«Nous chaufferons moins cet hiver»
Certains Suisses sont directement affectés par la flambée duprix du gaz en Allemagne

Certains propriétaires suisses vivant près de la frontière doivent acheter du gaz allemand pour se chauffer, ils subissent donc de plein fouet l'augmentation massive du prix du gaz. Trouver une alternative s'avère difficile.
Publié: 30.07.2022 à 15:33 heures
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Jakob Fehr de Stein am Rhein paiera le double de ses frais de chauffage actuels cet hiver.
Photo: Matthias Kempf
Tobias Ochsenbein, Matthias Kempf, Céline Trachsel et Sermîn Faki

En Allemagne, les prix du gaz explosent, et cela a aussi un impact pour certains propriétaires suisses. Stein am Rhein, une commune dans le canton de Schaffhouse, par exemple, est approvisionnée en gaz depuis des années par les services municipaux de Constance, ville allemande. Certaines communes thurgoviennes situées au bord du lac inférieur, comme celles de Berlingen ou Wagenhausen, font également partie de ce réseau.

Jusqu’à présent, cela ne posait pas de problème. Mais désormais, alors que les Allemands multiplient le prix du gaz par deux ou trois, les consommateurs suisses concernés risquent de devoir payer plusieurs milliers de francs supplémentaires. Et cela pour un seul hiver.

«Nous ne chaufferons plus la chambre»

La nouvelle est parvenue par courrier à Jakob Fehr, propriétaire, il y a quelques jours: il devra payer le gaz deux fois plus cher à partir du 1er octobre. «C’est très difficile, explique-t-il à Blick. En tant que propriétaire d’un logement, on s’attend à des fluctuations des charges, mais pas dans de telles proportions!» En l’espace de douze mois, le prix en bourse d’un mégawattheure (MWh) de gaz naturel a augmenté de plus de 700%, selon un porte-parole des services municipaux de Constance.

Dans la région, on risque donc de se retrouver avec un porte-monnaie vide ou une chambre froide en hiver. Jakob Fehr et son épouse prépareront d’épaisses couvertures et des vêtements chauds. «Nous ne chaufferons probablement plus la chambre à coucher et les pièces annexes», rapporte-t-il.

Jakob Fehr a toutefois demandé des offres pour l’installation d’un poêle à bois, afin de raccourcir la période de chauffage. «Si nous ne devons commencer à chauffer au gaz qu’en octobre et que nous pouvons arrêter en mars, nous économiserons de l’argent.»

Une augmentation de 100%

L’enseignant de primaire Anton Serebryanskiy devra lui aussi payer 100 francs de plus par mois à partir d’octobre pour chauffer son logement de 70 mètres carrés. «C’est une augmentation de 100%, calcule-t-il. Si les frais de chauffage augmentent encore davantage, je vais devoir trouver une autre solution.» Lui aussi envisage de se chauffer au bois.

Anton Serebryanskiy et Jakob Fehr ne sont pas les seuls concernés: de nombreux propriétaires de maisons à Stein am Rhein sont dans le même cas, comme le montre un sondage. Certains prennent la nouvelle avec calme et prévoient de mettre plus d’argent dans ces charges, d’autres expliquent qu’ils baisseront tout simplement le chauffage et mettront plus souvent leur pull à l’intérieur.

Le fournisseur local ne livre pas de gaz

Et impossible de changer de fournisseurs. Un voisin de Jakob Fehr, habitant le même quartier, a demandé au fournisseur d’énergie SH Power, qui appartient à la ville de Schaffhouse, s’il pouvait s’y procurer du gaz. La réponse a été décevante: «Nous ne pouvons rien faire, il existe des contrats et des licences avec les services municipaux de Constance. Un changement est actuellement impossible.»

Corinne Ullmann, maire de Stein am Rhein, confirme qu’elle a déjà reçu plusieurs demandes pour des solutions alternatives. Mais les usines à gaz de Constance sont pour le moment les seules fournisseuses d’énergie de la ville.

La cause? Le marché du gaz n’est pas libéralisé en Suisse, comme le confirme Marco Nart, porte-parole de SH-Power, à Blick. «En principe, seuls les gros consommateurs peuvent changer de fournisseur, il existe pour cela un accord sectoriel.» Pour que les petits clients puissent également le faire, il faudrait d’abord une loi sur l’approvisionnement en gaz. «Mais celle-ci n’est pas encore en vigueur.» La loi repose sur les bureaux bernois de la ministre de l’Energie Simonetta Sommaruga, et ce depuis deux ans.

«Le marché est bel et bien libéralisé»

Pourtant, lorsque Blick rapporte les inquiétudes des habitants de Schaffhouse et de Thurgovie au surveillant des prix, Stefan Meierhans, ce dernier contredit les propos du porte-parole du fournisseur schaffhousois: «Il y a certes encore des questions en suspens, mais elles peuvent être résolues même sans loi sur le gaz. Car en principe, le marché du gaz est libéralisé.» Cela signifie que tous les clients qui consomment du gaz naturel doivent être autorisés à en acheter auprès d’un autre fournisseur.

C’est également ce que confirme Carole Söhner, vice-directrice de la Commission de la concurrence (Comco). «Le marché du gaz est libéralisé depuis 1963», souligne-t-elle. Toutefois, le secteur du gaz a conclu un accord d’association qui restreint ces libertés – dont le fait que seuls les gros consommateurs peuvent choisir librement leur fournisseur, par exemple. «Cet accord n’est pas contraignant du point de vue du droit de la concurrence», assure Carole Söhner.

Pas d’autre choix que de porter plainte

En 2020, la Comco a condamné deux entreprises énergétiques de Suisse centrale à une amende de 2,6 millions de francs parce qu’elles s’étaient fiées à l’accord d’association et avaient exclu un client de moindre envergure. Et comme le souligne Carole Söhner, cela pourrait se produire à nouveau. La Comco l’avait déjà annoncé en 2013: «Si nous recevons des dénonciations, nous devrons, dans le cas où elles sont avérées, entamer des procédures.»

Les clients concernés à Schaffhouse et en Thurgovie pourraient donc porter plainte contre le refus de SH Power de les approvisionner. L’issue d’une telle plainte reste incertaine. Et rien ne serait décidé avant l’hiver de toute façon.

De plus, le porte-parole de SH Power fait remarquer qu’un changement ne serait de toute façon pas rentable à l’heure actuelle. «Le nouveau fournisseur devra acheter du gaz, et ce aux prix actuels du marché.» C’est-à-dire cher. C’est une maigre consolation pour Anton Serebryanskiy et Jakob Fehr.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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