«Ma montagne va me manquer»
Le légendaire gardien du Cervin quitte Zermatt sans tambour ni trompette

Kurt Lauber, légende de Zermatt et ancien gardien du Cervin, quitte le village. Après des années en tant que gardien de refuge et guide de montagne, il déménage avec sa femme. Un adieu doux-amer à la célèbre montagne et à Zermatt en pleine mutation.
Publié: 18:59 heures
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Kurt Lauber, l'homme qui a été gardien de la cabane Hörnli pendant 24 ans tourne aujourd'hui le dos au Cervin.
Photo: Kurt Lauber
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Martin Meul

Cela aurait dû être des adieux en grande pompe, devant une salle comble. Une dernière immersion dans l’agitation hivernale de Zermatt, un ultime accueil d’hôtes venus des quatre coins du monde. Mais la nature en a décidé autrement pour le départ de Kurt Lauber, légende de Zermatt qui s'en va dans le calme et le silence. 

Les fortes chutes de neige de la semaine dernière ont paralysé non seulement le village de Zermatt (VS), mais aussi tout le domaine skiable. Le Mountain Lodge Ze Seewjinu, tenu depuis 2018 par Kurt Lauber et son épouse Stéphanie, s’est retrouvé, lui aussi, quasiment à l’arrêt. L’auberge, perchée entre le Gornergrat et la Sunnegga, est habituellement animée lorsque les pistes sont en bon état. 

«C’est évidemment un peu triste de terminer la saison dans un silence presque total. Dimanche, nous avions de nombreuses réservations de fidèles clients venus nous dire au revoir, confie Kurt Lauber à Blick. Mais en montagne, c’est toujours la nature qui a le dernier mot.» Ainsi, les derniers jours de la saison se vivent dans une ambiance feutrée, avec huit hôtes bloqués sur place par les conditions.

Une légende locale qui s'en va

Après le week-end de Pâques, le couple Lauber quittera Zermatt pour s’installer à Reckingen (VS), dans la vallée de Conches. Avec le départ de Kurt Lauber, c’est une légende locale qui tire sa révérence. Depuis des décennies, il a façonné l’image de Zermatt et surtout celle du Cervin.

Car Kurt Lauber n’est pas n'importe qui. Guide de montagne et ancien gardien emblématique de la cabane Hörnli, il a même raconté son histoire dans un livre. Il commence son aventure à la montagne en 1995, Stéphanie le rejoint en 2009. Pendant 24 ans, il veille sur la célèbre cabane et monte plus de 400 fois au sommet du Cervin. Il participe à plus de 1000 opérations de sauvetage. En 2015, à l’occasion des 150 ans de la première ascension, c’est lui qui modernise et réduit la capacité de la cabane Hörnli, pour que la montagne puisse «retrouver un peu de sérénité.»

Les anecdotes de Kurt Lauber sont légion. Il se souvient notamment d’un groupe d’alpinistes espagnols, surpris en train de puiser de l’eau… dans les toilettes, pour cuisiner. Malgré ses avertissements, ils n'ont rien voulu entendre. Le lendemain, un appel d'urgence arrive au sommet: plusieurs personnes seraient atteintes de crampes abdominales sévères et nécessitent un hélicoptère de sauvetage. Les Espagnols ont dû débourser 4000 francs pour cette opération. «Acheter de l’eau potable à la cabane aurait coûté bien moins cher», sourit Kurt Lauber.

Dire adieu au Cervin

En 2018, il dit adieu au Cervin. «J’en avais assez des éboulis et des rochers. J’avais envie de revoir du vert en été», explique-t-il. Avec Stéphanie, il reprend le Mountain Lodge, à 2300 mètres d’altitude, une descente de 1000 mètres, certes, mais le Cervin reste dans leur champ de vision.

Aujourd’hui, ce chapitre se clôt aussi. Les Lauber s’installent à Reckingen, à 1300 mètres, dans une maison qu’ils ont longuement cherchée. «Nous avons sillonné le Valais à la recherche du lieu idéal, et c’est à Reckingen que nous avons trouvé ce que nous cherchions», confie Kurt Lauber. La maison de leurs rêves a été terminée à temps pour ce nouveau départ. 

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Zermatt n'est plus un village, c'est devenu une ville. Tout est allé trop vite, est devenu trop grand, trop lourd
»

«Nous aimons le calme et les paysages de la vallée de Conches. C’est une nouvelle étape qui commence. A la Hörnlihütte, nous vivions à plus de 3300 mètres, tandis qu'ici, on sera à 2000 mètres de moins, on ne peut pas descendre beaucoup plus bas», plaisante-t-il.

Un regard en arrière, un pas en avant

Mais il y a un hic. Depuis Reckingen, on ne peut pas voir le Cervin. L'homme qui a passé sa vie à l'ombre de cette montagne pourra-t-il seulement le supporter? «L'avenir nous le dira, mais il est certain que mon Cervin me manquera», dit Kurt Lauber.

Ce qui ne lui manquera pas en revanche, c'est Zermatt lui-même. «Zermatt n'est plus un village, c'est devenu une ville. Tout est allé trop vite, est devenu trop grand, trop lourd», dit-il pensivement. D'où son départ pour la vallée de Conches, nettement plus calme. «Au moins, de notre nouvelle maison, je vois encore le Weisshorn.»

Kurt Lauber ne sait pas s'il escaladera à nouveau le Cervin un jour. «Je ne crois pas, mais on ne sait jamais.» Sa philosophie est de partir quand l'endroit et le moment sont encore beaux. «C'est ce que j'ai fait à la cabane Hörnli et au Cervin, et c'est ce que je fais maintenant ici au Mountain Lodge», déclare Kurt Lauber, qui restera une légende de Zermatt, même dans la vallée de Conches.

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