Jeudi passé, Gilles Marchand annoncait sa démission de la tête de la Société suisse de radiodiffusion en télévision (SSR). Alors qu'une nouvelle direction devrait voir le jour d'ici 2025, le groupe de médias fait face à des nombreuses incertitudes quant à son futur. Armin Walpen, anciennement directeur de la SSR, a décidé de prendre la parole à la suite de cette nouvelle. Interview.
Armin Walpen, vous aviez annoncé après votre départ du poste de directeur général en 2010 que vous ne vous exprimeriez plus jamais publiquement sur la SSR. Et aujourd'hui, vous voici.
Je ne veux pas m'exprimer sur le niveau opérationnel de la SSR. Il ne s'agit pas de Gilles Marchand ou de Nathalie Wappler, qui font du bon travail. Il ne s'agit pas non plus de la qualité des programmes. Ce n'est pas la question.
De quoi s'agit-il, alors?
L'initiative de réduction de moitié menace l'existence de la SSR. Mais permettez-moi de revenir un peu en arrière. En 1974, j'ai commencé à travailler pour le conseiller fédéral Willi Ritschard au département des transports et de l'énergie. A l'époque, j'étais le seul à m'occuper de la radio et de la télévision. A la fin des années 70, la SSR était en pleine crise: le directeur général Stelio Molo était attaqué politiquement. Il avait des problèmes avec la Berne fédérale. Et comme aujourd'hui, la question était de savoir comment améliorer le contact avec la politique. Il nous fallait quelqu'un qui puisse créer des ponts entre la SSR et les politiques.
Comment avez-vous procédé?
Willi Ritschard m'a posé cette question:«Comment faire comprendre à Stelio Molo qu'un changement est nécessaire?» Stelio Molo avait alors 65 ans à ce moment-là. Je lui ai répondu qu'il fallait lui faire comprendre qu'à ce poste, on prend sa retraite à 65 ans. Et c'est ce qui s'est passé. Après quoi Willi Ritschard a proposé le directeur de la Banque nationale Leo Schürmann comme candidat aux instances de la SSR – à ma grande surprise. Il avait le même âge que Stelio Molo et une aussi grande expérience politique. Bref, vous voyez, ce que je veux dire.
Vous pouvez préciser?
Aujourd'hui encore, la SSR a besoin d'un homme politique fort. La SSR ne manque pas de connaissances spécialisées. Mais aujourd'hui plus que jamais, elle a besoin de quelqu'un qui réussisse à créer le dialogue et prendre la critique au sérieux pour pouvoir tenir debout. Quelqu'un qui soit prêt à affronter les attaques contre la SSR et à s'y opposer s'il le faut.
A qui pensez-vous?
Un poids lourd de l'Union démocratique du centre (UDC) serait idéal. Mais cela risque d'être difficile. Pourquoi pas une tête du Parti libéral-radical (PLR), par exemple Thierry Burkart ou Damian Müller.
Les personnalités que vous citez sont en effet des politiciens confirmés. Mais que savent-ils vraiment des médias?
Dans la situation actuelle, cet aspect n'est pas essentiel. Les politiciens intelligents apprennent vite. De plus, nous avons des tas de connaissances professionnelles à la SSR. Gilles Marchand est d'ailleurs l'un des meilleurs spécialistes dans son domaine, peut-être même au niveau international. Nathalie Wappler et ses collègues sont également très compétents. Mais il manque un réseau politique du côté institutionnel de la SSR. Je l'avais déjà remarqué lors de l'initiative «No Billag», mais à l'époque, l'UDC n'agissait pas de manière très habile. Depuis, elle s'est clairement améliorée sur le plan tactique, mais ses motivations sont restées les mêmes.
Que voulez-vous dire par là?
Avec l'initiative sur la réduction de moitié, l'UDC veut raconter une histoire dans laquelle elle n'est pas contre la SSR et le service public en soi, mais seulement contre la société telle qu'elle est aujourd'hui. Je dois admettre que c'est une argumentation astucieuse.
La situation politique a changé depuis, et la SSR en a fait les frais.
C'est exact. A mon époque, j'avais le PDC de l'époque à 100% derrière la SSR. Le PLR aussi était plus proche de la SSR il y a quelques années en arrière. S'y ajoutaient une minorité de l'UDC, ainsi que la Suisse romande, les Rhéto-romanches et la Suisse italienne. Tous ce soutien nous a permis de créer des majorités quand il le fallait. Mais aujourd'hui, le Centre est en train de vaciller...
... emportant avec lu son président Gerhard Pfister, critique envers la SSR.
La question est maintenant de savoir comment retrouver une stabilité.
Vous avez des pistes?
J'envisagerais de faire monter à bord une grosse tête du camp bourgeois, mais pas un homme de gauche. Nous devons jouer les meilleures cartes si l'on veut sauver la SSR. Il est vrai qu'à l'époque de Willi Ritschard, il y avait déjà eu des tentatives avec le «Club Hofer» pour maîtriser la SSR, décriée comme étant de gauche, mais cela n'a jamais vraiment abouti. Depuis plus de 50 ans, l'UDC tente de liquider ou d'affaiblir la SSR. C'est étonnant de la part d'un parti qui place habituellement la Suisse au-dessus de tout.
Mais aujourd'hui, les opposants sont plus intelligents. Gregor Rutz, Roger Köppel, Thomas Matter, et je ne sais combien d'autres, ont le même argument: nous sommes pour une télévision et une radio nationales, mais on peut le faire avec la moitié de la redevance. Mais ils ne disent pas comment! Je vous mets ma main à couper: si cette initiative passe, l'existence de la SSR sera menacée.
Si l'on en croit les initiants, la solution serait de proposer une offre allégée.
Mais quel contribuable veut encore payer pour un programme mal fait ou une offre qui ne l'intéresse plus? Selon le droit suisse, le service public est un concept global. Il ne se limite pas à des émissions politiques et culturelles ou à des formats destinés à un public aussi restreint que possible. Le service public ne peut pas être réduit à un service sans public. De ce point de vue, «Mini Chuchi, dini Chuchi», «Uf u dervo», «Tschugger», «Bestatter», la descente du Lauberhorn, Adelboden ou «Meteo» font également partie du service public. C'est d'ailleurs le cœur même du problème.
Que voulez-vous dire?
Dans l'ensemble, la SSR compte trop peu de personnes qui sont publiquement exposées et qui ont du poids en société. Je parle ici de l'aspect institutionnel de la SSR. A part le président Jean-Michel Cina, connaissez-vous un membre du conseil d'administration qui se soit déjà mis en avant et qui soit un tant soit peu connu dans le pays? Ce sont plutôt des poids plumes sur le plan politique. C'est la même chose pour les associations régionales, en particulier en Suisse alémanique.
Ce sont des personnes qui n'aiment probablement pas sortir de leur zone de confort, même si, de mon point de vue, elles sont justement là pour ça! Quelqu'un s'en apercevrait-il si l'on supprimait ces fonctions? C'est de ce côté-là que je parle, et non pas de la direction, qui fait du bon, du très bon travail. L'organe responsable de la SSR devrait être réformé de fond en comble. Un directeur général politique fort pourrait, à mon sens, faire avancer les choses.
Que pensez-vous de l'engagement d'Albert Rösti? Il faisait partie du comité de l'initiative «No Billag».
Je ne suis pas obligé d'être d'accord avec lui, mais c'est un bon conseiller fédéral. Il fait preuve d'une grande finesse, notamment en ce qui concerne la SSR. Il laisse un peu les choses traîner et finit par proposer de baisser la redevance de 335 à 300 francs. Cela ne fait même pas trois francs par mois. Neuf centimes par jour. Ça vous parait sensé?
Les initiateurs, eux, veulent descendre à 200 francs. Quelles conséquences craignez-vous?
Je vais prendre un exemple précis pour vous répondre: quel sport sera encore diffusé après l'acceptation de l'initiative? Peut-être le tir à l'arc et un peu de hornuss. Pensez-vous sérieusement que les chaînes privées retransmettront encore le Lauberhorn? Les opposants ne réfléchissent pas assez. Le monde de l'audiovisuel, le cinéma, survivent aussi grâce à la SSR. On dirait que tout cela ne les intéresse pas. Si j'étais directeur général et que l'initiative de réduction de moitié passait, je demanderais que la SSR soit liquidée le plus rapidement possible, afin d'éviter qu'un tas d'argent soit encore dépensé pour rien. Le problème, c'est que personne n'ose se faire entendre, parce que tout le monde a peur de l'UDC.
Pas vous...
C'est la raison pour laquelle j'ai eu quelques difficultés en tant que directeur général (rires). Mais la votation ne se décide pas à cause de quelques émissions politiques de gauche, mais en se demandant si chaque citoyenne et chaque citoyen a le sentiment de gagner quelque chose en échange de la redevance.