J'aime les beaux paysages. Quoi de mieux qu'un voyage en mer, où l'on laisse défiler le panorama, confortablement installé dans un beau fauteuil sur le pont du bateau? Un voyage parfait pour les retraités. Tranquille, en tout cas. Me disais-je. Mais autant tout de suite ruiner le suspense: le voyage dont je vais vous parler allait se solder par des recherches obsessionnelles sur les navires pris dans des tempêtes et les évacuations en haute mer.
Pourtant, tout commence bien. Nous sommes à Kristiansund, en Norvège. Le MS Nordkapp entre dans le port. Les gens à bord et à terre se saluent, les amarres sont jetées.
Le MS Nordkapp est l'un des 14 navires de l'Hurtigruten, la «route rapide». En 1893, le premier navire postal Hurtigruten a pris la mer pour livrer des lettres et des marchandises le long de la côte norvégienne. Aujourd'hui, les Hurtigruten sont à la fois des navires de fret, de passagers et de croisière.
Les croisières sont une affaire de millions
Les voyages Hurtigruten sont populaires, les croisières en général sont en plein essor. Selon l'association commerciale des navires de croisière, la Cruise Lines International Association (CLIA), il s'agit de l'une des branches de l'industrie touristique qui connaît la croissance la plus rapide.
Rien qu'en 2023, 31,5 millions de passagers devraient faire une croisière. Et les Suisses les apprécient tout particulièrement, comme le montre une comparaison européenne du portail en ligne Statista.
Entre la honte du bateau et l'extase
Du point de vue environnemental, les croisières sont l'une des façons les plus sales de voyager. Les particules fines des gaz d'échappement polluent l'atmosphère. Sous l'eau, les animaux souffrent du bruit des moteurs. Et les navires plus modernes, fonctionnant au gaz naturel liquéfié (GNL), sont également mauvais pour l'environnement. Ils rejettent du méthane, en partie non brûlé. Sous cette forme, il est plusieurs fois plus nocif que le CO2.
A cela s'ajoutent les conditions de travail souvent déplorables des employés de bord, qui travaillent dans les tâches ménagères ou le service et sont souvent recrutés en Asie. Ils sont parfois payés deux euros de l'heure. Même si c'est plutôt improbable pour les Hurtigruten, qui naviguent sous pavillon norvégien et dont les employés ont donc droit aux conditions de travail norvégiennes. D'autres entreprises font naviguer leurs navires sous pavillon italien, avec des réductions correspondantes pour les employés.
Et puis, il y en avait un qui pendait au-dessus du bastingage
Mais pour l'instant, mon ami et moi sommes tout de même en extase. Nous entrons dans la cabine. Le lit: parfait. La salle de bain: impeccable. Un beau concept de couleurs avec des accents de bois, un espace de rangement intelligemment planifié. Et par la fenêtre, une vue dégagée sur la mer.
Le MS Nordkapp sort du port. Le vent souffle si fort qu'il est impossible de se tenir debout à l'avant du bateau. Mais je ne m'inquiète pas. J'ai envie d'aventure. Je veux enfin vivre ce que j'ai vu dans tous les documentaires de voyage: une nature imposante, la liberté... et un peu de luxe.
Les vagues s'écrasent sur la côte, blanches et écumantes. Le vent fouette l'eau. Je veux voir cela sous tous les angles, je parcours la baie vitrée du salon. Lorsque je regarde vers l'avant depuis l'arrière de la pièce, je sursaute. La proue se soulève et s'abaisse violemment. Et les vagues sont de plus en plus hautes.
Je ne veux pas me l'avouer, mais la peur s'insinue en moi.
S'accrocher pour ne pas tomber
Comme je ne sais pas quoi faire, je vais aux toilettes. Là, je ne vois pas les vagues ni le bateau qui se balance. J'essaie de me concentrer sur le beau savon. «Arctic Pure», des baies arctiques et du bouleau norvégien. Ça sent bon.
De retour au salon, je cherche mon ami. Mon estomac commence à se retourner. Nous essayons de sortir un peu à l'air libre. C'est difficile. Entre-temps, le bateau tangue tellement que nous devons nous accrocher partout pour ne pas tomber.
Dehors, à côté de nous, un adolescent titube jusqu'à la rambarde et vomit. Nous sommes dans le sens du vent. J'arrive à l'éviter. Mon ami n'arrive pas à temps. Selon les portails spécialisés, environ 30% des passagers ont le mal de mer.
Nous cherchons le chemin de notre cabine. Je prends l'ascenseur. Pour me prouver que la situation n'est pas encore si grave qu'il faille emprunter les escaliers.
Dehors, la mer est vraiment déchaînée. L'eau gicle le long du hublot. D'en bas, nous entendons un grondement fort et sourd, suivi d'un énorme tremblement. Et tandis que les 123,3 mètres du navire se frayent un chemin à travers les vagues en gémissant, je tire la couette sur ma tête et me mets à pleurer. Mon ami essaie de me calmer, en vain. Application de méditation: inutile.
Peur bleue - toute résistance est inutile
Nous sommes tous les deux de plus en plus malades. Nos corps semblent être soumis à des forces énormes. Tantôt nous sommes enfoncés dans le matelas, tantôt nous avons l'impression d'être en chute libre. J'ouvre Google Maps. Encore presque deux heures jusqu'au prochain port. Je jure que je descends et ne remonterai plus jamais sur ce bateau.
Le lendemain matin, tout est enfin plus calme: sortie à l'air libre! Salon pour fumeurs. Lampe chauffante. Les seniors sont au petit-déjeuner. Croissants, bacon, œufs, jus d'orange. Par haut-parleur, une annonce du capitaine: «Hier, des vagues allant jusqu'à six mètres nous ont accompagnés.»
C'est comme si ces vagues étaient passées dans mon corps. Lorsque nous retrouvons la terre ferme à Bergen, le port d'arrivée, j'ai l'impression que le sol continue à osciller. Dès que je m'allonge, je ressens la pression et la chute libre. Et la peur. Cela va durer encore trois jours.
Pendant ce temps, je ressens le besoin de mesurer mon expérience. C'était vraiment si terrible? Je me mets à l'ordinateur portable et fais des recherches. D'abord la recherche sur YouTube: «Cruise ship high waves.»
Les bateaux de croisière sont généralement sûrs, mais ...
Des bateaux de vacances dans des vagues de onze mètres de haut. Gigantesque! L'eau déferle sur la proue du bateau. L'eau s'engouffre dans les salons. Les gens sont assis et couchés dans les couloirs, complètement anéantis, le personnel tente de stopper l'eau à l'intérieur du bateau avec des chiffons, des serviettes de bain, des T-shirts et des balais. Le bar est complètement dévasté, le verre a éclaté, les meubles glissent d'un côté à l'autre.
Il est certes possible que des bateaux de croisière coulent, mais cela arrive rarement, apprend-on dans le documentaire de la ZDF «Attention, bateaux de rêve - le secteur des croisières sur un nouveau cap». Et quand cela arrive, c'est souvent à cause de collisions ou d'incendies à bord. Pas à cause de la météo, disent les experts sur les portails spécialisés. Les bateaux de croisière sont construits de manière à résister à de hautes vagues et à des vents extrêmes, expliquent-ils. 80 à 90% des accidents maritimes sont dus à une erreur humaine, explique la voix off dans le documentaire d'Arte «Sécurité en mer».
Les évacuations d'un bateau de croisière sont risquées
J'appelle l'un des experts maritimes des docu-fictions, le professeur Stefan Krüger de l'université technique de Hambourg. «Si je dois évacuer, j'ai de toute façon un problème», dit-il. Il ressort clairement des reportages télévisés que, selon les conditions météorologiques ou la position du bateau — incliné par exemple — les évacuations par canot de sauvetage sont risquées, voire impossibles. Stefan Krüger ajoute un autre élément à prendre en compte: «la constitution psychique des passagers». Des exercices peuvent déjà entraîner des crises cardiaques.
L'Institut pour la technique de sécurité et la sécurité des navires à Warnemünde (Allemagne) voit même dans le nombre croissant de passagers à bord le principal problème pour la sécurité des croisières. «En cas d'avarie, on ne peut pas venir à bout des milliers de peurs, quel que soit le niveau de développement technique», me dit Dana Meissner, responsable de la recherche et du développement. Problème: les navires sont justement de plus en plus grands.
«C'est pourquoi le cas d'une évacuation ne doit tout simplement pas se produire», ajoute Stefan Krüger. L'une des principales avancées dans ce sens: la règle du «Safe Return to Port». Depuis 2010, les navires doivent être construits et équipés de manière à pouvoir, dans la mesure du possible, rejoindre eux-mêmes le port le plus proche, même s'ils sont endommagés. Et plus le navire est grand, plus les exigences de sécurité sont élevées, explique notre expert.
La croisière est le moyen le plus sûr de voyager
En 2019, des experts pour la fondation allemande Warentest, dont des capitaines et des ingénieurs d'exploitation de navires, ont inspecté les navires de plusieurs grandes compagnies de croisières. Leur jugement coïncide avec celui de Stefan Krüger: «La croisière est très sûre, sans doute la manière la plus sûre de voyager.»
Mais le sentiment des passagers s'y oppose souvent, selon Stefan Krüger. «Je pars en mer, et il peut arriver que je sois pris dans un ouragan ou qu'une vague vienne briser la vitre. C'est normal. Ce n'est pas un hôtel sur terre.» Il s'agit donc d'un problème d'exigence.
Il y a en outre, selon lui, une perception irrationnelle du risque. «Les gens ont une peur primaire de l'eau. Mais c'est un problème psychologique, pas technique.» Les voyages en voiture sont, statistiquement parlant, plus dangereux que les voyages en bateau par 15 mètres de houle.
Les Millenials, fans de croisière
L'entretien téléphonique avec Stefan Krüger et les avis d'autres spécialistes rassurent. Après avoir vu les vidéos et les documentaires, un malaise subsiste néanmoins. Vais-je donc m'aventurer à nouveau sur les Hurtigruten, ou même sur un plus grand bateau?
Selon les chiffres de la CLIA: plutôt oui. 85% des voyageurs en bateau souhaitent refaire une croisière. Ma génération, les Millennials, est même plus enthousiaste que la moyenne, avec 88%.
Que reste-t-il donc de mon rêve de croisière? Un grand respect pour les retraités, qui ont littéralement tout compris. Un grand respect pour la mer. Et pourtant, quelques belles photos sur lesquelles on ne voit rien de la peur à bord. Au lieu de cela, comme promis: une nature grandiose, de l'aventure et un soupçon de luxe.