Coop assume-t-elle de proposer des marchandises issues de la colonisation? Le matin du vendredi 11 octobre, un lecteur s’est baladé dans la — toujours très peuplée — Coop Pronto de la gare de Lausanne. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir un chariot estampillé «marchandise coloniale»!
Selon les photos, ce dispositif métallique à étages, visiblement sorti de l’arrière-boutique, sert à remplir les rayons de chips — des Zweifel, nature ou plus spéciales, et d’autres marques. Interpellé par le caractère officiel de cette expression quelque peu désuète dans le langage de Coop, le dénonciateur circonspect explique à Blick: «Je vais à la Pronto pour m’acheter un croissant, pas pour connaître l’avis politique du gérant.»
Et il faut croire que ce n’est pas normal. «Nous l’adapterons rapidement», certifie mardi à Blick Sandra Jann, porte-parole de Coop Mineraloel, la filière qui gère les stations-service et les Pronto.
Chocolat, café, vanille
Il est vrai que le terme «marchandise coloniale» a une histoire, qui remonte au XVIIIe siècle et à la politique d'expansion coloniale des pays européens. Cacao, café, épices, poivre, vanille, sucre de canne, clou de girofle ou riz basmati: les voici, les «denrées coloniales». Et non, même composées de patates (et dans le meilleur des cas de paprika), les chips n’en font pas vraiment partie.
«'Denrées coloniales' désigne les produits qu’on ne pouvait pas produire en Europe, explique Bouda Etemad, professeur honoraire d’histoire aux universités de Genève (UNIGE) et de Lausanne (UNIL). Cela permettait de leur donner une touche exotique et renvoie à une époque passée.» Ce terme a vécu son heure de gloire au XIXe siècle, explique le spécialiste suisse de l’histoire économique des empires coloniaux européens.
On a donc là une catégorie spécifique de produits, qui a aussi existé en Suisse, malgré l’absence à proprement parler de territoires colonisés helvétiques. «À l'époque, tous les pays disposant de grandes zones coloniales en Afrique, en Asie et en Amérique importaient des denrées alimentaires, explique Bouda Etemad. C’est peu à peu entré dans les mœurs et la Suisse a dû se mettre à s’en procurer elle aussi.»
«Si j'étais commercial chez Coop...»
Au téléphone ce mardi, le professeur juge «étonnant» de voir le terme «marchandise coloniale» dans les rayons d’un supermarché en 2024. «Si j’étais commercial chez Coop, c’est sûr que j’éviterais d’utiliser ce qualificatif, qui aujourd’hui a pris une connotation négative», rigole l’historien, qui estime que ce terme «peut se comprendre si on remonte le fil de son utilisation en Europe».
Blick a demandé à Coop comment ce petit panneau «marchandise coloniale» avait atterri dans une de ses enseignes. La communicante chargée des Pronto, Sandra Jann, se justifie auprès de Blick: «Il s’agit d’une traduction obsolète. Elle est issue de la dénomination allemande 'Allgemeine Ware'».
Concrètement, ce germanisme est la traduction de «marchandise générale». Mais pas vraiment de «marchandise coloniale», qui se dirait plutôt «Kolonialwaren» en allemand. Par extension, Kolonialwaren a désigné les petites épiceries de quartier dans les régions germanophones jusque dans les années 1970. Visiblement, le terme est resté plus longtemps que prévu de l'autre côté de la Sarine...
Des chips coloniales, c'est grave?
La porte-parole nous éclaire toutefois sur la catégorisation des produits dans les magasins Coop: «Nous avons les appellations 'petit déjeuner', 'snacks', 'confiseries' et 'Non Food'. Le reste des marchandises – telles que le sucre, la farine, les conserves, les pâtes, etc. – est désigné par l’appellation 'Marchandise générale'.»
Et qu’en est-il des chips, laissées sur «le chariot colonial» de la gare de Lausanne? «Les chips appartiennent à la catégorie des snacks», répond Sandra Jann, mettant fin à un suspense insoutenable.
Pour Bouda Etemad, «le qualificatif 'colonial' est aujourd’hui tombé en désuétude, surtout avec la sensibilité aux enjeux de la colonisation». Selon lui, des produits comme la tomate, la patate ou le maïs ont «perdu progressivement ce qualificatif», à mesure qu’on les a produits en grandes quantités en Europe.
L’historien ne dirait toutefois pas qu’il est «grave» de voir le terme «marchandise coloniale» être utilisé à la Pronto de la gare de Lausanne. «On parle toujours volontiers de meuble 'de style colonial'», exemplifie l’historien.
Quant à savoir d’où vient l’utilisation de ce qualificatif pour Coop, ou si l’appellation «marchandise coloniale» est utilisée d’une manière ou d’une autre dans le fonctionnement interne des magasins Coop? Ou si tous les magasins Coop de Suisse l’utilisent? La réponse très suisse-alémanique de la porte-parole est toujours la même: «Pas à notre connaissance».