Le classement des meilleurs (et des pires) communes de Suisse, les Traversins l’ont en travers de la gorge. Leur commune de Val-de-Travers — qui réunit depuis 2009 les villages de Boveresse, Buttes, Couvet, Fleurier, Les Bayards, Môtiers, Noiraigue, Saint-Sulpice et Travers dans les Montagnes neuchâteloises — a été élue à la toute dernière place du pays par le journal économique zurichois qu’est la «Handelszeitung».
Les critères de l’étude? Le montant des impôts, les prix de l’immobilier, la sécurité, la situation de la commune, son offre en matière d’écoles, de structures d’accueil et de commerces… et encore bien d’autres. Mais dans les faits, vivre à Val-de-Travers, c’est si pire que ça?
Blick a posé la question aux principaux intéressés, les habitants. Mais pas n’importe lesquels. Le président de l’Union démocratique du centre (UDC) Neuchâtel Niels Rosselet-Christ, la fameuse fondatrice de SOS Chats Tomi Tomek et le président de la commune Eric Sivignon détaillent les bons (et les mauvais) côtés de Val-de-Travers.
Niels Rosselet-Christ, président de l’UDC Neuchâtel et conseiller général à Val-de-Travers
«Il y a du juste dans ce classement, mais aussi beaucoup d’absurde», assène Niels Rosselet-Christ de but en blanc au téléphone. Avant de souligner les points noirs de l’étude alémanique sur les communes suisses, la figure UDC du canton estime que le titre de «pire commune de Suisse» a au moins «le mérite de mettre en lumière de vrais dysfonctionnements».
Deux critères du classement lui semblent adaptés à Val-de-Travers: la haute imposition et le taux d’emploi. «Le canton de Neuchâtel est loin d’être un paradis fiscal, argumente l’élu. Et Val-de-Travers n’est clairement pas la mieux lotie.» Et pour ce qui est de l’emploi, il assure que garantir des places aux locaux n’est pas facile «car la concurrence frontalière est rude». Il y voit le «paradoxe de Val-de-Travers»: «On crée beaucoup d’emplois, notamment grâce aux grandes boîtes horlogères, il reste du chômage.»
La faute selon lui aux «majorités politiques en place» — comprenez le parti socialiste et les libéraux-radicaux — qui «n’en font pas assez au sujet de ces problématiques». Mais pour le député, né aux Bayards dans une famille d’agriculteurs, dire que sa commune est la pire «n’est pas une bonne rhétorique».
Car des points positifs, il y en a beaucoup selon lui: le prix et le choix du logement, la cadence des transports publics, la desserte en transports scolaires, l’absence de pénurie de médecins et les infrastructures, notamment sportives. Pour Niels Rosselet-Christ, le principal avantage de son coin de pays, c’est la campagne. «On n’a pas l’efficience d’une ville, mais les qualités de vie sont là. Je suis persuadé qu’aucun auteur de l’étude n’est venu sur place. C’est facile de juger avec son référentiel urbain depuis le fin fond de son bureau à Zurich.»
Pour lui, ce classement est surtout subjectif. Si cela ne tenait qu’à lui, il ne classerait pas les villes bien haut. «Val-de-Travers est la réunion de neuf villages traditionnels qui partagent une identité régionale. Comparer cet ensemble à une commune plus urbaine ou à une ville sur le plan de la planification, c’est absurde.»
Tomi Tomek, fondatrice de SOS Chats à Noiraigue
La femme aux 97 chats et aux cheveux rouges — récemment interviewée par Blick au sujet de l’impact des minets sur la biodiversité — est arrivée de Berlin dans les Montagnes neuchâteloises en 1981 pour y fonder un refuge dans la forêt. «Avec mon nom étranger, d’origine roumaine, on m’a d’abord vue comme une sorcière. On recevait des coups de fil anonymes au refuge et les gens ne nous disaient pas bonjour dans la rue.»
Pour elle, ce classement aurait pu correspondre à la réalité de l’époque, mais Val-de-Travers a bien changé: «C’est super comme commune. On s’entraide entre nous et les paysans sont super sympas. Aujourd’hui, je vois toutes sortes de communautés parmi les bénévoles de SOS Chats.»
Le principal atout de Val-de-Travers? La nature. «Il y a des animaux sauvages, de la nature et des paysages magnifiques. Ça vide la tête, un peu comme la méditation, détaille Tomi Tomek. Si on aime vivre avec le terroir, on a tout ce qu’il faut ici.» Elle ne manque pas de mettre l’accent sur le principal atout touristique de sa commune d’adoption: le Creux du Van. «Je pensais aller aux USA, dans les Rocky Mountains (ndlr: les Rocheuses). Mais avec le Creux du Van, j’ai trouvé les mêmes paysages ici. Je n’ai plus jamais voulu partir.»
Comme Niels Rosselet-Christ, elle met un tout petit bémol sur les impôts élevés de la commune. «C’est sûr que les impôts posent un problème, mais c’est le cas partout. Il n’y a rien à critiquer, je suis contente d’avoir atterri ici.» Pour elle, l’association des neuf villages en une grande commune n’a eu que du positif. «Depuis la réunion, les services communaux sont fantastiques. Par exemple, la route qui mène au refuge a été goudronnée sur notre demande.»
Eric Sivignon, président socialiste de la commune de Val-de-Travers
Après ces deux avis relativement nuancés, place au président de la commune, qui défend son patelin bec et ongles. «En vivant à Val-de-Travers, il est assez difficile de se dire que nous sommes la soi-disant pire commune de Suisse, commence l’élu socialiste Eric Sivignon. Et si c’est réellement le cas, cela doit nous faire réaliser que nous vivons vraiment très très bien en Suisse!»
Le représentant de l’Exécutif communal préfère en rire… jaune. «Ce genre d’article est très propice à générer du clic, avec des titres accrocheurs faciles. Il faut faire l’effort de recentrer le débat sur le fond.» Pour lui, il faut se montrer «critique de la construction de ce type d’études». Le socialiste y voit aussi «l’occasion de mettre en avant un point déterminant: le bonheur de vivre dans une région ne se résume pas au montant que nous versons dans le pot commun de la collectivité.»
Souvent relevés, les impôts élevés dans sa commune sont un critère «trop réducteur». Comme son adversaire politique UDC, le chef du dicastère du territoire, de l'énergie et de la mobilité (DTEM) tempère ce point négatif avec le prix de l’immobilier: «Le prix du terrain à bâtir dépasse les 1500 francs par mètre carré dans de nombreuses communes qui sont en haut de ce classement. Chez nous le terrain est environ 10 fois moins cher et cela a permis à beaucoup de pouvoir construire.»
Il souligne un point essentiel de l’étude de la «Handelszeitung» l’attrait de la proximité d’un lac, qui caractérise toutes les communes bien classées. «Actuellement les lacs agissent comme des aimants pour les gens qui ont des hauts revenus, analyse Eric Sivignon. Ce sera peut-être moins le cas dans quelques dizaines d’années avec le réchauffement climatique et les cyanobactéries qui se développeront.»
Les impôts élevés s’expliquent selon lui par des infrastructures de qualité, récemment rénovées, surtout pour un territoire communal si grand. «Les équipes communales sont pleinement conscientes de la situation budgétaire et elles travaillent à maintenir justement notre très bonne qualité de vie», explique le président.
Enfin, sur l’argument de Niels Rosselet-Christ de l’emploi accaparé par les frontaliers français, Eric Sivignon assure que «les emplois frontaliers sont pour la commune une source de revenu, qui compte pour 6% du budget communal». Des entreprises traversines ont, selon le conseiller communal, «connu un essor important du fait de cette proximité, d’autres s’installent dans la commune pour la même raison et aussi du fait du manque de main-d’œuvre en Suisse dans certains secteurs d’activité». En bref, pour le président de la commune, circulez, il n’y a rien à voir. Son patelin a tout pour plaire.