Livre blanc sur la défense
Les Européens le disent à la Suisse: armons-nous ensemble

Le livre blanc européen sur la défense cite la Suisse comme un partenaire pour le réarmement du continent, malgré sa neutralité. Les industriels helvétiques vont-ils saisir l'opportunité?
Publié: 19.03.2025 à 14:26 heures
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Dernière mise à jour: 19.03.2025 à 18:32 heures
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La fabrique de munitions Swiss Defence de Thoune a mis à pied de nombreux collaborateurs avec effet immédiat. Les employés craignaient la fin de l'ancienne filiale de Ruag.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

La Suisse est neutre. Mais l’industrie suisse de l’armement peut-elle le rester? Pour nos partenaires et voisins, le débat est tranché. Les capacités industrielles helvétiques peuvent être intégrées au plan de réarmement présenté ce mercredi 19 mars par la Commission européenne.

La phrase inscrite dans ce livre blanc présenté à Bruxelles par le Commissaire européen à la défense demeure diplomatique. «L’Union européenne devrait poursuivre un engagement et une coopération mutuellement bénéfiques dans le domaine de la sécurité et de la défense avec tous les pays européens, candidats à l’élargissement et voisins qui partagent ses vues (y compris la Suisse) afin de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur notre continent» affirme le document. Un «dialogue stratégique» avec les industriels du secteur va être engagé par l’exécutif communautaire.

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Il est dès lors probable que des entreprises telles que Ruag se retrouvent rapidement priées d’annoncer leurs projets, et de témoigner de leur intérêt, ou non, pour des coopérations européennes assorties de solides commandes publiques. Deux points sont à retenir:

  1. La possibilité future des pays membres de l'Union d'acheter ensemble des équipements militaires avec des pays tiers via un programme intitulé SAFE. Il faudra pour cela que ces derniers concluent au préalable un accord de sécurité «non contraignant» avec l'UE.
  2. La possibilité pour les industriels des pays tiers, dont la Suisse, d'être élligibles pour les futurs programmes de défense européens. Un accord international de défense entre le pays concerné et l'UE sera dans ce cas nécessaire.

Le jackpot des 800 milliards d’euros

Coté budget, les chiffres annoncés depuis le début mars par la Commission sont confirmés. La première étape est l'instrument d'emprunt SAFE, qui permettra à la Commission de contracter des prêts pour les États concernés, gagés sur le budget de l'UE. La suite ? «Sur la base de projections d’utilisation progressive, les investissements en matière de défense pourraient atteindre au moins 800 milliards d’euros au cours des quatre prochaines années» confirme le livre blanc. Cela représente 200 milliards par an, en plus des dépenses militaires actuelles, soit 324 milliards d’euros en 2024 pour les 27 pays de l’UE.

La Confédération a pour sa part décidé de consacrer 29,8 milliards d’euros à l’équipement de son armée pour la période 2025-2028. Ruag a pour sa part réalisé un chiffre d’affaires net de 741 millions de francs en 2023. L’opportunité de s’arrimer à des contrats militaires européens peut donc constituer une réelle manne industrielle. «Les entités et les produits d’autres pays partenaires pourront être éligibles aux marchés publics communs sous réserve d’un accord avec l’Union sur les conditions financières et la sécurité d’approvisionnement» confirme le Livre blanc présenté à Bruxelles, ce mercredi 19 mars, par le Lituanien Andrius Kubilius.

Neutralité compatible ou non?

La neutralité de la Suisse est-elle un obstacle à de telles coopérations futures? Oui, si le veto à l’exportation des matériels et munitions produits par des firmes helvétiques demeure, comme on a pu le voir dans le cas de la guerre en Ukraine. Il est dès lors probable, au vu des investissements que les Européens s’apprêtent à consentir, et compte tenu de la présence en Suisse de firmes comme Rheinmetall (Allemagne), ce débat reprenne vite de la vigueur.

Participer ou pas au marché européen de la défense devient l’autre question posée à la Confédération, alors que le paquet d’accords «Bilatérales III» avec Bruxelles signé fin décembre est contesté: «Un marché européen des équipements de défense qui fonctionne réellement serait l’un des plus grands marchés nationaux de défense au monde explique le livre blanc. Un tel marché contribuerait à la réalisation d’objectifs clés tels que la compétitivité mondiale, la préparation et une plus grande échelle industrielle. Cela permettrait également d’accroître les débouchés commerciaux dans les États membres par le biais de collaborations industrielles transfrontalières, de fusions et d’acquisitions ou de créations d’entreprises».

Munitions, missiles et drones

«La passation de marchés en collaboration est le moyen le plus efficace d’acquérir un grand nombre de 'consommables' tels que les munitions, les missiles et les drones, complète la Commission européenne. L’agrégation de la demande permettra de limiter les coûts, d’envoyer des signaux de demande plus clairs aux acteurs du marché, de raccourcir les délais et de garantir l’interopérabilité et l’interchangeabilité».

Là aussi, la Suisse et son armée sont directement concernées. Jusque-là, le Conseil fédéral a, en matière de défense, privilégié une coordination et une interopérabilité avec l’OTAN, l’Alliance atlantique dominée par les Etats-Unis, dont la Confédération est un «partenaire pour la paix». Ce fut l’une des raisons pour l’achat des F35 américains décidé en 2021.

S’armer le mieux possible

L’effort d’armement européen annoncé change-t-il la donne? «Sur le principe non répond un ancien ambassadeur suisse. La neutralité en temps de paix consiste à s’armer le mieux possible en tenant compte du choix des pays voisins et partenaires. Il serait donc logique que l’Etat-Major suisse regarde de très près ce livre blanc et ses conséquences industrielles». Pour l’UE, dont il faut toujours prendre les annonces avec précaution, le curseur est mis sur 2030. Il faut, d'ici à cette date, que la défense européenne se soit métamorphosée.

«Notre sécurité a énormément bénéficié de l’OTAN et de l’Union européenne édicte le livre blanc. Ces dernières années, nous avons collaboré encore plus étroitement pour répondre aux menaces qui pèsent sur nous. Mais cela ne suffira pas pour les années à venir. L’Europe doit faire beaucoup plus si elle veut rétablir une dissuasion crédible et assurer la sécurité dont dépend notre prospérité».

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