A quelques heures de s’envoler pour Katmandou, au Népal, Nicolas Rimoldi nous a donné rendez-vous à l’aéroport de Zurich, sur la terrasse d’un restaurant sans charme. «Pour pouvoir fumer», avait-il tenu à préciser par téléphone la veille de notre rencontre.
Le colosse tutoyant les deux mètres, aussi chevelu que barbu, qui a troqué chemises et vestons de dandy pour un look plus baroudeur, ne passe pas inaperçu. Pas plus que les volutes de son cigare qui font rapidement le vide autour de nous. «J’ai l’habitude» sourit-il en tirant ses premières bouffées. Autre hypothèse: cet adversaire acharné des mesures sanitaires à la réputation sulfureuse ne plaît pas à tout le monde.
Calme, posé, souriant, le tout-juste trentenaire apparaît à mille lieues de l’image de polémiste qu’il s’est construite, défilant hallebarde à la main, haranguant les foules de coronasceptiques. Ou encore en participant à Vienne, en 2023, à une manifestation pour la «remigration» aux côtés de membres du groupuscule alémanique néo-nazi Junge Tat, dans le collimateur de Fedpol.
On en viendrait presque à oublier que la semaine précédente, Nicolas Rimoldi faisait les gros titres de la presse pour avoir cogné un député UDF au Grand Conseil bernois en pleine rue. «Une petite tape sur le visage de rien du tout», se justifie-t-il, en mimant le geste avec ses paluches ornées de chevalières. Au cœur de la bisbille, un vol de signatures entre référendaires contre l’identité électronique (e-ID).
Nullement étreint par les remords, il persiste et il signe. «Samuel Kullmann m’a dit, avec un petit sourire narquois, presque démoniaque, qu’ils avaient volé nos signatures. Je rappelle que son parti a menti la semaine dernière en disant qu’ils avaient récolté davantage de paraphes qu’ils en avaient réellement. Et il n’y a pas eu de conséquences. Comme souvent chez de nombreux politiciens: ils font des erreurs et n’en paient jamais le prix. Vous vous souvenez d’Alain Berset qui a utilisé sa voiture de fonction pour son histoire extra-conjugale? Aucune conséquence!», siffle-t-il.
Le décollage d’un avion couvre la suite de sa diatribe. Il résume: «Bref, j’ai dû dire stop. Et je lui ai mis une gifle.»
Ascension fulgurante
S’il est (encore) inconnu au bataillon en Suisse romande, Nicolas Rimoldi a connu une ascension fulgurante de l’autre côté de la Sarine multipliant les provocations et les coups d’éclat, dans la rue comme sur les réseaux sociaux. En 2021, il claque la porte du PLR lucernois dont il est le vice-président de la section jeune et fonde dans la foulée Mass-Voll! («La coupe est pleine), un mouvement citoyen farouchement opposé aux mesures anti-covid.
Dans son viseur: les politiques publiques «liberticides» du Conseil fédéral en matière de gestion sanitaire de la pandémie. Le militant lucernois va même jusqu’à réclamer l’emprisonnement des sept Sages. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. S’est-il assagi? Que nenni. «Ils ont commis un crime contre l’humanité. Ils méritent tous la prison. Ils ont poussé des gens au suicide.»
En 2022, le président du mouvement au drapeau violet est condamné en première et deuxième instance par la justice lucernoise pour participation à des manifestations non autorisées, entrave au service de la police, violation de l’obligation de porter un masque d’hygiène et non-respect des injonctions du personnel de sécurité.
Ses arrestations, soigneusement mises en scène puis relayées sur X, font de lui une figure de «la résistance» aux mesures anti-covid. Un rôle qu’il se plaît à endosser, se présentant comme l’héritier de sa mythologie familiale. «Mon arrière-grand-père et ses deux fils ont été tués en Hongrie en refusant de collaborer avec les nazis. Mon grand-père hongrois s’est battu contre les communistes en 1956, lors de la révolution. C’est dans mon ADN de résister aux tyrans.»
Souvent qualifié d’antivax dans les médias, Nicolas Rimoldi s’en défend. «C’est de la propagande. Je n’étais pas opposé au vaccin, mais à l’obligation de se faire vacciner. Je suis pour le respect des droits fondamentaux. Chacun est libre de faire ce qu’il entend. Si une personne souhaite porter un masque, grand bien lui fasse.» Et de détourner au passage les slogans féministes pour le droit à l’avortement: «My body, my choice».
Mue politique
La sortie de la catastrophe sanitaire n’a pas signé l’arrêt de mort du mouvement pour autant, qui rassemble aujourd’hui 1700 adhérents, recrutés principalement en ligne, grâce à une communication percutante, souvent outrancière. Des jeunes et des moins jeunes, déçus par les partis traditionnels et des citoyens en colère «contre les élites, le système et le gouvernement», réunis sous la bannière souverainiste.
En 2023, Mass-Voll! a présenté 75 candidats – sans succès – dont Nicolas Rimoldi, aux élections fédérales dans dix cantons suisses alémaniques. Au menu (touffu) du programme électoral pour redresser «une Suisse dans une situation de déclin sans précédent»: la défense des droits fondamentaux, c’est-à-dire limiter l’utilisation du droit d’urgence, interdire des mesures sanitaires contraignantes et libéraliser le droit de port et de possession d’arme à feu.
Mais aussi, le renforcement de la souveraineté en libérant «la Suisse des chaînes de Bruxelles». Sans oublier, la sortie de la plupart des traités et des organisations internationales, avec l’OMS en première ligne – dont Nicolas Rimoldi se réjouit d’aller fumer un gros cigare sur ses ruines à Genève.
Mass-Voll! prône aussi un retour à une «neutralité perpétuelle intégrale» et une immigration restrictive avec «remigration des étrangers illégaux et délinquants», la «démarxisation des écoles», le rétablissement du secret bancaire et l’abrogation de l’assurance maladie obligatoire.
Un ovni politique qui flirte avec les extrêmes
Celui qu’on qualifie souvent «d’ovni politique» l’assure: il n’est «ni de droite, ni de gauche, mais pour la souveraineté et la liberté». Sortir des accords de Paris et de l’OMS ainsi que la promotion d’une ligne dure sur l’immigration, ressemble furieusement aux idées de l’UDC, non? Le trentenaire balaie la comparaison d’un revers de main. «Ils ont trois ans de retard sur nous concernant la sortie de l’OMS. Ils s’agitent seulement là où ils voient une occasion de faire du populisme», rétorque-t-il.
Pourtant, pour entrer au Parlement, Mass-Voll! s’est apparenté avec le parti agrarien à Lucerne et à Soleure. «Cela ne signifie pas une adhésion à leurs valeurs», précise-t-il. De l’opportunisme, alors? Long silence. «Non, une alliance. Je n’ai pas de chapelle. J’ai défilé avec les communistes, il y a un mois à Bellinzone (TI). Il rappelle que, contre la surveillance de masse, il est prêt à s’allier à la gauche. «Je parle avec tout le monde», dit-il en haussant les épaules.
Y compris avec l’extrême droite, comme à Vienne en 2023, en compagnie des membres de Junge Tat ou de l’idéologue autrichien Martin Sellner, chantre très controversé de la «remigration». Un concept qui vise au renvoi, voire la déportation des «étrangers» dans leur «pays d’origine», qu’ils soient titulaires d’un passeport national ou non, afin d’éviter le «grand remplacement».
Des acoquinements avec les extrêmes qu’il ne renie pas. La «remigration», par exemple, il y est favorable pour les délinquants et les sans-papiers. «Tu commets un crime, tu dégages. Ça me semble tout à fait normal comme raisonnement. D’autres pays le font, comme les Etats-Unis», déroule-t-il.
Une liberté à géométrie variable
Une qu’il aurait souhaité voir «remigrer» est Sanija Ameti. Nicolas Rimoldi n’a pas du tout, mais alors du tout pas apprécié, que la politicienne zurichoise tire sur une image de Marie et de l’enfant Jésus. La liberté individuelle oui, mais pas si elle heurte «les valeurs chrétiennes de la Suisse». Le président de Mass-Voll! a donc déposé plainte. «Son acte est un appel à tuer les chrétiens. C’est du terrorisme», assure-t-il, placide.
A coups de messages virulents sur les réseaux sociaux, il a appelé à la «déportation» de Sanija Ameti, ce qui a valu au polémiste de perdre son badge d’accès au Palais fédéral – un sésame obtenu grâce au conseiller national UDF Erich Vontobel. Et une plainte également, déposée par un juriste lucernois pour «discrimination raciale, diffamation et insultes». Nicolas Rimoldi s’en moque: «Cela n’a pas abouti.»
Son collier à croix chrétienne se détache de son cou. «Il appartenait à ma grand-mère», se désole-t-il. Il s'excuse brièvement, expliquant qu'il doit trouver un endroit pour le faire réparer avant d'embarquer pour le Népal, où il prévoit de rester jusqu'à fin juin. «J’ai hâte d’y être. J’aime faire de l’alpinisme, la nature, le calme. Tout le contraire de ma vie politique», confie-t-il.
Partir pour mieux fuir le tumulte que cet «ingénieur du chaos» orchestre avec la précision d’un métronome. D'ailleurs, il en a fait son métier. En janvier, il a fondé sa propre société de consulting stratégique politique sur les réseaux sociaux. «Je crois que je me débrouille pas trop mal», sourit-il en éteignant son cigare.