L’interdiction américaine de l’avortement a relancé les débats sur la question dans le monde entier, en Suisse également. A cause d'un jugement rendu par la Cour suprême, les femmes ne peuvent plus avorter légalement dans plusieurs Etats américains, même après un viol ou un inceste. Mardi, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes suisses pour dénoncer cette décision.
«Le jugement encourage les opposants suisses à l’avortement», déplore Kathrin Bertschy, présidente d’Alliance-F et conseillère nationale des Vert’libéraux. Et cela même si ce droit et l’autodétermination de la femme sont bien ancrés dans notre pays.
Deux initiatives pour limiter l’avortement
Ces opposants ont déjà lancé une première salve pour limiter le droit à l’avortement en Suisse. Les élues UDC Yvette Estermann et Andrea Geissbühler récoltent actuellement des signatures pour deux initiatives populaires.
L’une des initiatives veut introduire un jour de réflexion avant chaque interruption de grossesse. L’autre veut interdire les avortements tardifs, qui interviennent à un moment où l’enfant serait viable hors du ventre de sa mère avec une aide médicale. Aujourd’hui, ceux-ci sont autorisés lorsque la vie de la mère est en danger. Un handicap du bébé peut également être le motif d’un avortement tardif, car celui-ci n’est parfois diagnostiqué que lorsque la grossesse est bien avancée.
Pour «réduire la souffrance»
«Nous pensons que c’est une bonne chose que la population soit sensible à la question», souligne Andrea Geissbühler lorsqu’on lui demande ce que la décision américaine signifie pour la Suisse. Leurs initiatives ont pour but de «réduire, par des mesures modérées, la grande souffrance qu’engendrent les avortements pour toutes les personnes concernées», selon leurs termes. Les deux initiatrices sont satisfaites des premiers résultats de la collecte de signatures.
Fait étonnant, Yvette Estermann et Andrea Geissbühler n’ont pas participé à l’élaboration des initiatives qu’elles endossent. Derrière ces textes se trouvent des organisations comme l’association Mamma, qui s’oppose radicalement à l’avortement. Les politiciennes ont été contactées par David Trachsel, le coprésident des Jeunes UDC, comme l’a rapporté l'«Aargauer Zeitung».
Peu de soutien de la part des partis
Jusqu’à présent, aucun parti n’a soutenu la demande des élues UDC, pas même le leur. Le chef du groupe parlementaire UDC Thomas Aeschi a déclaré dans sur Tele Züri qu’il était d’avis que «le régime du délai actuellement en vigueur en Suisse fonctionne bien». La nouvelle présidente de l’UDC de la ville de Zurich, Camille Lothe, s’y oppose également avec véhémence.
Mais les initiatrices sont sereines. «La protection de la vie à naître n’est pas l’affaire d’un parti en particulier. Les électeurs de tous les partis peuvent approuver ou rejeter ces initiatives, selon leurs convictions personnelles», estime Yvette Estermann.
Cela inquiète la coprésidente d’Alliance-F, Kathrin Bertschy. De nombreuses questions sociopolitiques débordent des Etats-Unis vers la Suisse avec quelques années de retard, analyse-t-elle. Le fait qu’après la Pologne et les Etats-Unis, la Suisse discute à nouveau des enjeux de l’avortement «doit nous faire réfléchir».
Quel résultat lors d’une éventuelle votation?
Le politologue Lukas Golder prédit que les 100’000 signatures nécessaires pour les deux initiatives seront réunies. «Il existe en Suisse un milieu fondamentalement chrétien sur lequel on peut compter», explique le codirecteur de l’institut de recherche GFS Berne. Il est fort possible que la position de ce milieu soit renforcée par le jugement aux Etats-Unis.
Mais il est convaincu qu’il en sera tout autre lors d’une éventuelle votation populaire. «Il n’est pas réaliste de penser qu’une majorité de l’électorat suisse partage cette position.» Au contraire, il pourrait y avoir un effet boomerang «Les mouvements féministes du monde entier sont alarmés par le fait que la droite conservatrice s’attaque à nouveau au régime du délai», rappelle l’expert.
(Adaptation par Jessica Chautems)