La Suisse se prépare activement à la menace d’une pénurie d’électricité en hiver. L’approvisionnement en énergie est au centre des préoccupations. Mais si des interdictions, des restrictions ou même des coupures de réseau sont imposées, les forces de l’ordre devront également faire face à des défis. «La sécurité intérieure pourrait devenir un problème», averti Jan Flückiger, secrétaire général de la Conférence des directeurs de l’énergie. La Confédération n’a pas encore reconnu l’urgence de la situation, selon lui.
Les cantons exigent d’être mieux intégrés dans les travaux de préparation, comme l’explique le directeur général de la police Fredy Fässler. Le conseiller d’Etat saint-gallois est président de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police (CCDJP).
La Confédération s’arme pour faire face à la menace de pénurie d’électricité. Face à la problématique de l’énergie, a-t-elle trop peu pris en compte l’aspect sécuritaire?
La Confédération travaille d’arrache-pied et se concentre avant tout sur l’approvisionnement en énergie et l’économie. La sécurité a été oubliée jusqu’à présent. C’est pourquoi nous sommes intervenus afin d’être intégrés dans les travaux de planification.
Avec succès?
Oui, nous allons désormais siéger à l’état-major fédéral de la protection de la population avec le secrétaire général de la CCDJP et le président des directeurs de police. Notre secrétaire général est désormais représenté au sein du comité de pilotage des Conférences des directeurs des cantons. Nous pouvons ainsi faire valoir directement les préoccupations et les craintes des cantons en matière de sécurité.
Que craignez-vous donc face à la menace de pénurie d’électricité?
Une coupure du réseau ou un black-out aurait des conséquences importantes. Imaginez un peu: on ne peut plus retirer d’argent au Bancomat, on ne peut plus payer par carte dans un magasin ou faire le plein à la station-service. Les chauffages ne fonctionnent plus. Les rues sont plongées dans l’obscurité. On pourrait alors imaginer que la population se rebelle ou qu’il y ait des pillages. Nous devons nous préparer à de tels scénarios extrêmes – même si je ne m’attends pas à ce que cela se produise vraiment.
Les forces de l’ordre seraient-elles en mesure d’intervenir en cas de panne de courant?
Nous avons tout prévu à cet effet. En 2014, nous avons organisé un grand exercice de sécurité en situation de pénurie d’électricité, de black-out. On a alors découvert d’importantes lacunes, comme l’absence de groupes électrogènes de secours pour la police, les hôpitaux et d’autres infrastructures critiques. Ces lacunes ont été comblées ces dernières années, de sorte que les forces de l’ordre soient armées. Mais nous nous sommes également préparés à mettre de l’argent liquide à la disposition des gens lorsqu’il n’est plus possible de payer par carte dans un magasin.
Avez-vous un coffre-fort dans votre bureau pour que les gens puissent venir chercher des billets de 100 francs?
Non, non (rires). Notre état-major s’est toutefois mis d’accord avec les banques sur la manière de gérer une telle situation d’urgence afin que les citoyens puissent obtenir de l’argent liquide.
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Supposez-vous que davantage de criminels profiteront d’une extinction des feux?
Je ne veux pas imaginer le pire, mais on a déjà vu, lors de catastrophes écologiques, certaines personnes abuser de la situation pour voler des objets. Cela pourrait également être le cas lors d’une coupure de courant, par exemple dans les magasins où il y a quelque chose à prendre. Il est donc d’autant plus urgent de veiller à ce que la police ne réagisse pas uniquement lorsque quelque chose s’est déjà produit, mais se prépare en amont.
Il faut donc de la prévention. Allez-vous envoyer plus de policiers en patrouille en cas d’urgence?
Dans un tel cas, une présence accrue de la police dans la rue est certainement une option. Mais nous en déciderons selon la situation. En fonction de cela, nous donnerons la priorité aux interventions – des auditions moins urgentes pourraient être reportées. Mais il n’y aurait pas que la police en état d’alerte. Les pompiers aussi, même s’ils peuvent ne plus êtres joignables par téléphone.
Pourquoi les pompiers doivent-ils être plus vigilants?
Imaginez ce qui peut se passer si quelqu’un allume un feu sur son balcon parce qu’il a froid. Une telle situation peut rapidement devenir incontrôlable.
Même en l’absence de coupures d’électricité, des mesures radicales telles que des interdictions ou des restrictions sont discutées. La police contrôlera-t-elle alors l’utilisation des saunas, par exemple, ou si l’on se chauffe avec un poêle électrique?
J’en appelle à la Confédération pour qu’elle n’ordonne que des mesures réalisables, et surtout contrôlables. Nous ne deviendrons certainement pas la police des saunas! Mais il y a toujours des gens qui, dans les situations de ce type, deviennent des indics et dénoncent leurs voisins parce qu’ils ont des comptes à régler. Si quelqu’un se plaint, la police doit agir.
Craignez-vous des délations?
J’espère que la solidarité et le bon sens seront au rendez-vous. Mais la pandémie de Covid-19 a montré que lorsque, par exemple, trop de personnes faisaient la fête chez un voisin, malgré la limite du nombre de personnes, nous recevions parfois des dénonciations. Heureusement, la police est rarement intervenue dans de tels cas.
Que conseillez-vous de faire à la population en cas de black-out?
Il est nécessaire de vérifier ses réserves d’urgence et de les compléter si nécessaire. Par exemple avec des denrées alimentaires, des bougies, des lampes de poche, des piles et même un réchaud à gaz.
Et aussi avec des armes, pour se protéger en cas d’urgence contre des hôtes indésirables?
Je ne le conseille absolument pas! Il peut être dangereux d’affronter un cambrioleur avec une arme. Heureusement, rien n’indique que la police cantonale soit plus occupée que d’habitude par les permis de port d’armes. Je peux l’affirmer: procurez-vous des gaufres plutôt que des armes!
(Adaptation par Lliana Doudot)