Rien ne va plus dans l'armée suisse. Déjà fin 2023, l'institution militaire avait procédé en urgence à la remise en état de ses 248 chars de grenadiers M113. La faute a un défaut technique qui empêchait d'utiliser les véhicules en toute sécurité. Une interdiction totale de circuler avait alors été décrétée et les soldats avaient été priés «d'imaginer» les chars M113 lors de leurs exercices.
Aujourd'hui, près de la moitié des chars de grenadiers sont à nouveau opérationnels. Ils devraient l'être dans leur intégralité d'ici à la fin de l'année.
Mais aujourd'hui, le problème va bien au-delà. Sur les quelque 20'000 véhicules dont dispose l'armée, un cinquième est à l'atelier, et donc à l'arrêt. La faute à un manque criant – tant du côté de l'armée que du secteur privé – de personnel qualifié pour effectuer les travaux de maintenance. Plusieurs types de chars sont concernés, des Léopard aux Piranha, en passant par les Duros.
«On ne peut plus travailler ainsi»
Les travaux de maintenance doivent être priorisés, avait expliqué le Conseil fédéral en réponse à une question de la conseillère nationale de l'Union démocratique du centre (UDC) Stefanie Heimgartner. Sollicitée par Blick, l'armée admet que l'usage des véhicules par les troupes doit être restreint. «Avec le vieillissement des flottes partielles, la proportion de pannes augmente aujourd'hui de manière marquante», précise-t-elle.
L'équipement de base semble donc lacunaire, quand bien même les effectifs concrets de certains types de véhicules restent secrets, afin d'empêcher tout ennemi potentiel d'accéder aux informations. Mais au sein de l'armée, le ras-le-bol qui prédomine témoigne de l'ampleur du problème.
«On ne peut plus travailler dans ces conditions», lâche Erich Muff, président de la Société des officiers de chars. «Les systèmes tombent les uns après les autres en raison de leur âge et sont mis hors service sans être remplacés.»
Les cours de répétition et l'école de recreue
Si les grands événements comme le WEF à Davos ne semblent pas concernés, les écoles de recrues ou les cours de répétition seraient affectés par un manque croissant de véhicules à disposition. «Des solutions de fortune sont déjà régulièrement nécessaires en temps de paix», déplore Erich Muff. «Les conducteurs ne font pas le moindre mètre avec un M113 pendant le cours de répétition, ils n'ont même pas de formation.»
Face à cette situation, l'officier ne mâche pas ses mots: «Cela ne peut pas continuer ainsi. Nous avons besoin de plus de véhicules et de chars prêts à l'emploi.»
Coupes budgétaires critiquées
Même son de cloche du côté de Stefan Holenstein, président de la Fédération des sociétés militaires suisses (FSM). «Les stocks de véhicules sont à peine, voire totalement insuffisants», s'insurge-t-il . Dans de nombreux rapports, des cadres notent que des véhicules doivent souvent être déplacés d'une formation à l'autre pour combler un tant soit peu le manque de matériel.
Pour Stefan Holenstein, la pénurie de personnel qualifié est une conséquence directe de la centralisation de la logistique mise en place avec la réforme «Armée XXI» de 2004: «A l'époque, de nombreux spécialistes ont été licenciés pour des raisons purement économiques, et ils font aujourd'hui défaut.»
La Base logistique de l'armée (BLA) cherche en outre désespérément du personnel alors que, dans le même temps, des personnes sont licenciées en raison du paquet d'économies du Conseil fédéral. «C'est absurde», déplore Stefan Holenstein.
Christophe Blocher trouve cela «ridicule»
Si les responsables de l'armée sont lassés, ils peuvent néanmoins compter sur un soutien de poids: celui de l'ancien conseiller fédéral Christoph Blocher. Dans «Teleblocher», une émission qu'il tient sur sa chaîne Youtube, le doyen de l'UDC explique avoir rendu visite à des grenadiers de chars lors d'un cours de répétition et avoir constaté avec effarement qu'aucun véhicule ne leur avait été mis à disposition.
«Ils ont dû bricoler des chars en carton pour pouvoir tirer dessus. C'est ridicule», s'insurge le Zurichois. «J'ai vu cela de mes propres yeux», poursuit-il avec colère. Christophe Blocher est catégorique: il faut remettre au plus vite les véhicules en état, «pour que nos soldats aient des chars».
Dans l'immédiat, la situation ne devrait guère s'améliorer. Fin février, l'armée a annoncé qu'elle allait baisser de 20% d'ici à la fin de l'année, le nombre de véhicules mis à disposition des troupes, ceci afin de garantir la disponibilité des ressources pour les cas d'urgence. Sont concernés les chars Piranha et Léopard, les chars de grenadiers 63 et 2000, les transporteurs de troupes Duros, ainsi que les minibus et les remorques dont l'entretien ne peut pas être garanti.
Le Conseil fédéral admet un problème
De son côté, le Conseil fédéral semble avoir pris conscience de l'ampleur du problème. S'il rappelle qu'une réserve de roulement de 15% du matériel est normalement prévue pour permettre la maintenance, il reconnaît que cet objectif est impossible à atteindre depuis longtemps.
Ce constat inquiète la conseillère nationale UDC Stefanie Heimgartner. «Si la Suisse veut être capable de se défendre, son armée doit aussi pouvoir s'entraîner sérieusement», dit-elle. «Dans le secteur privé, on ne pourrait pas travailler ainsi.» Elle l'assure: l'armée a besoin de moyens financiers suffisants pour pouvoir atteindre à nouveau atteindre l'objectif des 15%.
Pour l'heure, on en est loin. Avec des systèmes de plus en plus vétustes, la situation de l'armée s'aggrave. Et les troupes le ressentent désormais de plus en plus.