La Confédération dépense huit milliards de francs par an en pétrole et gaz étrangers. Elle importe de l’électricité et de l’uranium en grandes quantités. En d’autres termes: les Suisses ne maîtrisent pas eux-mêmes leur approvisionnement énergétique.
C’est un secret de polichinelle, mais la guerre de Poutine l’a violemment rappelé à la conscience publique. Faire le plein et se chauffer sont soudain devenus plus chers, la peur de l’approvisionnement se répand, et l’indépendance est le mot d’ordre du moment. «Nous devrions maintenant nous rassembler», a lancé mercredi la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga dans la salle du Conseil national. Selon elle, le pays doit réduire sa dépendance au pétrole et au gaz, développer les énergies renouvelables et mettre fin au gaspillage énergétique.
Plus de photovoltaïque sur les toits que jamais
La socialiste enfonce ainsi des portes ouvertes auprès des Suisses: «Rien qu’en février, 200’000 panneaux solaires ont été installés», a annoncé la Ministre de l’énergie elle-même. Un record: jamais autant de panneaux photovoltaïques n’avaient été posés sur nos toits. Depuis 2019, le marché du photovoltaïque croît de plus de 30% par an. En 2021, les Suisses ont annoncé plus de 22’000 installations avec plus de 1,3 million de modules. Cela correspond à une surface de 300 terrains de football, de l’électricité pour 100’000 ménages. «Ainsi, l’objectif du Conseil fédéral de couvrir un cinquième de notre consommation d’électricité avec le photovoltaïque en 2035 sera atteint», explique le département de l’énergie de Sommaruga à Blick.
Même chose pour les pompes à chaleur: les Suisses en ont installé 34’000 en 2021, soit 20% de plus que l’année précédente, un chiffre jamais atteint auparavant. Les chauffages à pellets ont également atteint des valeurs record, les chauffages à copeaux de bois couvrent aujourd’hui 12% de nos besoins en chauffage.
Il faudra toutefois davantage d’énergie verte, d’autant plus qu’une voiture neuve sur quatre est désormais équipée d’une prise. La Confédération met douze milliards à disposition d’ici 2030 pour le développement de la production d’électricité nationale. «Tout est lié», déclare Noah Heynen, CEO de l’entreprise solaire Helion. Il confirme la tendance: «Nos carnets de commandes sont pleins.» Selon lui, la demande a massivement augmenté depuis mi-2021 et atteint aujourd’hui un nouveau sommet. «Le débat sur la menace d’une pénurie d’électricité à l’automne a donné un coup de pouce à l’énergie solaire. La guerre a renforcé la volonté d’indépendance.» Ceux qui débattent de réarmement et d’agricultures doivent aussi parler de la liberté liée à l’indépendance énergétique, affirme Noah Heynen: «Nous avons besoin d’un plan Wahlen du solaire!»
Car la Suisse, outre son indépendance énergétique, doit également sortir de l'alimentation à l'énergie fossile. 190’000 chauffages suisses fonctionnent aujourd’hui au gaz russe. «Nous serons débarrassés de ce problème dans trois ans si nous remplaçons dès maintenant 60’000 chauffages par an», déclare la conseillère nationale des Verts Manuela Weichelt. Actuellement, 30’000 installations sont remplacées chaque année. L’entreprise coûterait environ 1,5 milliard de francs, et entre donc dans le budget: la Confédération met à disposition un total de quatre milliards de francs pour les rénovations.
Le biogaz comme variante verte
Il ne sera néanmoins pas possible de se passer totalement du gaz, tempère la conseillère nationale centriste Priska Wismer-Felder: «L’industrie en est tributaire. De plus, le gaz est un accumulateur d’énergie.» Reste une variante verte: le biogaz. Seulement, en Suisse, il est en grande partie transformé en électricité plutôt que d'être orienté vers le chauffage. «Pour la production d’électricité, nous aurions d’autres sources», argue Priska Wismer-Felder. Elle a déposé jeudi une motion demandant des aides à l’investissement pour la production et la commercialisation du gaz vert sous forme de biométhane, proposition signée par des membres de tous les groupes politiques.
Tout cela ne changera rien, à court terme, aux prix élevés actuels de l’essence et du chauffage. «Ils n’ont pas grand-chose à voir avec la pénurie», explique Martin Koller, économiste en chef du groupe énergétique Axpo. «Jusqu’à présent, le pétrole et le gaz de Russie ont continué à couler sans interruption. C’est plutôt l’incertitude du marché quant à la durée de cette situation qui est responsable des hausses des prix.» Cela ne changera probablement pas dans l’immédiat, dit-il: «L’énergie pourrait devenir plus chère à terme.»
Trop cher pour Christian Imark: «L’État doit à présent baisser l’impôt sur les huiles minérales», demande, à contre-sens des propositions ci-dessus, le conseiller national UDC. Il n’y a pas le temps d’attendre le Parlement: «Des mois s’écoulent. C’est pourquoi le Conseil fédéral doit, comme lors de la pandémie, décréter le droit d’urgence et baisser immédiatement le prix de l’essence.» Ce n’est pas le bon levier, rétorque la conseillère nationale des Verts Manuela Weichelt. «Ce qui est central, c’est la hausse des coûts du chauffage, face à laquelle les personnes à faible revenu sont particulièrement impuissantes en tant que locataires. Il peut y avoir des arriérés de plusieurs milliers de francs.» Elle a donc déposé vendredi une motion demandant qu’en cas d’augmentation exceptionnelle des frais de chauffage, les frais supplémentaires soient couverts par les prestations complémentaires.
L’efficacité énergétique des bâtiments peut être améliorée
De leur côté, les propriétaires peuvent améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. Le potentiel est énorme: un million de maisons en Suisse doivent être rénovées de toute urgence. De petites interventions suffisent à produire de grands effets. «L’installation de fenêtres modernes permet d’économiser jusqu’à 75% d’énergie», explique Jean-Marc Devaud, CEO du fabricant de fenêtres 4B. La nouvelle s’est répandue: «Nous n’avons jamais eu autant de commandes», affirme l'entrepreneur.
La Suisse se met au vert. «Tout est là», affirme Stefan Batzli, directeur d’AEE Suisse. «Nous avons la technologie, le capital et la volonté sociale.» Et environ 1000 entreprises qui proposent des installations solaires, des pompes à chaleur et des systèmes énergétiques efficaces. Le seul problème est qu’il n’y a pas assez de spécialistes. C’est pourquoi l’entreprise solaire Helion et le constructeur de fenêtres 4B ont déjà créé leurs propres académies pour former leurs employés. L’association professionnelle Swissolar crée un apprentissage professionnel entièrement nouveau: à partir de 2024, la formation de trois ans de spécialiste en énergie solaire devrait démarrer. «De plus en plus de jeunes veulent se lancer dans ce domaine», explique le directeur de Swissolar David Stickelberger. «Nous devons leur offrir une formation solide.»
Une vague verte à cause de Poutine. Comment gérer cela? «La catastrophe de Fukushima a conduit à la sortie du nucléaire», explique Priska Wismer-Felder. «L’invasion de l’Ukraine permet aux énergies renouvelables de prendre leur essor.» Selon elle, il est triste que de telles manifestations soient nécessaires. «Et pourtant, nous devons poursuivre la lutte contre le changement climatique. Aujourd’hui plus que jamais.»
(Adaptation par Lliana Doudot)