Naissance dans un centre d'asile
«Personne ne nous a aidés»

Sous les yeux de son fils de 3 ans, Marzia Temuri a accouché dans la petite chambre que sa famille partage dans un centre d’hébergement d’urgence. Toujours davantage de critiques s'élèvent contre les conditions dans lesquelles vivent les enfants déboutés.
Publié: 05.12.2021 à 16:45 heures
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Dernière mise à jour: 20.12.2021 à 16:16 heures
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Soleiman Safi et Marzia Temuri craignent d'être renvoyés avec leurs enfants Mohammad et Asma.
Photo: Thomas Meier
Camilla Alabor

De la moisissure sur les murs, des vitres embuées, le bruit des voitures qui passent juste devant la façade. C’est dans cette chambre insalubre, sur un tapis marron, que Marzia Temuri, 20 ans, a donné naissance à son enfant il y a quatre mois. Il n’y avait ni sage-femme, ni médecin, seulement son compagnon et son fils de trois ans. Des conditions loin d’être idéales pour un accouchement.

Marzia Temuri et, son compagnon, Soleiman Safi, 33 ans, viennent d’Afghanistan. Depuis août 2021, ils vivent dans le centre d’hébergement d’urgence de Hinteregg (ZH), une institution pour requérants d’asile déboutés. Lorsque Marzia Temuri, enceinte jusqu’aux dents, et son mari se rendent à l’hôpital fin juillet, on les renvoie chez eux après un rapide examen: d’après les spécialistes, la naissance n’est pas imminente.

«Personne ne nous a aidés»

La nuit même, les contractions commencent. Mohammad, trois ans, assiste à la naissance sous les cris de panique de sa mère. Il ne peut pas y échapper, la famille partageant une seule chambre. Les parents sont dépassés par la situation. Il n’y a personne sur place qui pourrait appeler une ambulance. Lorsque Asma vient au monde, le père, un constructeur métallique, doit couper le cordon ombilical par ses propres moyens.

«Personne ne nous a aidés», déplore Soleiman Safi en se remémorant la nuit en question. La famille continue de vivre dans l’hébergement d’urgence, désormais à quatre dans une seule chambre. Le petit Mohammad ne parle presque plus depuis qu’il a été témoin de la naissance de sa sœur. Sa mère lutte contre des troubles du sommeil à force de comprimés.

Les demandeurs d’asile déboutés comme Safi et sa famille peuvent être expulsés d’un moment à l’autre. S’ils refusent — ou si l’expulsion n’est pas possible — ils reçoivent une aide d’urgence: huit francs par jour et par personne et un toit sur la tête.

Jusqu'à six dans une pièce

L’aide d’urgence ne devrait servir que de solution transitoire. En réalité, elle ne l’est pas toujours. Comme le montre un rapport récent du Secrétariat d’État aux migrations, un quart de tous les demandeurs d’asile déboutés sont des familles. Plus des deux tiers d’entre elles vivent de l’aide d’urgence depuis plus d’un an. Un retour n’est pas envisageable soit parce que leur pays d’origine le refuse soit parce qu’elles ont peur d’être renvoyées dans des camps de réfugiés surpeuplés, souvent en Grèce.

Par conséquent, de nombreux enfants et adolescents vivent pendant des mois, voire des années, dans des hébergements d’urgence. À quatre, cinq ou même six dans une pièce avec leurs parents. Ces institutions se trouvent généralement dans des endroits isolés, sans infrastructure pour accueillir des enfants.

«Notre fils ne va pas bien ici»

Les nombreux enfants de l’hébergement d’Hinteregg ont à leur disposition une seule balançoire et une petite structure en bois. Quand il fait froid, ils jouent dans les couloirs, surexcités et en babillant chacun dans leur langue maternelle. Lorsqu’un étranger vient pour une visite, ils s’accrochent à ses jambes avec espoir.

«Notre fils ne va pas bien ici», s’inquiète Soleiman Safi. «Il n’a pas de contact avec des enfants en dehors du centre et il a de la peine apprendre à bien se comporter. Il est stressé», poursuit-il.

Vivre dans la peur

De nombreux parents du centre s’inquiètent des conditions dans lesquelles leurs enfants grandissent. «A Adliswil, où nous étions hébergés auparavant, nos enfants allaient à l’école publique», explique Ahmad, 30 ans. A Hinteregg, les enfants du centre d’hébergement d’urgence suivent un enseignement séparé. Toutes les années sont mélangées. «Ici, il n’y a pas de devoirs, pas de cours de sport et ils n’ont pas non plus de contacts avec des enfants suisses», soupire le père de famille.

Les contrôles de police contribuent à l’ambiance tendue qui règne dans les hébergements d’urgence. «Récemment, les policiers sont entrés dans notre chambre à 6 heures du matin», raconte Ahmad. «Ils ont exigé ma carte d’identité, ont ébloui ma fille avec une lampe de poche et sont repartis.»

Sandra Rumpel, thérapeute pour enfants et adolescents qui intervient dans les hébergements d’urgence pour l’association Family Help, dénonce des «conditions intolérables».

À la suite des interventions répétées de la police, les enfants apprennent que leur père, leur mère peuvent être emmenés et arrêtés à tout moment. «Pour un enfant, l’idée de perdre sa personne de référence est extrêmement grave», appuie Sandra Rumpel. «Le système nerveux est toujours en état d’alerte», complète-t-elle.

Un manque absolu de perspectives

L’absence de perspectives est encore plus grave, poursuit Sandra Rumpel. «Les parents vivent dans l’incertitude permanente. Ils ne savent pas combien de temps ils pourront encore rester.» Le stress des parents se répercute ensuite sur leurs enfants. Beaucoup «ont déjà des problèmes psychiques à trois ou quatre ans», même s'ils n'ont pas vécu la fuite du pays natal de leurs parents.

Walter Leimgruber, président de la Commission fédérale des migrations (CFM), considère que les conditions dans les hébergements d’urgence sont illégales: «L’État a-t-il le droit de punir les enfants si leurs parents ont fait quelque chose de mal?», interroge-t-il.

Pour lui, la manière dont la Suisse traite les enfants des demandeurs d’asile déboutés constitue une violation des droits de l’enfant. La commission des migrations a donc décidé de faire examiner les conditions dans les centres d’hébergement d’urgence. Le rapport devrait être achevé l’année prochaine.

En attendant, Soleiman Safi espère pouvoir bientôt quitter le centre d’hébergement d’urgence avec sa famille: «Je veux offrir à mes enfants une vie meilleure en Suisse.»

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