Des Ukrainiennes font la queue pour de la nourriture gratuite, car elles ne reçoivent pas d'argent de l'État. Qu'est-ce que cela révèle de la Suisse?
Walter Leimgruber: Cela montre que la Suisse fonctionne plutôt bien tant que tout suit son cours. Mais les crises ne respectent pas les règles. Nos autorités sont dépassées par les situations désordonnées. Nous manquons de bon sens, et d'une certaine générosité. Jamais une commune ne décidera de donner 700 francs à chaque réfugié pour qu'il puisse joindre les deux bouts les premières semaines. Il faudra d'abord régler, lors d'interminables réunions, une question apparemment plus importante: qui paie?
Les réfugiés qui ne sont pas hébergés dans un centre d'asile attendent des semaines avant de recevoir de l'aide.
Les autorités pensent trop souvent aux règles et aux procédures. Mais pas aux personnes. Si un fonctionnaire propose quelque chose qui n'est pas réglementé, même s'il s'agit d'une idée raisonnable, il se rend automatiquement vulnérable. Alors, dès qu'il s'agit de questions difficiles, les autorités se renvoient la patate chaude au sein de l'administration. Pour le dire de manière imagée: le patient pourrait être mort depuis longtemps avant qu'une solution ne soit trouvée mais, au moins, on saurait comment faire mieux la prochaine fois. On l'a déjà vu pendant la pandémie.
Depuis la semaine dernière, tous les yeux sont rivés sur les maigres contributions que reçoivent les personnes en quête de protection. Dans certains cantons, il s'agit tout juste de 12 francs par jour pour la nourriture, le shampoing, les médicaments et les vêtements...
C'est une volonté politique. En moyenne, en matière d'asile, les montants donnés par l'aide sociale sont inférieurs d'environ 20% aux autres montants de l'aide sociale.
Vivre en Suisse n'est pourtant pas moins cher pour une personne qui a un statut S au lieu d'un passeport suisse.
Non. Cette attitude est le résultat d'un débat qui a tourné autour des «parasites de l'asile» au cours des 30 dernières années. Elle est marquée par une méfiance générale à l'égard des réfugiés. On veut rendre les choses aussi désagréables que possible pour ceux qui arrivent. Et voilà que tout à coup arrivent des Ukrainiens qui, contrairement apparemment aux Syriens ou aux Afghans, sont de «vrais» réfugiés. Soudain, on se dit: «Attendez. Comment peut-on survivre avec si peu d'argent?» On se reconnaît à travers les réfugiés ukrainiens. Plus qu'à travers d'autres nationalités.
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Au sein de l'UDC, des voix s'élèvent pour demander des contributions plus élevées, mais uniquement pour les Ukrainiens.
Ce serait une discrimination et ce serait juridiquement irréalisable. Si le soutien est trop bas, il l'est pour tout le monde.
La crise met donc en lumière les lacunes de notre système d'asile?
Exactement. Notre système est principalement basé sur la dissuasion. On a peur que les gens se sentent trop bien. Mais le résultat est tout autre: on les empêche de voler de leurs propres ailes. Toutes les études dans ce domaine arrivent à la même conclusion: les personnes ont besoin d'un soutien financier suffisant, mais surtout d'être intégrées. C'est pourquoi il faut, outre des cours de langue, un encadrement étroit pour que les réfugiés puissent trouver un stage, un apprentissage, un emploi. Ce qui a bien sûr un coût. Mais leur verser une aide sociale à vie nous coûte bien plus cher!
On cherche déjà à intégrer plus rapidement au marché du travail les personnes en fuite. Un changement de mentalité n'a-t-il pas déjà eu lieu?
C'est un progrès que de penser à l'intégration et de l'inscrire dans la loi. On a aussi de plus en plus d'offres comme le préapprentissage d'intégration, qui sont prometteuses. Mais il y a encore trop de choses qui ne fonctionnent pas. Il vaudrait mieux envoyer quelqu'un qui n'a pas été alphabétisé travailler dans la forêt pour travailler plutôt que de l'envoyer trois fois par semaine à un cours d'initiation linguistique. Et parfois, de bonnes offres sont supprimées pour des raisons de coûts.
Par exemple?
Pendant un certain temps, de jeunes syriens ont pu être placés dans des familles d'accueil dans le canton d'Argovie. On s'est rendu compte par la suite que ceux que l'on avait répartis dans des familles privées avaient généralement réussi à terminer un apprentissage, tandis que ceux qui étaient restés dans les hébergements collectifs ne parlaient souvent qu'un allemand approximatif. L'hébergement privé a toutefois été stoppé sous prétexte qu'il était trop cher. C'est absurde.
Vous critiquez également le statut d'admission provisoire dont bénéficient la plupart des réfugiés de guerre, à l'exception des Ukrainiens. Où se situe le problème?
Est considéré comme réfugié reconnu celui qui est personnellement persécuté. En revanche, les Syriens et les Afghans qui fuient les bombardements ou les talibans ne reçoivent qu'une admission provisoire. Mais ce statut est une erreur de conception. Il laisse les gens dans un statut précaire, bien que la plupart des personnes admises à titre provisoire restent en Suisse. Ils vivent pendant des années dans une situation misérable, peuvent difficilement s'affranchir de l'aide sociale et n'ont pratiquement aucune chance de faire venir leur famille - bien qu'il soit prouvé que cela favorise l'intégration.
Qu'est-ce qui devrait changer?
La Commission fédérale des migrations demande depuis longtemps que ce statut soit rebaptisé et que sa durée soit limitée dans le temps. Toutes les autres restrictions, comme la réduction de l'aide sociale, devraient également être supprimées.
Vous demandez de repenser fondamentalement notre approche des réfugiés.
Nous devrions donner dès le départ à tous les réfugiés la chance de s'intégrer. Même s'ils repartent après quelques années, s'ils ont appris une nouvelle langue et suivi une formation, cela ne fait de mal à personne! Considérons cela comme une sorte d'aide au développement. Nous investissons beaucoup d'argent dans des projets qui ne fonctionnent pas toujours très bien. Pourquoi ne pas miser sur les gens une fois qu'ils sont ici? Avec le statut de protection S, on voit maintenant qu'il est possible de faire autrement.
Qu'est-ce que vous voulez dire?
Le statut S ne prévoit pas de mesures d'intégration en soi. Mais le statut de protection S a été transformé en statut de protection S plus. Apprendre la langue, travailler immédiatement, voyager sont maintenant possibles avec ce statut. Bien sûr, en s'appuyant sur l'UE. Cela montre que beaucoup de choses sont réalisables, pour autant qu'il y ait une volonté politique.
(Adaptation par Jocelyn Daloz)