatiser encore plus le système de santé va faire augmenter les coûts, et donc les primes.
Et quelles sont, en synthèse, les solutions préconisées par les libéraux-radicaux, pour lutter contre la hausse des primes?
Nous proposons des solutions à deux niveaux. Premièrement, il faut alléger au plus vite la charge des ménages en introduisant une déduction des primes dans les impôts, au niveau fédéral. Mais cela ne résoudra pas le cœur du problème, bien évidemment. C’est pour cela que nous proposons aussi et surtout d’agir sur les coûts de notre système. C’est la seule façon de faire véritablement baisser les primes.
Tous les partis politiques disent vouloir «agir sur les coûts», d’une manière ou d’une autre. Ça veut dire quoi, concrètement, pour le PLR?
Il y a des problèmes structurels, dans notre système de santé actuel — tout le monde est d’accord là-dessus. Pour le PLR, il faut agir dans les domaines précis qui dysfonctionnent. Par exemple: mettre en place un financement uniforme pour la médecine ambulatoire et stationnaire. Aujourd’hui, si vous êtes hospitalisé, 55% de la facture sera payée par le canton, et les 45% restants par votre assurance. En revanche, si vous êtes pris en charge en ambulatoire, c’est la facture entière qui est envoyée à votre caisse maladie. Cette situation donne lieu à un biais: le Canton a tout intérêt à ce que les gens soient pris en charge en ambulatoire. Pour les assurances, selon les prises en charge, c’est le contraire. Uniformiser ces deux modes de financement éliminerait un des multiples biais de notre système.
C’est intéressant. Mais n’est-ce pas mettre un sparadrap sur une jambe de bois?
C’est une mesure à prendre parmi beaucoup d’autres. Pour donner un autre exemple: il faudrait mettre en concurrence les fournisseurs, pour faire baisser les coûts des prestations que sont les diagnostics et les médicaments. Aujourd’hui, les prix dans ces deux domaines sont fixes. Ce qui est particulièrement scandaleux en ce qui concerne les médicaments, qui sont, en Suisse, jusqu’à huit fois plus chers que dans les pays voisins! Il n’y a qu’une mise en concurrence qui peut faire baisser ces prix.
Donc, notre système de santé ne serait pas assez libéral, et c’est pour ça qu’il coûterait si cher…
Cela dépend du point de comparaison, mais pour moi, notre système de santé n’est pas libéral du tout! C’est l’État qui valide annuellement les primes, qui décide des conditions d’assurance, qui contrôle le nombre d’hôpitaux listés, qui limite les installations de médecins, qui choisit les prestations remboursées… Dont certaines sont inutiles, ou pas prouvées scientifiquement. Il n’y a rien de libéral, là-dedans.
Quelles sont ces prestations «inutiles», pour vous?
La littérature scientifique indique que jusqu’à 20% de nos prestations médicales sont inefficaces ou inutiles. L’association smartermedicine.ch dresse d’ailleurs des listes d’actes médicaux inutiles dans diverses disciplines, et ce depuis 2014. Par exemple: quelqu’un qui a simplement mal au dos, et qu’on envoie directement effectuer une radiographie. Puis, il y a tous ces soins qui ne font pas l’unanimité dans les milieux scientifiques et médicaux: la médecine anthroposophique, l’homéopathie… L’efficacité de toutes les prestations remboursées par l’assurance de base devrait être prouvée scientifiquement.
Vous soutenez donc la proposition de vos collègues libéraux-radicaux, qui souhaitent mettre en place une assurance «low cost» avec moins de prestations, pour remplacer l’assurance maladie de base…
Je pense que le terme «low cost» est extrêmement mal choisi. Pour beaucoup de personnes, cela renvoie à quelque chose qui serait bon marché, et donc de mauvaise qualité. Et personne ne veut d’une médecine de mauvaise qualité. En revanche, je pense qu’il nous faut bel et bien nous pencher sur le catalogue des prestations, sans tabou. Ce catalogue a été élargi année après année par notre ministre de la Santé, Alain Berset. Et cela a participé à la hausse des coûts.
À vous entendre, on dirait que les assureurs eux-mêmes sont des acteurs irréprochables, dans toute cette problématique.
Je n’ai pas dit cela. Je pense qu’il y a également un problème du côté des réserves. Aujourd’hui, une assurance qui accueille de nouveaux patients doit constituer une nouvelle réserve pour ces derniers — ce qui peut faire monter les primes, puisque c’est ainsi que sont financées ces réserves. Si ces mêmes patients partent pour une autre caisse l’année suivante, la réserve reste chez l’assureur précédent. Le résultat, en bout de course, est que les réserves s’accumulent. Alors que les primes continuent à prendre l’ascenseur. Il faut corriger cela. Je verrais deux solutions: soit les assurés changent d’assureur en emportant leurs réserves avec eux, soit on met en place un mécanisme pour dissoudre les réserves des patients qui ont quitté la caisse en question.
Quid des 62 millions de nos primes, dépensés par les assureurs en publicité?
Il est vrai que c’est une somme importante. Je comprends qu’on puisse y voir un problème. Au même titre que lorsque les assurances mandatent des sociétés pour faire du démarchage par téléphone — j’ai beaucoup de doutes sur l’efficacité de cette méthode commerciale. Après, il faut prendre du recul: les coûts totaux de la santé en Suisse s’élèvent à plus de 83 milliards par an. Les médicaments coûtent plus de 9,1 milliards, et les économies que l’on pourrait faire dans ce domaine, en négociant les prix ou en facilitant les importations en parallèle, seraient bien plus conséquentes que ces 62 millions.