«On nous enlève notre maison»
Les campeurs permanents d'Estavayer-le-Lac vont être délogés au profit d'un camping 4 étoiles

Les campeurs permanents d'Estavayer-le-Lac (FR), au bord du lac de Neuchâtel, doivent céder leur place à un camping quatre étoiles, à leur grand dam. Le boom persistant du camping met les locataires saisonniers sous pression dans toute la Suisse.
Publié: 18.08.2024 à 15:04 heures
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Dernière mise à jour: 18.08.2024 à 15:08 heures
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Le camping La Nouvelle Plage au bord du lac de Neuchâtel.
Photo: Philippe Rossier
Lino Schaeren

Jolanda et Roland Graber sont assis devant leur caravane à l'auvent rayé bleu et blanc, un rideau de dentelles au crochet est accroché à la fenêtre. C'est jeudi matin au camping La Nouvelle Plage à Estavayer-le-Lac (FR). Les Graber fêtent leur 37e anniversaire de mariage. La journée d'été est splendide, mais les mines sont graves. «Pour nous, c'est un monde qui s'écroule», confie Jolanda Graber.

Les Graber sont des campeurs permanents. Des fans de camping originaires de Haute-Argovie, dans le canton de Berne, qui passent l'été depuis 40 ans dans leur caravane au bord du lac de Neuchâtel. Mais c'est bientôt la fin de ce rythme de vie tranquille.

Le choc est violent

La commune d'Estavayer-le-Lac transformera le site en camping quatre étoiles fin 2026. Parallèlement, la zone de plage publique sera agrandie. Les parcelles pour les campeurs permanents seront réduites – de plus de 100 aujourd'hui à une vingtaine. Les autorités veulent plus de place pour les touristes et le camping de luxe avec des parcelles VIP et premium. La commune a confié la transformation et l'exploitation du terrain au Touring Club Suisse (TCS).

Si les locataires permanents ont pris connaissance de ces plans en avril, le choc reste violent aujourd'hui. La communauté qui s'est développée au fil des décennies est irremplaçable, explique Jolanda Graber. Le couple dit avoir davantage de bons amis au camping que chez eux. «Maintenant, on nous enlève notre chez nous!»

Le camping est en plein boom

Les campeurs permanents d'Estavayer-le-Lac sont victimes du boom persistant du camping. Et ils ne sont pas les seuls.

Comme les campings ont été littéralement pris d'assaut ces dernières années, les locataires permanents sont sous pression dans toute la Suisse – surtout dans les campings populaires situés directement au bord de l'eau. C'est ce que confirme Marcel Zysset, président de l'association Swisscampers, à laquelle sont affiliés plus de 200 campings.

Autrefois, les locataires permanents étaient très demandés sur les campings, car ils garantissaient des revenus lorsque le camping n'était occupé que quelques semaines par an, explique Marcel Zysset. Mais aujourd'hui, de nombreux exploitants repensent leur modèle commercial en raison des nombreux touristes.

Les touristes sont trois fois plus rentables

En effet, avec des carnets de commande pleins, les touristes permettent de gagner beaucoup plus d'argent. Oliver Grützner, responsable du tourisme et des loisirs au TCS, déclare: «Un emplacement touristique est aujourd'hui trois fois plus rentable qu'un emplacement saisonnier.»

Les campeurs permanents subissent une concurrence supplémentaire avec la tendance du glamping, une sorte de camping glamour. Les touristes peuvent goûter à l'air du camping dans des cabanes entièrement équipées. C'est ce que montrent les chiffres de Swisscampers: environ 200 places saisonnières ont été perdues depuis 2022. C'est un recul insidieux, il reste encore 17'000 places saisonnières dans les campings affiliés à Swisscampers contre 23'000 places pour les touristes. Comme le glamping va continuer à gagner en importance, Marcel Zysset s'attend à ce que la pression sur les places saisonnières augmente encore.

Les campeurs font de la résistance

Chez les locataires permanents d'Estavayer-le-Lac, l'idée d'un camping de luxe n'est pas bien accueillie. C'est une «catastrophe», dit Roland Kocher. Avec sa femme Heidi, ils sont en quelque sorte les doyens du camping La Nouvelle Plage. Ils campent ici depuis 58 ans. D'abord dans une petite tente, puis dans une plus grande, et maintenant dans une caravane avec un auvent spacieux, armoires sur mesure comprises. Les Kocher ont eux-mêmes planté dans les années 1960 quelques-uns des arbres qui offrent une ombre bienvenue les jours d'été.

Les habitants du camping forment une communauté, raconte Heidi Kocher. On s'occupe mutuellement des enfants et des petits-enfants, on fait des excursions de pêche, on fait spontanément la fête ensemble sur le camping. Le 1er août, les presque octogénaires invitent une vingtaine de personnes à dîner, Roland Kocher montre des photos d'une longue table formée de nombreuses petites tables de camping.

Le fait que tout ne soit bientôt plus qu'un souvenir met les Kocher en colère – d'autant plus qu'ils ont investi des milliers de francs dans leur caravane après les inondations de 2021, comme beaucoup d'autres campeurs permanents. «Nous avons demandé les autorisations à la commune, mais personne ne nous a avertis que notre avenir au camping pourrait être incertain», déclare Roland Kocher.

Les campeurs permanents ne veulent pas accepter l'expulsion sans réagir. 75 d'entre eux se sont regroupés et veulent s'opposer aux plans de la commune. Ils ont pris un avocat. «Nous pourrons peut-être au moins retarder un peu l'échéance», déclare Roland Kocher.

«Pas des villages de vacances pour les retraités»

Le cadre du TCS Oliver Grützner dit comprendre la frustration des campeurs de longue date. Mais il ajoute: «Les campings ne sont plus des villages de vacances pour retraités. Nous devons vivre avec notre temps». Les campings quatre étoiles sont aujourd'hui la norme compte tenu des exigences accrues des touristes.

Mais mettre à la porte les locataires permanents n'est pas une nouvelle politique du TCS, souligne Oliver Grützner. «Nous nous adaptons aux fluctuations naturelles», dit-il. Avec 25 emplacements, le TCS est le plus grand exploitant de camping de Suisse. Si un locataire permanent vient à quitter l'un des emplacements, il n'est pas remplacé. En revanche, lorsqu'une grande transformation est prévue, comme à Estavayer-le-Lac, c'est souvent que la commune désire se débarrasser des campeurs permanents.

Le TCS a déjà tenté l'expérience lors de la reprise du camping La Tène à Marin-Epagnier (NE). Le camping est également situé au bord du lac de Neuchâtel et là aussi, la commune a imposé un emplacement quatre étoiles. De nombreux locataires permanents devront partir au plus tard fin 2025. On construira alors 120 places pour touristes – et des cabanes celtiques sur pilotis comme attraction particulière pour le glamping.

Marcel Zysset sait que les communes exercent une pression croissante pour la modernisation des campings. Les campeurs permanents, avec leurs constructions, leurs clôtures et leurs nains de jardin, en font souvent les frais. «Les communes ne veulent plus de l'esprit jardinier», déclare le président de Swisscampers. Les autorités souhaiteraient également que le boom du camping génère de la valeur ajoutée grâce à un tourisme actif.

«Je veux profiter du temps qu'il me reste»

La commune d'Estavayer-le-Lac conteste les motifs financiers de la transformation du camping La Nouvelle Plage. Elle souhaite que le site puisse être utilisé «par le plus grand nombre de personnes et par différents profils de campeurs». Aujourd'hui, les campeurs permanents sont nettement majoritaires sur le terrain. Selon la commune, les quelque 20 places qui resteront pour les habitués après les travaux seront attribuées par tirage au sort aux campeurs restants.

Les Graber et les Kocher ne savent pas encore s'ils s'inscriront pour le tirage au sort. Heidi Kocher dit éviter de penser à cet avenir incertain. A son âge, elle se bat de toute façon davantage pour l'avenir des enfants et des petits-enfants de la famille du camping de La Nouvelle Plage que pour le sien, explique la femme de 79 ans. «Pour moi, j'essaie simplement de profiter du temps qu'il me reste.»

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