Un excellent remède pour reprendre confiance dans la politique? Passer, par exemple, une heure avec Mathias Reynard. Son parler vrai, son regard franc et son enthousiasme communicatif font du bien. Alors que le renchérissement érode sournoisement le pouvoir d’achat des moins favorisés, un croisé de la cohésion sociale comme lui est plus précieux que jamais. Signe sans doute de cette crédibilité, la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS), qui regroupe tous les ministres cantonaux qui s’occupent des Affaires sociales, vient de l’élire comme président. «L'illustré» est parti à
Dans cette CDAS, vous vous retrouvez avec vos homologues des 25 autres cantons. On peut imaginer que vous y vérifiez une grande diversité dans la manière d’aborder les dossiers sociaux. Ces différences sont-elles bel et bien énormes entre, par exemple, un demi-canton d’Appenzell et un canton latin?
C’est cela, la beauté de la Suisse. Ce sont ces différences culturelles, notamment. Mais elles sont aussi relatives. Il se trouve qu’un conseiller d’Etat appenzellois a justement la même sensibilité que moi et qu’il développe les politiques sociales dans son demi-canton! A l’inverse, il peut y avoir un ministre d’un canton urbain qui sera très préoccupé par les montants financiers en jeu. C’est une des forces de ce pays de fonctionner avec 26 cantons, 26 petits laboratoires. Cela nous permet d’observer ce qui se fait ailleurs et de nous en inspirer. J’ai moi-même mis en place en Valais certaines pratiques en politique sociale que j’avais vues dans d’autres cantons.
Et vous-même, pourriez-vous inspirer d’autres cantons?
Oui, par exemple avec l’accès aux soins dentaires. Rappelons que, selon la LAMal, les dents ne font pas partie du corps, en quelque sorte, puisqu’elle ne prévoit pas de financer les factures de dentiste. Nous avons mis sur pied un système pour permettre aux populations les plus fragiles d’avoir accès à ces soins. Nous sommes le premier canton de Suisse à l’avoir fait. Comme quoi un canton moins urbain peut être à la pointe et proposer des solutions innovantes.
Est-ce plus important que jamais pour les cantons de former un front uni face à une Confédération qui ne pense plus qu’à économiser et donc à se désengager financièrement?
Tout à fait. Avec le rapport Gaillard qui préconise des coupes drastiques et la volonté du Conseil fédéral d’économiser un peu partout tout en augmentant massivement le budget de l’armée, les cantons peuvent porter un message commun. La Confédération veut par exemple couper dans le forfait d’intégration des réfugiés. C’est un exemple de report pur et simple sur les cantons. Face à cette évolution dangereuse, les couleurs politiques respectives des ministres cantonaux n’ont plus guère d’importance. Nous sommes toutes et tous unis pour nous défendre face à ces mesures d’économies parfois cyniques.
Les affaires sociales regroupent de très nombreux dossiers. Lesquels sont prioritaires aujourd’hui pour vous?
Je ne tiens pas à établir un classement, mais l’actualité dicte certaines priorités. Aujourd’hui, nous faisons face à une crise migratoire et cela représente passablement de travail dans le domaine de l’asile. Parallèlement, nous avons une crise du pouvoir d’achat qui a fait revenir au premier plan nos mesures de protection sociale. Nous venons de publier le monitorage de la pauvreté en Valais, qui a confirmé qu’une partie de la population est en grande difficulté. Si on prend les familles monoparentales, 26% d’entre elles sont à risque de tomber dans la pauvreté. La protection sociale est donc plus que jamais d’actualité.
Et ensuite?
D’autres thèmes peuvent aussi être mis en lumière en fonction de la modification de textes législatifs fédéraux ou internationaux, comme la question du handicap en raison d’une convention des Nations unies sur les droits des personnes en situation de handicap. En Valais, nous venons de mettre en conformité nos lois cantonales avec cette convention. C’est donc bien l’actualité qui détermine l’importance de chacun de ces dossiers.
Une partie de la population estime qu’on en fait trop, que le social est devenu de l’assistanat et que cet assistanat ne profite pas forcément aux bonnes personnes. Que répondez-vous à ces critiques?
Cela me fait penser à cette caricature d’un homme se réservant les 90% d’un gâteau et qui accuse un de ceux qui cherchent à attraper quelques miettes des 10% restants de voler la part des autres dans le même cas que lui. C’est ce type de discours que les mouvances d’extrême droite pratiquent pour monter les gens les uns contre les autres. Ces mouvances sont en fait les défenseurs des puissants, pas des gens modestes. Et puis il n’y a pas de précarité plus douloureuse qu’une autre. La solidarité doit s’appliquer à tous. Notre pays s’est construit sur la cohésion sociale. Personne n’est à l’abri d’un gros pépin, d’un accident, de la perte de son travail. Il faut pouvoir compter sur le filet social pour ne pas tomber. La Suisse s’est fondée là-dessus. Dans le préambule de la Constitution, il est écrit que la valeur d’une société se mesure au bien-être du plus faible de ses membres.
Quel est le meilleur moyen de faire la promotion d’une société solidaire dans un monde où le chacun pour soi semble parfois gagner du terrain?
Communiquer et communiquer encore. Il faut rappeler notamment que la pauvreté et que le risque de pauvreté existent en Suisse même si c’est encore tabou. Certes, moins de 2% de la population se retrouve à l’aide sociale, mais il y a beaucoup plus de gens qui se situent juste en dessus de ce seuil et qui ont aussi besoin d’aide. Il faut des politiques sociales et familiales qui aident ces classes populaires et moyennes inférieures.
Avez-vous le sentiment que la précarité est en progression en Suisse?
Les indicateurs sont plutôt bons actuellement. Mais cette prospérité partagée est un équilibre fragile. En Valais, nous avons augmenté les subsides de primes maladie et 90 000 personnes touchent aujourd’hui des aides, soit un quart de la population. Nous avons augmenté aussi les allocations familiales et facilité l’accès aux soins dentaires. Tout cela change le quotidien de la population.
Où commence l’excès des aides sociales?
Le filet social serait excessif s’il permettait de vivre aussi bien que si on travaillait. Mais en Suisse, on est extrêmement loin de ce scénario. Bien sûr, nous trouverons toujours un fraudeur aux aides sociales. Mais on en trouve aussi parmi les grosses fortunes pour tricher avec les impôts. Et puis nous menons des contrôles pour que le système social soit crédible.
Le PS valaisan vient de vous désigner candidat à un deuxième mandat. Mais vous êtes très apprécié aussi au-delà de votre famille politique. C’est quoi, la méthode Reynard?
Il n’y a pas vraiment de méthode. Je m’efforce d’être cohérent et de ne pas slalomer. Je reste fidèle à mes valeurs, à l’égalité des chances, à la lutte contre les discriminations, au respect de chacun, entre autres. J’ai d’ailleurs gardé le même slogan depuis mes débuts en politique: l’humain d’abord. C’est le signe d’une certaine constance.
Vous aviez 13 ans en l’an 2000. Vous êtes donc un homme du XXIe siècle. Comment le vivez-vous, ce siècle de la numérisation, de la crise écologique permanente, des inégalités de richesse croissantes?
Ce siècle est indéniablement anxiogène. Et il l’est sans doute encore plus pour les jeunes de la génération suivant la mienne. D’ailleurs, les besoins en santé mentale explosent aussi bien au niveau de l’assurance invalidité que pour les consultations à l’hôpital. Les perspectives sont donc peu réjouissantes. Mais je suis un éternel optimiste. Il faut faire face à ces réalités difficiles. Et j’ai beaucoup d’espoir dans la jeunesse. Elle est un moteur de changements. Et je vois aussi autour de moi tant de grands-parents qui sont si préoccupés par l’avenir de leurs petits-enfants qu’ils changent leur manière de vivre et évoluent aussi philosophiquement. Cela me persuade qu’il est possible de transformer ensemble ces inquiétudes, ces défis, ces crises en action, en mobilisation et en motivation.
Cet article a été publié initialement dans le n°50 de L'illustré, paru en kiosque le 12 décembre 2024.
Cet article a été publié initialement dans le n°50 de L'illustré, paru en kiosque le 12 décembre 2024.