Au cours des deux premières semaines de la guerre en Ukraine, la politique suisse s’est surtout concentrée sur l’approvisionnement en énergie: aurons-nous encore un foyer chaud l’hiver prochain? Désormais, l’attention se porte de plus en plus sur un autre sujet: le pain quotidien.
En effet, l’Ukraine est l’un des principaux exportateurs de blé au monde. En raison de la guerre, les pertes devraient y être importantes. Des pays comme l’Égypte, qui importait la majeure partie de son blé directement d’Ukraine, en seront directement affectés. Mais les conséquences se feront également sentir en Suisse, car les prix du blé et d’autres denrées alimentaires ont flambé sur le marché mondial.
Cela vaut également pour les engrais artificiels dont les agriculteurs ont besoin pour cultiver leurs champs. Ils sont produits à partir de gaz naturel, et proviennent en grande partie de Russie. Comme le prix du gaz a explosé, l’engrais chimique coûte actuellement jusqu’à trois fois plus cher que les années normales.
L’UDC contre des «projets écologiques absurdes»
Cela fait réagir les politiciens. La semaine dernière, l’UDC a posé une cascade de questions qui, pour la plupart, vont dans une seule direction: la Suisse doit produire elle-même une plus grande partie de ses denrées alimentaires et augmenter ainsi son taux d’auto-approvisionnement, qui s’élevait à 57% en 2019.
Certes, on ne sera jamais indépendant à 100% de l’étranger à l’avenir, reconnaît le conseiller national UDC Martin Haab. Mais, selon l’agriculteur, «si l’importation de denrées alimentaires devient plus difficile, chaque pourcent supplémentaire que nous produisons nous-mêmes est souhaitable.» Si en 2022, comme les années précédentes, une grande partie de la récolte se noie dans la pluie ou se dessèche, «nous aurons un problème.»
Son parti, l’UDC, demande donc au Conseil fédéral «d’élaborer immédiatement un plan pour une bataille de culture 2.0», déclare Haab en faisant allusion à la bataille de culture qui s’est déroulée pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque des pommes de terre étaient cultivées même sur les plus grandes places de Zürich. «Si chaque paysan peut récolter quelques tonnes de céréales supplémentaires, cela fait un tas de pain.» Les projets écologiques absurdes doivent en revanche être suspendus, estime Haab. Car: «Au lieu de compter les papillons, nous devons maintenant planter du blé.»
Une position bien connue
Une production plus intensive n’est toutefois pas gratuite. Car plus d’engrais et plus de pesticides signifient aussi plus de dommages à l’environnement. Le collègue de parti de Haab, Jacques Nicolet, en est également conscient. Il demande au Conseil fédéral de cultiver à la place des denrées alimentaires sur les surfaces de biodiversité prévues. Le conseiller national du centre Markus Ritter, président de la puissante Union suisse des paysans, compte également parmi les soutiens de la proposition de Nicolet.
Ce n’est pas un hasard si l’UDC demande un taux d’auto-approvisionnement plus élevé: cela correspond à la position que le parti a toujours défendue. Et cela va à l’encontre de la direction que devrait prendre la politique agricole suisse selon le Conseil fédéral. Face à la crise de la biodiversité, celui-ci mise sur une réduction des pesticides.
Les Verts s’opposent violemment aux projets de l’UDC et de l’Union des paysans. Il est «absurde» de vouloir augmenter le taux d’auto-approvisionnement en important davantage d’engrais et de pesticides de l’étranger, déclare le conseiller national et agriculteur Kilian Baumann. «Ce faisant, nous augmentons justement notre dépendance.» Il serait plus judicieux d’utiliser davantage de méthodes biologiques dans l’agriculture conventionnelle, comme l’utilisation de certaines plantes comme engrais.
Le problème vient-il de la viande?
Pour augmenter le degré d’autosuffisance, il faut de toute façon agir ailleurs, selon Baumann. «Outre la réduction du gaspillage alimentaire, la réduction de la consommation de viande est le plus grand levier.»
Si les Suisses mangeaient moins de viande, les importations élevées d’aliments pour animaux pourraient être réduites. «En même temps, nous pourrions utiliser les surfaces du plateau suisse sur lesquelles on cultive aujourd’hui du fourrage pour les vaches et les porcs pour produire des denrées alimentaires, cela représente tout de même 43% de la surface totale des terres arables», explique Baumann.
Qu’est-ce qu’il faut donc faire: plus de blé et de pesticides, ou moins de viande? On ne sait pas encore qui l’emportera. Mais si l’Union des paysans fait bloc derrière l’UDC, le projet a toutes les chances d’aboutir.
(Adaptation par Lliana Doudot)