Comme on l’apprend à l’école, le suffixe «-isme» sert notamment à désigner les religions, les sectes, les idéologies. On adhère ainsi au fascisme, au djihadisme ou au maoïsme. Depuis les années 1930, qui en ont fait une forte consommation, «-isme» est même devenu un néologisme désignant une «doctrine, théorie dont le nom est en -isme» (Le Grand Robert). Or, Arcinfo révèle une information pour le moins étonnante: les chauffeurs de bus du canton de Neuchâtel auraient succombé à cette sorcellerie étrange, toujours parente avec le démon, et que l’on nomme l’absentéisme.
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Ce démon qui tourmente directeurs et patrons
L’absentéisme... L’idéologie de l’absence, donc. La disparition comme religion! La maladie comme méthode d’agitation! La gastro comme revendication! La coulante comme projet politique! La perte d’un parent comme tyrannie! La grossesse comme pathologie morbide! Pour ne rien dire des mariages et des déménagements. C’est un peu de tout cela dont les chauffeurs de bus neuchâtelois feraient profession, et surtout le burn-out, qui est toujours le prétexte que prend Satan pour tourmenter les patrons honnêtes et les directeurs innocents. Et si jusqu’ici nous prenions les chauffeurs de bus pour de simples fonctionnaires, parfois débonnaires, voire altruistes, nous veillerons désormais à les traiter comme les dangereux extrémistes qu’ils sont, professeurs de néant, nihilistes radicaux, djihadistes à bouillotte, zélotes de la selle grasse.
On imagine avec gourmandise l’onde de choc provoquée par cet article chez nos amis des milieux patronaux suisses. On se représente Un Tel découvrir cet article le matin, au moment de son café, un arc électrique partir du talon, remonter au scrotum, nom de Dieu de gauchistes, fonctionnaires, assistés, frontaliers, assassins, communistes, quelques renvois aigres de chasselas éventé – ce vin des coteaux de Neuchâtel dont aurait dit tant de bien François Mitterrand. On imagine Tel Autre préparer un post fielleux sur X ou Facebook, qui s’en prend au laxisme des autorités et aux frontaliers, car un peu de xénophobie ne nuit pas à la digestion, surtout si les victimes sont les Français, désignés comme responsables d’à peu près tous nos maux, et surtout les retards des trams et bus, sans parler de la congestion routière.
Pas le temps de pisser
Les employés des services publics, on préfère se les représenter comme les membres d’une secte soumis au dieu Paresse, toujours en train de conspirer contre les honnêtes gens, toujours hantant les finances du canton, monstres repus d’impôts, prodigues, dilapidateurs, etc. Pourtant, un deuxième article, forcément plus discret, forcément moins repris, a apporté quelques pistes – moins impressionnantes que le recours à l’idéologie de l’absence – pour expliquer que tant de chauffeurs ne soient pas à leur poste: la direction serait à la dérive. Comme le résume un employé: «On a même plus le temps de pisser!» Plus le temps de pisser. Des cadences insupportables. Des consécutions de jours de travail à la limite de la légalité.
Et si la réalité n’était pas un complot, mais ceci: les conditions de travail sont de plus en plus mauvaises, les employés n’en peuvent plus au moral comme au physique, leurs chefs sont aussi qualifiés pour gérer des équipes que je suis équipé pour tourner dans un porno lesbien, etc. Or, il est un principe très sain de la discipline militaire: quand les troupes font des conneries, ce sont les officiers qui trinquent. Chez TransN on dirait que c’est l’inverse qui prévaut: quand les responsables défaillent, on laisse la presse insulter les troupes. Mais que les bonnes âmes se rassurent: il n’y a pas de fanatisme de l’absence, il n'y a que des incapables aux responsabilités.