Les CFF n'en feront rien
À la gare de Vevey, cette affiche anti-drogue liée à la Scientologie agace

Une association anti-drogue s'affiche à la gare de Vevey, mais aussi à Genève, et ne dit pas ses liens avec la Scientologie. De quoi agacer la conseillère nationale Jessica Jaccoud (PS/VD), qui dénonce un prosélytisme sectaire «inadmissible». Faisons le point.
Publié: 06:05 heures
1/4
Cette affiche «d'un mouvement sectaire» dans un passage sous la gare de Vevey a déclenché la colère de la conseillère nationale Jessica Jaccoud (PS/VD)... et lui a rappelé des souvenirs.
Photo: DR
Blick_Leo_Michoud.png
Léo MichoudJournaliste Blick

Une enfant, les bras croisés, fait la moue devant un paysage helvétique. «Informez vos enfants avant que les dealers ne le fassent», scande l'affiche repérée ce lundi 16 décembre dans le passage sous-gare de la gare CFF de Vevey par la conseillère nationale Jessica Jaccoud (PS/VD). Jeudi dernier, les Transports publics lausannois (TL) ont sévi contre cette association et sa campagne du moment, dévoilait alors «24 heures», en interdisant les mêmes affiches sur demande de la Ville de Lausanne.

Un lien et un QR Code mènent au site de l'association Dites non à la drogue, oui à la vie (ADNAD), qui assure proposer des formations et de la documentation, souvent gratuitement, pour lutter contre la drogue. Mais cette campagne publicitaire, à la cause d'apparence noble, cacherait en fait du prosélytisme envers l'Église de Scientologie, ce qui énerve l'élue socialiste vaudoise – qui a un passif avec l'ADNAD (voir ci-dessous): «Ce n'est pas du tout une association dont le but idéal est de faire de la prévention contre les drogues. C'est bien un mouvement qui n'a pas d'autre but que de mettre en avant les préceptes de l'Eglise de Scientologie, qui est à mon sens un mouvement sectaire.»

Le passif de Jessica Jaccoud (et de Fréderic Borloz?) avec l'association

Il faut dire que Jessica Jaccoud a un passif avec l'association Dites non à la drogue, oui à la vie, qui remonte à son mandat de conseillère communale à Nyon: «Ça ravive chez moi d'anciens souvenirs. En 2012 déjà, je militais pour que cette association affiche clairement son affiliation à la Scientologie lorsqu'elle tenait un stand au marché ou dans l'espace public.» Ce combat l'avait menée jusque devant la justice, après s'être fait traiter avec son camarade Alexandre Démétriadès de «fumeurs de joints» par la présidente de l'époque de l'assoc' anti-drogue.

Cette dernière, Suzanne Crauzaz, n'est autre que la mère de l'actuel conseiller d'Etat vaudois, le libéral-radical (PLR) Frédéric Borloz – dont Blick avait raconté en 2022 les déboires avec sa page Wikipédia, qui a un temps affiché ses liens avec la Scientologie de manière bien plus prononcée. En 1991, un Frédéric Borloz pas encore trentenaire s'était fait le porte-parole de l'ADNAD dans le Courrier des lecteurs de la «Nouvelle revue de Lausanne et du Pays de Vaud», journal du Parti radical de l'époque.

Au fil de son parcours politique, le ministre vaudois de l'Education a été amené à plusieurs reprises à se justifier sur ses liens familiaux avec le mouvement sectaire. Interrogé par Blick sur la question de sa page Wikipédia, Frédéric Borloz avait assuré en 2022 n'avoir plus aucun lien avec la scientologie.

Il faut dire que Jessica Jaccoud a un passif avec l'association Dites non à la drogue, oui à la vie, qui remonte à son mandat de conseillère communale à Nyon: «Ça ravive chez moi d'anciens souvenirs. En 2012 déjà, je militais pour que cette association affiche clairement son affiliation à la Scientologie lorsqu'elle tenait un stand au marché ou dans l'espace public.» Ce combat l'avait menée jusque devant la justice, après s'être fait traiter avec son camarade Alexandre Démétriadès de «fumeurs de joints» par la présidente de l'époque de l'assoc' anti-drogue.

Cette dernière, Suzanne Crauzaz, n'est autre que la mère de l'actuel conseiller d'Etat vaudois, le libéral-radical (PLR) Frédéric Borloz – dont Blick avait raconté en 2022 les déboires avec sa page Wikipédia, qui a un temps affiché ses liens avec la Scientologie de manière bien plus prononcée. En 1991, un Frédéric Borloz pas encore trentenaire s'était fait le porte-parole de l'ADNAD dans le Courrier des lecteurs de la «Nouvelle revue de Lausanne et du Pays de Vaud», journal du Parti radical de l'époque.

Au fil de son parcours politique, le ministre vaudois de l'Education a été amené à plusieurs reprises à se justifier sur ses liens familiaux avec le mouvement sectaire. Interrogé par Blick sur la question de sa page Wikipédia, Frédéric Borloz avait assuré en 2022 n'avoir plus aucun lien avec la scientologie.

L'ADNAD a été fondée en 1991 à Lausanne, explique à Blick Manéli Farahmand, la directrice du Centre intercantonal d'information sur les croyances (CIC), qui a pour mission de répondre aux inquiétudes de la population à l’égard des dérives sectaires. L'association anti-drogue compte «environ 30 membres actifs» dans la capitale vaudoise «et un plus petit groupe à Genève», détaille la spécialiste, qui ajoute que «la plupart sont des scientologues bénévoles.»

Promouvoir l'abstinence totale

Blick a d'ailleurs également observé l'affiche anti-drogue ce vendredi 20 décembre à la gare genevoise de Cornavin. Pour Jessica Jaccoud, le lien de l'ADNAD avec l'Eglise de Scientologie est non seulement avéré, mais voir l'association s'afficher ainsi est «inadmissible». «L'ADNAD a été créée par le mouvement scientologue et est fondée sur les principes de l'eglise de Scientologie, insiste l'élue vaudoise. Elle met en avant le programme de désintoxication Narconon, créé par l'Eglise de Scientologie sur la base des écrits de Ron Hubbard (ndlr: le fondateur du mouvement, clairement opposé à toute substance chimique).»

Retirée des Transports publics lausannois, mais aussi en gare de Vevey, l'affiche a trouvé une place dans une troisième ville romande marquée par le débat autour de la drogue: Genève.
Photo: Léo Michoud/Blick

Débroussaillons un peu tout ça. Narconon est une autre association souvent mise en relation avec l'Eglise de Scientologie. «L'ADNAD, c'est le volet prévention. Et Narconon, c'est le traitement», explique Manéli Farahmand. L'association Narconon a tenu un centre d'accueil jusque dans les années 2000 à Zurich, dans lequel elle proposait des traitements pour vaincre la toxicomanie par l'abstinence totale. «Le programme Narconon est basé sur les découvertes et les écrits de Ron Hubbard, fondateur de la religion de Scientologie. Cependant, Narconon est laïc et ce programme ne demande pas à la personne de devenir scientologue», peut-on lire sur le site français de Narconon.

«La seule chose qu'on sait, c'est qu'à l'époque où le centre Narconon de Zurich a fermé, les membres de l'ADNAD recommandaient un traitement au centre d’accueil pour toxicomanes Narconon de Turin», précise la présidente du CIC. Mais le problème, au-delà des dérives sectaires, c'est que l'abstinence totale «n'est plus vraiment d'actualité dans les politiques sociales face à la drogue», euphémise Manéli Farahmand.

Manque de transparence

Revenons à l'ADNAD, dont le lien avec la Scientologie ne serait pas aussi clair que ce que laisse entendre la politicienne vaudoise: «Au vu de l'entretien que nous avions eu en 2013 avec son président de l'époque, nous savons seulement que l'Eglise de Scientologie les aide dans la diffusion de leurs brochures, qu'ils recevraient gratuitement», développe Manéli Farahmand, qui a elle-même observé ces affiches à un autre emplacement de la gare de Vevey.

L'experte en croyances et dérives sectaires rappelle que «dans ses statuts, l'association revendique son indépendance vis-à-vis de toute activité religieuse ou politique. Elle se dit d'utilité publique et dit fonctionner avec un petit budget.» Mais il y a bien un lien, que confirmait le président actuel de l'ADNAD dans l'article de «24 heures», avant de préciser que son association est «indépendante, laïque et donc non-religieuse».

«
J'ai toujours été persuadée que l'ADNAD n'était rien d'autre qu'une association-écran qui avance à visage masqué
Jessica Jaccoud, conseillère nationale (PS/VD)
»

Pour Jessica Jaccoud, le manque de transparence constitue le cœur du problème: «J'ai toujours été persuadée que l'ADNAD n'était rien d'autre qu'une association-écran qui avance à visage masqué. L'idée est justement d'éviter la première réaction négative de l'écrasante majorité de la population quand elle entend parler de scientologie.» La conseillère nationale vaudoise estime qu'«un mouvement sectaire doit dire qui il est»: «Si cette même affiche avait la mention 'association appartenant à l'Eglise de Scientologie', alors ce serait ok dans l'espace public.»

Qu'en dit la loi et qu'en disent les CFF?

Mais alors, cette affiche a-t-elle sa place à la vue de tous? Contactés, les CFF se dédouanent de toute responsabilité dans l'affichage d'une association liée à la scientologie. «Les CFF ne peuvent pas refuser des affiches ou des demandes de promotion de type commercial, politique, religieux ou idéologique dans les gares, car celles-ci sont considérées comme des lieux publics depuis un jugement du Tribunal fédéral en 2012», déclare Jean-Philippe Schmidt, porte-parole de la régie fédérale.

«
Cela signifie que la liberté d'expression s'applique et que les CFF doivent en principe autoriser ce type de publicité
Jean-Philippe Schmidt, porte-parole des CFF
»

En effet, un cas polémique avait animé la gare de Zurich et la justice suisse en 2012. Les CFF avaient ordonné le retrait d'une affiche pro-palestinienne s'opposant à la colonisation israélienne. En 2012, un arrêt du Tribunal fédéral (TF) donne tort au recours des CFF et invoque la liberté d'expression. En ce sens, le communicant explique qu'en raison de l'application de la «liberté d'expression», les CFF «doivent en principe autoriser ce type de publicité».

Toutefois, le porte-parole renvoie à la société publicitaire APG|SGA, qui «commercialise et exploite les surfaces publicitaires dans les gares pour le compte des CFF». La Société générale d'affichage s'occupe des espaces publicitaires pour les CFF, mais aussi pour les TL à la demande desquels elle a dû agir.

L'agence de communication avait «des indices»

Ce mercredi, Blick a obtenu des réponses de l'agence de communication, notamment à la question de savoir s'ils sont au courant du lien avec la scientologie de l'association avec laquelle ils ont établi un contrat publicitaire. «Oui il y a des indices, répond une porte-parole de la Société générale d'affichage. C'est pourquoi nous avons soumis le sujet au partenaire de marché CFF pour examen. Le sujet a été validé par les CFF, APG|SGA suit les instructions des CFF.»

La porte-parole d'APG|SGA répète que son employeur «ne procède à aucune censure» et renvoie aux conditions générales de vente: «La responsabilité du contenu et de la présentation des moyens publicitaires incombe exclusivement au client», donc à l'association anti-drogue, bien que l'agence «contrôle chaque affiche avant son affichage pour s'assurer qu'elle est conforme aux exigences légales».

«
La question est de savoir s'il y a volonté de recruter et de convertir, ou simplement d'informer ou d'exprimer une conviction
Manéli Farahmand, présidente du Comité intercantonal d'information sur les croyances
»

Comme ailleurs dans l'espace public, en vertu de la liberté d'expression, c'est donc seulement si elles sont problématiques que les diffusions de croyances religieuses sont interdites. «Par exemple, s'il y a un trouble à l'ordre public, du démarchage agressif ou reposant sur un prosélytisme insistant», détaille Manéli Farahmand.

Mais interdire des affiches s'avèrent plus compliqué que de limiter la présence de stands sur un marché, où des membres d'une église interpelleraient les passants. «La question est de savoir s'il y a volonté de recruter et de convertir, ou simplement d'informer ou d'exprimer une conviction, détaille la présidente du CIC. Il faut aussi évaluer s’il n’y a pas d'appel à la haine, à la discrimination et qu'il n'y a pas de caractère sexiste, homophobe ou transphobe.»

Une visibilité masquée «inadmissible»

Quant à savoir si l'association est une association-écran de l'Eglise de Scientologie, la directrice de la CIC affirme «ne pas avoir les bases de données pour le confirmer». Quoi qu'il en soit, la campagne d'affichage de l'ADNAD surfe sur l'un des sujets du moment, à Vevey comme à Genève: la drogue et ses dérives.

«
Il est inadmissible d'utiliser la thématique des drogues pour toucher des personnes potentiellement fragiles, pour promulguer, derrière, les principes d'un mouvement sectaire
Jessica Jaccoud, conseillère nationale (PS/VD)
»

«Il est inadmissible d'utiliser la thématique des drogues pour toucher des personnes potentiellement fragiles, directement concernées par la consommation de substance, surtout pour promulguer, derrière, les principes d'un mouvement sectaire, commente Jessica Jaccoud. Pour moi, c'est là que se trouve la limite à la possibilité de cette association d'être aussi visible dans l'espace public sans dire qui elle est.» Bien qu'elle «ne pense pas qu'il y ait quelque chose d'illégal dans cet affichage», l'élue socialiste veut, par sa démarche, «répondre à un devoir de transparence que l'association ne fait pas.»

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la