Madame Alleva, le Parlement veut que l’âge de la retraite des femmes soit fixé à 65 ans. De votre côté, vous avez annoncé un référendum. Pourquoi est-ce important selon vous?
Vania Alleva: Parce que l’âge de la retraite est une thématique centrale pour les femmes. C’est ce qu’on a pu constater lorsqu’Unia avait lancé la pétition «Pas touche aux rentes des femmes» en mars. En cinq jours seulement, 300’000 signatures ont été recueillies. De nombreuses femmes, ainsi que des hommes, considèrent donc cette proposition comme une gifle.
Si vous ne récoltez pas assez de voix, craignez-vous que l’âge de la retraite soit fixé à 67 ans pour tout le monde?
Bien sûr, les partis conservateurs travaillent déjà sur des projets dans ce sens. A noter que davantage de personnes de plus de 50 ans sont contraintes de quitter le marché du travail. Et dans certains secteurs, il est difficile de travailler sainement jusqu’à la retraite. Cela oblige de nombreux citoyens à réduire leur temps de travail ou à prendre leur retraite plus tôt. Cela implique donc d’énormes pertes financières.
Les bourgeois critiquent le fait que les femmes demandent des salaires plus élevés mais refusent de travailler plus longtemps et de s’engager à l’armée…
A cause des inégalités salariales, les femmes sont privées d’une moyenne de 300’000 francs sur l’ensemble de leur vie professionnelle. À cela s’ajoutent les bas salaires et les milliers d’heures non-rémunérées qu’elles consacrent à leur ménage. Une fois que ces problèmes seront résolus, je serai moi aussi favorable à un âge de la retraite uniforme.
Dans les faits, l’origine de la retraite des femmes avant celle des hommes n’est que peu féministe.
C’est vrai. Lorsque l’âge de la retraite a été abaissé en 1964, l’argument principal était l’égalité de traitement entre les femmes célibataires et les femmes mariées avec des hommes plus âgés, puisque celles-ci recevaient des rentes à partir de 60 ans déjà. Aujourd’hui, le débat est tout autre. Le vrai scandale, c’est de brandir l’excuse de l’égalité de traitement, alors qu’il nous a fallu des années de combat et une mobilisation de tous les instants pour obtenir ne serait-ce qu’une évolution minime de la Loi sur l’égalité de traitement…
Mais il y a des femmes qui sont d’accord avec l’augmentation de l’âge de la retraite…
Certes, toutes les femmes ne voient pas les choses de la même façon. Le fait est que le projet de loi actuel n’aborde pas les problèmes centraux. Aujourd’hui encore, environ 11% des femmes doivent demander des prestations complémentaires au début de leur retraite ou continuer à travailler pour s’en sortir. C’est injuste d’exiger qu’elles travaillent plus longtemps.
L’augmentation de l’âge de la retraite des femmes permettrait d’économiser 1,4 milliard de francs.
L’AVS est notre meilleur instrument de politique sociale. Nous ne devons pas l’utiliser pour faire des économies, mais assurer son financement. Soit nous augmentons les cotisations pour une durée déterminée, soit nous transférons les gains de la BNS grâce aux taux négatifs dans l’AVS, ou alors nous introduisons une taxe sur les transactions financières. D’ailleurs, je tiens à le souligner: si nous venions à bout des discriminations salariales, nous apporterions autant d’argent dans le «pot» de l’AVS qu’avec les prétendues «économies» provoquées par la hausse de l’âge de la retraite des femmes.
La grève des femmes de 2019 a été la plus grande manifestation politique de l’histoire suisse. Pourtant, cela n’a pas changé grand-chose.
Cela montre à quel point il faut maintenir la pression sur les questions d’égalité des sexes.
Nous avons même fait un pas en arrière en ce qui concerne les salaires.
Oui, c’est ce que montrent les chiffres. Lors de la grève de 2019, de nombreuses femmes avaient cessé le travail à 15h24 – nous travaillons gratuitement à partir de cette heure précise. Cette année, cette action doit encore avoir lieu, mais cinq minutes plus tôt cette fois.
D’autre part, nous avons adopté le congé de paternité – et davantage de femmes ont été élues au Parlement.
Oui et c’est une belle avancée. Mais sans une grande mobilisation, rien n’aurait été possible.
N’est-ce pas frustrant?
Quand je vois des affiches des années 60 et 70, je me demande parfois si on va vraiment progresser. Et puis notons que la pandémie n’a pas vraiment aidé…
Comment percevez-vous le ressenti des femmes face à tout ça aujourd’hui?
Les femmes sont en colère. Les personnes actives dans la vente ou les soins – des domaines largement mis en avant durant la pandémie – attendent des changements. Les femmes ont largement démontré qu’elles avaient contribué au maintien de l’ensemble du système pendant cette période de crise.
La décision du Parlement sur l’âge de la retraite des femmes va-t-elle faire réagir jusque dans les rues?
Je ne sais pas combien de personnes défileront aujourd’hui – après tout, nous sommes toujours en pleine pandémie.
Allez-vous participer à des actions?
Je serai à Neuchâtel, avec un de nos groupes de femmes très actif. J’avoue être encore surprise de l’impact de la grève de 2019. Ces moments collectifs sont importants: on réalise qu’on n’est pas seule dans la lutte pour plus de justice.