Les élus d'un Parlement doivent-ils se montrer assidus, s'ils entendent respecter la promesse faite aux personnes qui les ont désignés pour défendre leurs intérêts? Poser la question, c'est y répondre. Être élu pour ne pas siéger, c'est faire peu de cas de ses électeurs, couper les ailes à la relève, ne pas défendre ses idées — en dehors des commissions. Bref, c'est être moins utile.
À l’occasion du (presque) premier anniversaire du Grand Conseil (législatif) genevois, élu en mai 2023, Blick a écumé les mémoriaux à la recherche des cancres de l’Hôtel-de-Ville. Avec une question très simple: qui a séché le plus de sessions, lors des premiers mois de la législature?
À l’origine de ce questionnement, une impression. Blick a régulièrement suivi les séances parlementaires genevoises en personne ou en ligne, et a cru constater que le trublion de l’Union démocratique du centre (UDC) Charles Poncet était tout de même souvent aux abonnés absents. Il s’avère que ce n’était pas qu’une impression: l’ancien conseiller national est bel et bien le roi de l’école buissonnière.
Un symptôme d’hommes de droite?
On a par ailleurs constaté un clivage gauche-droite (et entre les genres), en termes de présences. Ce sont les partis à droite de l’échiquier politique qui produisent le plus d’absentéistes, et notre classement n’est composé que d’hommes.
À une exception près: la socialiste Caroline Renold, qui s’est absentée pendant plusieurs semaines juste après les élections. La raison étant un congé maternité, comme elle l'a expliqué à Blick, elle est logiquement disqualifiée de notre petit classement.
Question méthode, tous les comptes rendus des séances n’étant pas encore disponibles pour fin 2023 et début 2024, nous avons pris en compte la période allant du 11 mai 2023 au 24 novembre 2023* pour faire nos comptes (avec l’aide de la personne en charge du mémorial).
Cela équivaut à 16 jours de Parlement, divisés en 42 séances au total. Étant donné que les élus débarquent parfois (même souvent, pour certains) entre deux séances, ce sont ces dernières qui font foi pour l’exercice. Pour mémoire, sauf exceptions (notamment en été), le Grand conseil se réunit durant deux jours chaque mois, avec deux séances le jeudi soir et trois le vendredi après-midi. Voici notre top 3 des cancres de la politique genevoise.
Charles Poncet (UDC)
Vous l’aurez compris: l’avocat Charles Poncet monte sur la plus haute marche du podium de l'absentéisme. Pendant la période analysée, il a été absent de 27 séances sur 42. C’est-à-dire qu’il a loupé presque deux tiers des sessions, laissant un député suppléant siéger à sa place.
Ne se moquerait-il pas un petit peu de celles et ceux qui l’ont élu (et du monde)? Contacté, Charles Poncet rétorque simplement: «Mes absences sont dues à un calendrier d’audiences arbitrales internationales — où je siège comme arbitre — fixées de longue date. Et je l'avais d’ailleurs annoncé d’emblée (ndlr: à l’UDC Genève), en acceptant de déposer ma candidature aux élections cantonales et fédérales ensuite.» Il nous livre une liste de ses engagements internationaux de mai 2023 à ce jour.
Et l’homme de droite d’ajouter: «Le Covid a décalé les audiences dans les arbitrages internationaux, avant de les caramboler et j’en ai donc toute une série. En plus, il y a les audiences nationales! Je plaide donc coupable d’optimisme excessif. J’adore le Grand Conseil mais il va falloir que je réfléchisse à tout ça. Je crains d’avoir eu les yeux plus gros que le ventre…», concède-t-il, tout en soulignant qu’il a tout de même déjà déposé des projets de loi et fait des rapports au Parlement.
«Carlo», comme le surnomment souvent ses camarades en politique, est connu comme le loup blanc au bout du Léman. Élu avec un total de 10’828 voix lors de la course au Grand Conseil en avril 2023, il s’est également présenté au Conseil national en automne — où il avait déjà siégé dans les années 1990 sous la bannière du Parti libéral (PL, devenu PLR après la fusion avec les radicaux). Et ce avec succès, puisqu'il a comptabilisé 15’834 suffrages lors de la course à la chambre basse. Mais l’homme de droite s'est ensuite désisté, laissant sa place au vient-ensuite Thomas Bläsi, qui avait amassé quelque mille voix de moins.
Vincent Subilia (PLR)
Si nous n’avions pas stoppé notre décompte des absences le 24 novembre (à cause du manque de données), il aurait peut-être été en tête de liste. Juste après Charles Poncet, le second homme le plus absent du Parlement genevois est le libéral-radical (PLR) Vincent Subilia, avec 26 séances manquées sur 42. Match serré!
Cet avocat de formation est aussi le directeur de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG). Il explique lui aussi son manque de rigueur par ses obligations professionnelles: «Je plaide volontiers coupable, la période ayant été réellement très chargée […]. La CCIG, que j’ai le plaisir de diriger, a connu une année particulièrement dense et intense du fait notamment de l’organisation, et du suivi, du Congrès mondial des chambres. A ce titre, j’ai dû par exemple effectuer un certain nombre de déplacements à l’étranger.»
Et le politicien de se défendre: «Je regrette ces absences, lesquelles n’ont toutefois aucune d’incidence sur les votes puisque nous disposons de députés suppléants de grande qualité, prévus à cet effet. Et suis très assidu en commissions! Cela étant, je m’emploie à remédier (ndlr: à l'absentéisme), et à faire preuve de toute l’assiduité que j’appelle de mes vœux». Élu au Grand Conseil de Genève avec un total de 16’275 voix en avril 2023, il avait déjà siégé lors de la législature précédente.
François Wolfisberg (PLR)
Avec un décompte un peu moins impressionnant que ceux de nos deux premiers «champions», le PLR François Wolfisberg arrive en troisième position de notre classement, avec 19 séances manquées sur 42.
L’homme est chef d’entreprise: il dirige la chaîne de boulangeries pâtisseries artisanales Wolfisberg, fondée par son père. Il a été élu avec 16’466 voix en avril de l’année dernière.
Confronté à ses absences, concentrées sur la période d’août à octobre 2023, puis à la fin du mois de novembre, le principal intéressé n’a pas répondu à nos nombreuses sollicitions (téléphoniques et écrites). Les personnes de son parti interrogées quant à d’éventuelles circonstances personnelles particulières (et donc atténuantes), ont rétorqué qu’elles n’en avaient en tout cas pas connaissance.
Mention honorable: Philippe Morel (MCG)
Qu’est-ce qu’un classement sans quelques mentions honorables? Deux cas en particulier — toujours des hommes de droite — attirent encore l’attention, lorsqu’on épluche les mémoriaux.
Sans grande surprise, Philippe Morel, du Mouvement citoyens genevois (MCG), serait arrivé en quatrième position de notre classement… S’il n’avait pas démissionné du Grand Conseil fin janvier, après avoir accepté sa nomination au conseil d’administration des Hôpitaux universitaires genevois (HUG). Car les deux postes sont incompatibles.
Le fameux chirurgien viscéral, qui est aussi passé par le Centre et le PLR avant de rejoindre le MCG, a loupé 16 séances sur 42, de mai à fin novembre. Il n’est donc pas si surprenant qu’il ait finalement préféré l’administration des HUG à la fosse de l’Hôtel-de-Ville.
Contacté, il avance: «Mon travail me phagocyte énormément de temps. Je n’ai en effet pas pu être aussi assidu que ce que j’aurais souhaité au Grand Conseil, tout en étant régulièrement présent aux commissions. La place que prend mon métier est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai accepté le poste au conseil administratif des HUG, à la place de la députation. Car cela demande moins d’heures de présence par mois!»
Il a été élu avec 12’441 voix au Grand Conseil. Il fut également candidat au Conseil d’État, sans succès.
Mention honorable: Adrien Genecand (PLR)
Notre seconde et dernière mention va au libéral-radical Adrien Genecand. Élu avec un confortable score de 16’606 voix en 2023, il a manqué 14 séances sur la période donnée.
Pourquoi mérite-t-il une mention honorable? La spécialité d’Adrien Genecand, c’est de venir très souvent… mais de ne jamais rester jusqu’au bout. Ou, à l’inverse, de débarquer entre deux sessions, a-t-on pu observer.
Pense-t-il que le Parlement, c’est à la carte? Contacté, l’élu, qui travaille depuis un an comme chef d’équipe pour une banque privée à Genève, invoque à son tour son activité professionnelle. Adrien Genecand nous confie aussi qu’il a trois enfants et une épouse qui travaille comme indépendante, et dont l’agenda serait aussi chargé.
Il rappelle, en passant, que c’est à cela que servent les députés suppléants, qui n’existent pas en Ville de Genève, par exemple. «Donc, au niveau cantonal, les absences n’ont pas vraiment d’impact sur les majorités lors des votes…», souligne l’homme de droite.
Quid d’un certain manque de respect envers les personnes qui l’ont élu? Adrein Genecand rétorque: «En théorie, cela pourrait être interprété comme du manque de respect, peut-être… Mais pour moi, il est surtout important d’être là lorsqu’on doit défendre ses dossiers, y compris dans le cadre du travail en commission: dans mon cas, il s’agit de quatre fois deux heures d’engagement par semaine. Et puis siéger juste pour être là, juste pour appuyer sur un bouton sans être véritablement engagé sur tel ou tel sujet, c’est aussi du manque de respect envers les électeurs», tacle le député.