Numéro d'urgence 147
La hausse des appels pour des automutilations s'est confirmée en 2024

Le phénomène avait connu une augmentation de 39% entre 2022 et 2023. Selon Pro Juventute, cette tendance à la hausse s'est maintenue en 2024. Une psychologue et une psychiatre se veulent toutefois rassurantes sur les conséquences de cette pratique.
Publié: 08.01.2025 à 10:18 heures
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Dernière mise à jour: 08.01.2025 à 17:02 heures
Depuis peu, le numéro téléphonique d’urgence (147) ainsi que le service de conseils aux parents sont en effet également disponibles sur Whatsapp, ce qui permet à Pro Juventute de toucher un public plus large.
Photo: KEYSTONE
Camille Krafft

Les chiffres détaillés ne seront disponibles qu'au printemps, mais Pro Juventute l'a déjà confirmé à Blick par le biais de sa responsable politiques et médias, Anne-Florence Débois: les appels au 147 concernant des automutilations ont encore augmenté en 2024 par rapport à l'année précédente. Entre 2022 et 2023, les contacts pris par Whatsapp, téléphone et via le site 147.ch sur cette thématique avaient déjà fait un bond de 39%. 

Confrontée à des cicatrices sur les bras et les jambes de sa fille de 13 ans, une maman vaudoise dénonce l'influence des plateformes comme TikTok sur la pratique de la scarification. 

Dans un communiqué diffusé en septembre 2023, Pro Juventute alertait sur «les crises successives et la détresse psychologique croissante qui en découle pour les enfants et les jeunes», relevant notamment que les «consultations sur le thème des comportements d’automutilation ont connu une hausse particulièrement importante par rapport à la même période de l’année précédente». 

Disponible par Whatsapp depuis peu

Via un appel lancé aux politiques, la fondation demandait notamment d’«améliorer l’ensemble de la chaîne de soins psychothérapeutiques et psychiatriques pour les enfants et les jeunes et investir dans la prévention.» Anne-Florence Débois souligne que l’augmentation des consultations pour des actes d’automutilation peut s’expliquer en partie «par le fait que davantage de jeunes avec ces comportements s’adressent au 147 et demandent ainsi de l’aide». 

Depuis peu, le numéro téléphonique d’urgence ainsi que le service de conseils aux parents sont en effet également disponibles sur Whatsapp, ce qui permet à Pro Juventute de toucher un public plus large. D’après Amélie Giafferi, psychologue clinicienne et responsable du Conseil 147 en Suisse romande, «les actes de scarification existent depuis longtemps, mais ils étaient moins mis en avant autrefois et ne pouvaient pas être assumés. Aujourd’hui, on en parle beaucoup plus.» 

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Certains jeunes nous disent rechercher un moyen de devenir acteurs de leur souffrance et tenter ainsi de mieux la maîtriser, de manière maladroite
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Elle relève en outre que «les scarifications peuvent avoir des causes multiples. Certains jeunes nous disent rechercher un moyen de devenir acteurs de leur souffrance et tenter ainsi de mieux la maîtriser, de manière maladroite. On peut aussi voir dans ces automutilations une forme de rite de passage.» 

A dissocier de l'intention suicidaire

Pour la spécialiste, la scarification est «à dissocier de l’intention suicidaire. Un ado qui se scarifie n’a pas forcément envie de mourir, mais il peine à écouter ou à accepter son corps. Dans tous les cas, il est important de ne pas banaliser. Il faut s’intéresser à la souffrance qui conduit à ce geste, et inviter le jeune à en parler pour trouver d’autres moyens d’extérioriser ses émotions, comme la tristesse, la honte ou la colère.»

Augmentation des idées suicidaires chez les jeunes femmes

Selon le bulletin de l’OBSAN (Observatoire suisse de la santé) rendu public en août 2024, la fréquence des idées suicidaires a fortement augmenté chez les femmes de 15 à 19 ans: elle est passée de 9,7% en 2017 à 23,1% en 2022 - avec des intervalles de confiance relativement larges, ce qui incite à interpréter ces pourcentages avec prudence. 

D’après cette même enquête, 7,2% des adolescentes dans cette tranche d’âge ont déclaré avoir fait une tentative de suicide durant les cinq années précédentes.

Quant au taux de suicide des jeunes femmes de 15 à 24 ans, il est resté stable entre 1998 et 2022 et reste inférieur à celui des femmes plus âgées et, surtout, des hommes. 


Selon le bulletin de l’OBSAN (Observatoire suisse de la santé) rendu public en août 2024, la fréquence des idées suicidaires a fortement augmenté chez les femmes de 15 à 19 ans: elle est passée de 9,7% en 2017 à 23,1% en 2022 - avec des intervalles de confiance relativement larges, ce qui incite à interpréter ces pourcentages avec prudence. 

D’après cette même enquête, 7,2% des adolescentes dans cette tranche d’âge ont déclaré avoir fait une tentative de suicide durant les cinq années précédentes.

Quant au taux de suicide des jeunes femmes de 15 à 24 ans, il est resté stable entre 1998 et 2022 et reste inférieur à celui des femmes plus âgées et, surtout, des hommes. 


Contrairement à Amnesty International, Pro Juventute ne pointe pas du doigt TikTok pour son influence sur des comportements à risque comme l’automutilation. «Je ne pense en aucune manière qu’un jeune va commencer à se scarifier uniquement parce qu’il a vu une vidéo sur un réseau social», assure Amélie Giafferi. 

«Il y a toujours eu des adolescents fascinés par certains mouvements morbides», ajoute la psychologue. Que pense-t-elle de la démarche initiée par des élus de différents bords, qui demande aux cantons romands de légiférer afin de protéger les mineurs en âge de scolarité obligatoire des effets néfastes des réseaux sociaux? «Je suis profondément convaincue que l’interdiction n’est pas une démarche constructive, répond Amélie Giafferi. Mieux vaut essayer de comprendre comment fonctionnent les réseaux sociaux et en avoir un usage éclairé. Sinon, que feront les jeunes à 16 ans lorsqu’ils auront brutalement accès à ces réseaux sans y avoir été préparés?» 

Prévention par l'éducation numérique

D'une manière générale, «la position de Pro Juventute en lien avec les réseaux sociaux et les médias numériques est la prévention par une éducation numérique et un renforcement des compétences numériques pour les parents comme pour les enfants et les jeunes plutôt qu’une interdiction», résume Anne-Florence Débois. 

Psychiatre d’enfants et d’adolescents et médecin responsable de la filière Hospitalisations et Urgences-Crises au Service universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent du CHUV, Carole Kapp est allée tester elle-même les algorithmes de TikTok: «Effectivement, ce réseau personnalise très rapidement les contenus, sans compter que les commentaires peuvent également avoir une influence sur les utilisateurs. Lorsqu’une personne vulnérable qui a déjà eu recours à la scarification est confrontée à une vidéo de ce type, cela pourrait lui rappeler que l’automutilation lui amène un certain soulagement.»

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Lorsqu’une personne vulnérable qui a déjà eu recours à la scarification est confrontée à une vidéo de ce type, cela pourrait lui rappeler que l’automutilation lui amène un certain soulagement
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La psychiatre ajoute toutefois que «d’un autre côté, certains contenus pourraient l’encourager à trouver des alternatives pour apaiser la douleur psychique. On entend aussi de la part de nos patients que les réseaux sociaux peuvent représenter une ressource pour trouver de l’aide, notamment professionnelle.» Elle relève qu'il «n’existe à ce jour pas beaucoup d’études longitudinales sur les effets à long terme des réseaux sociaux. Les données existantes mettent surtout en évidence l’importance d’informer les adolescent.e.s sur les dangers.»

Evolution favorable

La médecin se veut globalement rassurante: «Dans de nombreux cas, les choses évoluent favorablement. Les idées suicidaires et les comportements d’automutilation sont fréquents. Mais les décès par suicide sont plus rares, et ils sont même en baisse en Suisse depuis des années, ce que beaucoup de gens ont tendance à ignorer.» 

La raison en est simple, selon elle: «Si les suicides restent la principale cause de décès chez les jeunes, c’est parce que la prévention routière est très efficace dans ce pays. Proportionnellement, on y meurt moins dans des accidents de la route que chez certains de nos voisins.»

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