Il y a vingt ans, le village de Gondo (VS) a été détruit par un éboulement. Aujourd'hui, 80 personnes y vivent encore.
Des schtroumpfs bleus étaient alignés sur le rebord de la fenêtre de la maison de la tante de Daiana Squaratti. Le rebord n'existe plus aujourd'hui. Tout comme une grande partie du village, où vivait la moitié de la famille de Daiana.
En octobre 2000, le déluge a été long et intense. Daiana travaillait comme serveuse à Viège. Elle écoutait la radio pour se tenir informée des événements à Gondo. Soudain, silence radio. Puis la voix du président de la commune, son oncle Roland, s'est fait entendre, remplie de peur. «Venez nous chercher ici. Tout de suite.» Le mur de protection au-dessus du village avait cédé. La boue, les éboulis et les arbres ont creusé un sillon qui a causé la désolation.
Presque toutes les figurines de Schtroumpfs de la tante de Daiana ont été retrouvées dans la coulée de boue pendant les travaux de déblaiement. Mais pas son père, ni son oncle. Au total, treize personnes sont décédées.
Que fait la Suisse de ses vallées?
Aujourd'hui, Daiana est assise dans l'un des deux restaurants de Gondo, avec les eaux tumultueuses de la Doveria en arrière-plan. Elle feuillette un livre, montre les images de la destruction du village. A la vue des intempéries de ces dernières semaines, les maisons détruites dans le Val Mesolcina ou les montagnes de gravats dans la vallée de la Maggia, les souvenirs remontent.
Les événements de la fin juin ont choqué la Suisse, des vies ont été soudainement ôtées. La question est alors légitime: la protection des vallées particulièrement menacées en vaut-elle encore la peine? Qu'est-ce qui retient les gens dans les zones dangereuses, pourquoi y vivent-ils?
Un chez-soi au cœur du danger
Daiana a beaucoup perdu en ce mois d'octobre 2000. Mais revenir a été un soulagement. Impossible de partir de cet endroit où elle est chez elle.
80 personnes vivent encore aujourd'hui à Gondo. Elles n'ont de cesse de se remémorer la catastrophe pour entretenir la mémoire. Beaucoup a été fait pour qu'ils puissent y rester. Le village a été reconstruit, la digue de protection contre les chutes de pierres a été améliorée, un système de drainage a été installé. Malgré tout, le danger ne pourra jamais être totalement maîtrisé. Les nouvelles cartes des dangers viennent d'être établies et certaines parties du village se trouvent toujours dans une zone de danger moyen.
«Nous vivons dans les montagnes. Un risque résiduel fait partie de nos vies», déclare Daniel Squaratti, le président de la commune de Gondo. «Si on avait peur, on ne pourrait pas vivre ici. On apprend à vivre avec ce risque», complète Daiana.
Aucune crainte de la montagne
À une centaine de kilomètres au nord-est de Gondo, Fridolin Kundert, 58 ans, pense la même chose. Il n'a pas peur, il reste à Rüti, un village dans les Alpes glaronnaises. Même si ici aussi, la montagne en mouvement est omniprésente. «Il y a toujours des secousses», nous raconte-t-il. Pieds nus, Kundert se tient près de sa ferme et montre les pentes sur lesquelles sont déjà tombés de nombreux rocs. Il parle de la montagne comme d'un parent éloigné.
Il y a deux ans, toute une partie de Rüti a été classée en zone rouge. Dans le village voisin de Schwanden, deux glissements de terrain ont eu lieu l'été dernier, près de cent personnes ont dû être évacuées.
Des événements difficiles à voir, confie Fridolin. Son étable se trouve également dans une zone de danger rouge. Il y a 25 ans, 100'000 mètres cubes de roche sont tombés en direction de Rüti. L'un des rochers est passé tout près de chez lui. Il suivait alors une formation de moniteur de ski, sa femme Sonja était seule à Rüti, en train de traire. L'électricité a été coupée, l'étable du voisin a été emportée. «C'était terrible pour eux.» Les Kundert ont dû quitter Rüti pendant un mois et demi, avec 20 têtes de bétail dans leur sillage.
Mais Fridolin ne veut pas s'en inquiéter. Il y a deux ans, en été, il était en vacances en France lorsqu'il a reçu un appel. Il devait évacuer ses vaches, qui se trouvaient plus loin dans la vallée. Des éboulis se détachaient de la montagne. Il n'est pas rentré chez lui pour autant. Ça va bien se passer, s'est-il dit. «Nous n'avons pas aussi peur que les experts. Nous avons aussi un certain flair pour ces dangers», explique-t-il.
Un rapport pragmatique à la nature
Tant que le réchauffement climatique se poursuivra, les évacuations augmenteront, déclarait récemment le professeur de l'EPFZ David Bresch dans la «SonntagsZeitung». Il a évoqué le nerf de la guerre: voulons-nous dépenser des millions de francs pour protéger quelques maisons individuelles? Ce n'est pas seulement la collectivité qui doit y faire face, mais aussi les propriétaires de maisons.
La question qui se pose pour la habitants est plutôt «pourquoi rester ici?» Si l'on écoute les personnes vivant dans les zones à risque, la réponse semble claire comme de l'eau de roche. Ils y sont chez eux. Ils ont une relation pragmatique avec la nature. Quand la nature veut, elle veut. Ils le savent par expérience. Ce n'est pas une raison pour partir.
Pour les habitants du Plateau, cette vision peut sembler irresponsable. Surtout pendant cet été 2024, lors duquel chaque week-end apporte son lot d'alertes aux intempéries. Malgré tout, Daiana à Gondo, tout comme Fridolin à Rüti, continuent d'observer leur environnement avec sérenité.
Ils avouent toutefois qu'il est difficile de se faire une raison jusqu'à ce le drame les percute de plein fouet. Même à l'époque, Daiana n'a pas vraiment fait confiance aux images de destruction. Ce n'est que lorsqu'elle est revenue au village, la plupart des débris ayant déjà été nettoyés, qu'elle a compris ce qui s'était passé.
La question des coûts au centre des préoccupations
Aussi mal placée et éloignée de la réalité que puisse paraître la discussion sur les coûts et les bénéfices de la protection des vallées lorsqu'on rend visite aux habitants de ces régions, elle n'est pas pour autant dénuée de sens. Aujourd'hui déjà, elle est au cœur de nouvelles mesures de protection.
Pour stopper le glissement de terrain près de Braunwald, à l'origine de l'éboulement de Rüti, un projet de drainage de près de 30 millions de francs a été approuvé en 2021. Et rien qu'après le glissement de terrain à Schwanden, la commune de Glaris Sud, dont fait partie Rüti, a voté un crédit de 5,6 millions de francs pour protéger le village de nouvelles coulées de boue.
Pour de telles mesures de protection, une évaluation des coûts et des avantages est généralement toujours appliquée, explique Maurus Frei, chef du Département dangers naturels du canton de Glaris. Avec les changements climatiques, les coûts des ouvrages de protection vont augmenter et leur rentabilité va diminuer.
Entre les lignes, cela signifie probablement qu'à l'avenir, des déplacements de population pourraient être davantage envisagés parce que les mesures de protection sont trop coûteuses. Selon Maurus Frei, la Confédération a laissé entrevoir un soutien plus important pour les déplacements de population à partir de 2025. Un déplacement préventif a déjà eu lieu à Rüti.
Il est évident que certains endroits ne peuvent pas être protégés. Pour stopper par exemple le glissement de terrain à Peiden, un village en pente dans la Surselva grisonne, il faudrait stabiliser la montagne. Logiquement, le projet ne résisterait pas à une analyse coûts-avantages. Seules 13 âmes y vivent encore. Reto et son épouse le savent bien.
Les fondations glissantes du village se fissurent toujours davantage et entachent le quotidien idyllique des habitants. «Dans la maison, tout est incliné et tordu», assure Liliane. Le couple a essayé de compenser l'inclinaison de la table à manger avec une cale en bois. 16 mètres plus haut, l'église du village bouge elle aussi. Une immense fissure déchire sa façade blanche.
Les habitants ne sont pas menacés d'un danger imminent. Mais dans les années 1930, Peiden a failli être évacué. Il y avait alors eu des déplacements de population. Les habitants avaient l'option de déménager et de voir leur maison rachetée.
Pour Reto, le glissement de terrain est comme un prédateur. «Il est simplement là, présent dans la région.» Au village, on plaisante même à son sujet: si on glisse encore plus, on sera quand même plus près de l'arrêt du car postal.
La Suisse se serre les coudes
Reto a tout de même vécu en ville dans une autre vie. Son accent zurichois semble un peu étranger dans les montagnes grisonnes. Il ne comprend pas le débat sur la protection coûteuse des vallées. Selon lui, il faudra aussi dépenser plus d'argent dans les villes à l'avenir, pour la protection contre la chaleur et les inondations. «Le changement climatique touche tout le monde», estme-t-il. Pour lui, la Suisse a besoin de ses vallées et il ne s'agit pas seulement des gens qui y vivent.
Daiana est du même avis: «Cette discussion est mauvaise pour la cohésion.» Les Suisses le savent bien. 74 millions de francs ont été dépensés après la catastrophe de Gondo. Après les intempéries de cet été, des dons de plusieurs millions ont été récoltés chaque jour. La solidarité est là.
Beaucoup pensent que tout ne peut pas être résolu par les affaires comptables: «C'est ma patrie, même si elle est dans la zone rouge. Et cela peut avoir un coût.» La force du peuple se mesure au bien-être des plus faibles, se remémore-t-elle, inspirée. C'est aussi ce que dit la Constitution fédérale.